Appel à contributions pour l’ATELIER : Partis politiques et changement de régime : pour un dépassement des frontières entre " aires culturelles "  

Organisateurs :
Myriam Aït-Aoudia, doctorante et ATER à l’Université Paris 1 (CRPS), myriamait@yahoo.fr
Jérôme Heurtaux, doctorant à l’Université Lille 2 (CERAPS), jheurtaux@yahoo.fr

Nous présentons un atelier au prochain congrès de l’AFSP, à Lyon, en septembre 2005. A cette occasion, nous espérons recevoir des contributions de doctorants ou de chercheurs qui travaillent sur les partis politiques dans le contexte d’un changement de régime, tout particulièrement d’un " passage à la démocratie ". Nous voudrions réunir des personnes qui inscrivent leur recherche dans une perspective de sociologie politique ou de socio-histoire du politique, et qui travaillent sur des pays différents et à des périodes variées (France comprise). Si vous êtes intéressé(e), soit comme contributeur(trice), soit comme participant(e), veuillez nous contacter avant le 4 décembre (nous sommes désolés d’imposer des délais si courts). Une présentation succincte d’une page environ suffira.  

A l’origine de notre réflexion, un paradoxe saisissant : alors que la plupart des processus récents de " passage à la démocratie " s’accompagne de la formation d’un champ politique dominé - avec des variations nationales - par des partis politiques, les politistes spécialistes des démocratisations étudient très inégalement les partis politiques en fonction de l’" aire culturelle " à laquelle ils se rattachent. Ainsi, par exemple, quel contraste entre un intérêt frénétique pour les partis dans les nouvelles démocraties d’Europe centrale et orientale et l’indifférence presque totale pour leurs homologues en Afrique sub-saharienne ou au Maghreb-Machrek. On soupçonne derrière ce partage des intérêts scientifiques, la persistance de réflexes culturalistes éculés qui s’accompagnent de définitions différentes de la démocratie. Ainsi, l’intérêt pour les premiers s’expliquerait par le rôle normatif qui est le plus souvent accordé aux partis politiques dans la " réussite " de la démocratisation. Le désintérêt pour les seconds, à l’inverse, serait lié à une représentation du jeu politique qui minore le rôle des partis politiques. La valeur scientifique des partis politiques dépendrait, dans les deux cas, de l’importance qui leur est reconnue dans le processus de démocratisation. Loin de valider ce partage des préoccupations scientifiques, on voudrait en interroger collectivement les raisons et proposer l’amorce d’un dépassement. La confrontation de terrains de recherche a priori très différents sera l’objet de cet atelier, pour deux raisons principales. On veut croire, d’une part, à la comparabilité des " passages à la démocratie " d’une région à l’autre, d’une période à l’autre et aux profits heuristiques qu’il y a à transgresser ces frontières invisibles. Cette affirmation resterait une pose théorique sans conséquence si elle ne s’appuyait avant tout sur nos propres expériences de recherche. Nous avons en effet constaté combien il était intéressant et utile de confronter le fait partisan en Pologne et en Algérie ou de trouver dans les expériences mexicaines, ougandaises ou béninoises des points de comparaison pertinents de nature, par exemple, à relativiser l’approche initiale de notre objet ou à réfléchir à la pertinence des outils utilisés. Or, alors que les appels au décloisonnement géographique se multiplient, les avancées sont timides en la matière. D’autre part, la récurrence du " fait partisan ", au cours de récents passages à la démocratie, incite à réfléchir collectivement à certains problèmes théoriques communs et originaux, à partir de situations empiriques très différentes. Nous proposons de poser deux questions qui nous semblent fondamentales et de confronter des façons dont, à partir de terrains et d’outils différents, on peut y répondre :

1) A partir de quand et de quoi un parti politique naît-il ? L’une des pistes possibles est de ré-interroger la notion de " naissance " des partis politiques dans deux directions possibles :

- Pourquoi créé-t-on un parti politique, dans le contexte spécifique d’une transformation des formes de la concurrence politique ? S’agit-il d’une stratégie de placement dans un champ politique en re-constitution ? La participation aux élections est-elle un objectif pour tous les partis et dans tous les contextes ? La constitution d’un parti n’est-elle pas, dans certains cas, qu’un moyen de prolonger des luttes sociales sous d’autres formes ? Dans quelle mesure peut-on alors parler, comme Michel Offerlé, de la genèse d’un parti politique comme d’un " bégaiement de luttes sociales " ? Quels intérêts certains groupes déjà constitués (par exemple des mouvements culturels ou religieux) poursuivent-ils en se transformant en parti politique, c’est-à-dire, en se politisant ? Quels conflits cela provoque-t-il en leur sein ?

- Comment " fabrique "-t-on un parti politique ? A partir de quoi fait-on des partis politiques ? L’une des difficultés méthodologiques est de trouver des moyens de rendre compte empiriquement du processus passé de mobilisation partisane. Il s’agit en effet de prêter une attention particulière aux pratiques concrètes qui fondent un parti politique : constitution d’une organisation, maillage du territoire, rédaction et diffusion d’un programme, recrutement de militants, sélection de porte-parole, etc. Pour cela, nous voudrions discuter les variables pertinentes qui permettent de comprendre comment des acteurs sociaux apparemment sans expérience politique ou partisane, agissent : types de réseaux mobilisés, expériences professionnelles et militantes passées, caractéristiques sociales, etc.

2) Le processus d’emprise des partis sur la compétition politique est-il une histoire sans histoire ? Si l’emprise des partis sur la compétition politique est incontestable dans une majorité des pays " passés " à la démocratie, celle-ci n’a pourtant rien d’évident. Certains cas de changement de régime débouchent par exemple sur une " démocratie d’un parti " qui domine outrageusement le champ politique (Afrique du Sud, Mexique…). D’autres s’illustrent par le refus institutionnalisé des partis politiques (Ouganda), etc. Surtout, là où le multipartisme se développe progressivement (Pologne, République tchèque, etc.), on se contente généralement de décrire ce multipartisme et de l’évaluer, sans jamais s’interroger sur ce qu’il doit à un travail politique multiforme (et contradictoire) et à un processus de légitimation, qui prennent chaque fois des formes spécifiques. Loin de prendre le résultat de ces pratiques variées pour l’effet d’une prophétie, il est important d’analyser le comment de " la réalisation de cette prophétie ". Tout le problème consiste ici à proposer des outils et des angles d’approche pour rendre compte de la façon dont " les organisations politiques ont (…) pu revendiquer avec un succès croissant, en de nombreux systèmes politiques, un rôle dominant dans la sélection et la formation des dirigeants politiques ". Une piste possible est par exemple d’étudier, à partir du " droit de la politique " (lois électorales, lois sur les partis, dispositions constitutionnelles, etc.), le processus d’institutionnalisation des partis comme formes exclusives d’organisations politiques, en analysant comment la " forme-parti " a acquis, parfois dans la douleur, une reconnaissance juridique et s’est vue reconnaître un monopole sur la compétition politique. On peut notamment étudier comment le personnel politique s’est servi du droit comme une ressource pour " borner " l’activité politique et la confondre avec l’activité partisane. On peut aussi analyser les luttes qui consistent à imposer une bonne définition du parti politique, dans le droit mais aussi dans les campagnes électorales, à travers la façon dont des partis politiques se réclament ou au contraire cherchent à se distancier de la marque partisane. Une autre piste peut être d’analyser comment un parti intériorise progressivement les règles émergentes du jeu politique (tout en contribuant à les produire) et se transforme en organisation durable et consolidée. Pour cela, on peut notamment se demander à partir de quoi on fabrique une identité partisane, qui légitime la participation au jeu politique : qu’elle prenne la forme de la représentation d’un groupe social (les paysans, les musulmans, les ouvriers, etc.) ou qu’elle valorise une identité " anti-parti " ou " alter-partisane " par exemple.

Déroulement de l’atelier L’atelier se déroulera d’une façon originale. En effet, les " contributeurs " ne présenteront pas de communication. Chaque texte, rendu à l’avance, sera introduit et discuté par un autre contributeur, selon une logique de transversalité (exemple : le spécialiste du changement de régime au Kirghizistan discute un travail sur les partis politiques dans le Madagascar du capitaine Ratsiraka). Ces chassés-croisés, qui dureront une heure environ, seront suivis d’une discussion générale, introduite et animée par un spécialiste des partis politiques et un spécialiste des changements de régime. L’accent est donc particulièrement mis sur la discussion qui, on l’espère, intègrera le plus possible de présents. L’objectif de l’atelier est en effet d’amorcer un échange qu’on voudrait voir continuer ensuite sous d’autres formes.