Elections et citoyenneté européennes : une mise en perspective post-nationale

 

 

 

 

 

 

 

 

Contribution au colloque international

"La construction européenne au prisme des élections au Parlement européen de juin 2004"

Strasbourg, Parlement européen, 18-19 novembre 2004

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Muriel RAMBOUR

Groupe de Sociologie Politique Européenne

Institut d’Etudes Politiques de Strasbourg

47 Avenue de la Forêt-Noire

F-67082 Strasbourg Cedex

muriel.rambour@eturs.u-strasbg.fr

 

 

 

 

L’élection du Parlement européen au suffrage universel constitue à première vue une source de légitimation directe de l’intégration communautaire et représente idéalement le moment d’une implication des Européens au cœur de la vie démocratique de l’Union. L’examen de cette pratique électorale depuis 1979 met toutefois en lumière une toute autre tendance, celle d’une constante et croissante désaffection à l’égard de ce scrutin que l’analyse qualifie souvent, en comparaison des échéances nationales et des comportements électoraux qui se manifestent alors, d’élections de " second ordre " [Reif et Schmitt, 1980]. L’augmentation du taux d’abstention et l’influence — entre autres facteurs — de considérations tenant aux politiques menées au plan national sont en effet les éléments les plus fréquemment mis en avant pour caractériser les élections européennes. Mais l’on peut émettre le postulat, en suivant notamment en ce sens André-Paul Frognier, que " chaque élection doit être abordée en elle-même, de manière spécifique, ce qui ne signifie pas exclusive " [2000 : 76].

Les élections européennes des 10-13 juin 2004, par les enjeux décisifs qu’elles emportent et le contexte particulier dans lequel elles interviennent, confortent d’ailleurs cette option. Dans une Union comptant désormais 25 Etats membres, ce sont plus de 352 millions d’électeurs qui étaient appelés à désigner 732 eurodéputés. Des thèmes proprement européens, tels que les implications de l’élargissement, le projet de texte constitutionnel, son mode de ratification ainsi que les nouvelles compétences qu’il confère au Parlement européen, auraient donc théoriquement constitué l’essentiel de l’agenda de la plus importante élection transnationale jamais organisée. Ces problématiques communautaires invitent, par leur nature et leur impact, à porter le regard au-delà des sphères nationales pour précisément considérer le devenir de l’Europe en tant qu’entité politique et espace démocratique. Le type même de questionnements a priori au cœur de la campagne justifie par conséquent le fait d’adopter une posture d’analyse " post-nationale ". Celle-ci n’implique pas de considérer une quelconque " fin " ou une obsolescence de l’espace national, mais d’observer la thématique européenne " au-delà " du prisme des références forgées dans ce cadre familier [Habermas, 2000] pour interroger les fondements de l’identification potentielle des Européens à un ensemble commun qui appellerait concrètement à dépasser le champ national d’exercice du politique.

L’approche post-nationale a été principalement développée par le philosophe Jürgen Habermas à partir du contexte historique et intellectuel allemand [Habermas, 1998 ; Lacroix, 2002]. Adaptée aux études européennes, elle permet de poser un regard neuf sur la question des configurations identitaires. Elle invite notamment à dépasser l’idée selon laquelle l’Union serait en quelque sorte " condamnée " à ne pas être dotée d’une " identité propre " du fait de la difficulté à en dégager des fondements clairement établis, ancrés dans un processus de maturation similaire à ceux que proposent les différentes expériences nationales. Dans l’œuvre de Jürgen Habermas, c’est en effet la réflexion autour du patriotisme constitutionnel qui peut ici être mobilisée. Ce cadre conceptuel, initié par Dolf Sternberger [1990] et fondé sur la référence aux principes de l’Etat de droit, au respect des libertés fondamentales, permet d’envisager la formation d’une culture politique qui allierait unité de l’ensemble ainsi constitué et respect de la diversité culturelle propre aux sphères nationales [Habermas, 1992, 1996 ; Weiler, 1995].

Le développement d’une telle identité de type post-national invite par conséquent à dissocier les repères prégnants de l’appartenance nationale de l’espace politico-juridique porteur de ces valeurs d’inspiration universaliste. En ce sens, l’identité post-nationale ne renvoie pas au principe d’une identification à une entité supranationale, en l’occurrence à une Union européenne qui serait perçue sous la forme d’un " super-Etat ". Au contraire, le post-nationalisme tend précisément à opérer ce que Jean-Marc Ferry appelle une " médiation entre l’unité du cadre juridique [de la communauté politique] et la pluralité des cultures nationales " [Ferry et Thibaud, 1992 : 197]. La distinction de ces deux termes permet alors de considérer la dimension civique de l’identité européenne, l’" identité civique " que Michael Bruter définit comme une identification à l’Union européenne en tant qu’entité politique, définissant des droits et devoirs pour ses citoyens [2004 : 23]. Cette posture analytique invite à examiner la capacité des Européens à se reconnaître dans un espace politique essentiellement défini en termes civiques et non pas uniquement en fonction de considérations d’ordre " ethno-culturel ".

L’hypothèse post-nationale posée, entre autres, par Jürgen Habermas interroge donc les modalités de l’identification des citoyens à une architecture institutionnelle et constitutionnelle communautaire aujourd’hui en profonde mutation. Elle est l’occasion de discuter la thématique de la légitimité propre de l’Union au travers notamment de la participation aux élections européennes et du degré d’implication des " citoyens ". Ce scrutin intéresse précisément la notion de " citoyenneté " entendue dans ce cas au travers de ce que le sociologue britannique Thomas H. Marshall caractérisait comme des " droits politiques " [1950 : 28-30]. La question que soulèvent ces élections concerne la nature de la citoyenneté qui s’exprimerait à cette occasion, ainsi que l’espace politique, les enjeux par rapport auxquels elle se définirait. La citoyenneté suppose un " lien " unissant " les citoyens et ceux qui les gouvernent ". Selon cette lecture proposée par Sophie Duchesne et Pierre Muller, " il faut donc pour que la citoyenneté ait un sens que, d’une façon ou d’une autre, les comportements et les représentations des gouvernants et des gouvernés aient partie liée " [2003 : 35]. Or, quelle est concrètement la teneur de ce lien au plan communautaire, que signifie pratiquement le fait d’être " citoyen européen " comme le prévoient les dispositions du traité de Maastricht ? Est-ce d’ailleurs une citoyenneté proprement " européenne " qui se manifeste, au moins ponctuellement, au moment de l’élection du Parlement de Strasbourg, et peut-on dans ces circonstances évoquer la figure d’un " citoyen-électeur " ?

 

Les grands traits qui se dégagent des scrutins européens, et en particulier des récentes élections de juin 2004, qui interviennent à un moment charnière de l’histoire communautaire, replacent ainsi au cœur de la réflexion la figure du " citoyen " et interrogent les conditions de l’identification des Européens à une entité politique qui pourrait être d’inspiration post-nationale. Si l’on peut penser que la pratique démocratique, et notamment l’acte électoral, devrait idéalement, sur un thème a priori aussi " européen " que le choix des " eurodéputés ", dépasser les habituels référents nationaux, la réalité ne laisse-t-elle pas plutôt voir la " difficile émergence de l’électeur européen " pour reprendre le questionnement de Bruno Cautrès [2001] ? En fonction des motivations de leur vote, des lectures européennes et/ou nationales faites des enjeux portés par ce scrutin, est-on conduit à parler de " l’électeur européen " ou " des " électeurs européens ? L’emploi du singulier suppose qu’il serait possible de dégager des caractéristiques communes parmi ceux qui prennent part au vote en matière de profil sociologique, de participation, de logique de vote. La référence " aux " électeurs européens tend au contraire à souligner la segmentation de ce corps électoral en autant d’espaces d’expression qu’il existe d’Etats membres, figurant la diversité des motivations — pas nécessairement d’ordre européen — qui inspirent les attitudes à l’égard de ce scrutin.

Le comportement des Européens vis-à-vis de l’élection des eurodéputés place donc au centre de l’analyse la problématique de leur représentation politique aussi bien qu’elle interroge les conditions de réalisation d’une pratique démocratique à une échelle transnationale. L’organisation tous les cinq ans de ces scrutins européens suffit-elle à initier une conscience de citoyenneté à l’échelle de l’Union ? Les électeurs qui s’expriment alors le font-ils en tant que citoyens nationaux ou citoyens européens ? Au vu des conditions dans lesquelles se déroulent les campagnes et des résultats de l’élection du Parlement européen, quelles sont les limites auxquelles se heurte le projet de diffuser par l’acte électoral le sentiment d’une appartenance à une communauté politique " post-nationale ", au sens où elle appellerait à dépasser les référents nationaux pour tisser un lien de solidarité par-delà les frontières ?

 

Après un propos liminaire examinant la pertinence théorique d’une acception post-nationale de la citoyenneté (1), c’est donc le cadre concret des élections de juin 2004 qui est soumis à un examen critique. L’un des aspects marquants qui est alors souligné est le niveau de participation à ce scrutin. Pour reprendre l’observation de Bruno Cautrès, " la participation électorale, parce qu’elle adresse directement la question du soutien et de la légitimité qu’accordent les citoyens au système politique européen est un élément central d’interrogations ", bien qu’elle ne soit " qu’une des dimensions et qu’un des leviers de la représentation politique " [2003 : 38]. Cette première donnée commentée donne en effet un aperçu d’ensemble du déroulement de l’élection et de l’attitude des électeurs, qu’ils prennent part au vote ou qu’ils s’abstiennent. Mais avant de pouvoir tirer de cette interprétation des conclusions quant à la légitimité du Parlement ainsi élu et, plus largement, quant au soutien apporté à l’intégration communautaire, l’étude du comportement électoral doit être affinée. A cet effet, c’est une analyse quantitative qui est d’abord conduite afin de mettre en évidence les éléments contextuels susceptibles d’influencer la participation et l’attitude des électeurs. Cette étude permet notamment de vérifier si ce sont des " citoyens européens " qui s’expriment à travers ce vote, qui se déterminent en fonction d’une lecture européenne des enjeux, ou si l’on assiste à une " nationalisation " du scrutin rattrapé par les jeux politiques internes (2).

Ce regard analytique ne doit pas être compris comme instaurant une sorte de dichotomie entre cadre européen et champ politique national, ou encore comme une application mécanique aux élections de 2004 du qualificatif d’" élections de second ordre ", reléguées précisément au second plan par le poids des considérations nationales. Au contraire, notre étude veut s’attacher, on l’a dit, à considérer ce scrutin pour lui-même, à prendre la mesure des facteurs qui influencent la participation et le sens du vote, qu’il s’agisse de l’inscription des élections européennes dans le cycle électoral interne, ou encore de la capacité des électeurs à s’identifier à l’Europe (3) et à mettre en balance leur éventuel attachement affectif, plutôt que simplement utilitaire, à l’entreprise communautaire.

A l’heure où l’Europe s’apprête à se doter d’un cadre constitutionnel et à consolider de cette façon sa dimension politique, cette communication se propose d’examiner la dimension " civique " de l’intégration communautaire. L’élection du Parlement européen, en particulier le scrutin de juin 2004, constitue à ce titre un terrain d’études empiriques privilégié permettant la confrontation de l’idée post-nationale, c’est-à-dire de l’hypothèse d’une reconnaissance des citoyens en tant que parties prenantes d’une société politique de rang européen, à la perception concrète, par les populations appelées aux urnes, de cette construction. Les logiques et les modalités par lesquelles les électeurs investissent (ou non), selon un rythme quinquennal, ce temps de la vie démocratique de l’Union questionnent la lisibilité et la légitimité démocratique de cette entreprise, de même que la consistance de son orientation politique.

 

  1. La citoyenneté européenne est-elle une illustration du principe post-national ?
  2. La notion de " citoyenneté " est classiquement liée à l’Etat, à l’histoire de la nation qui lui servent de support et dont elle incarne la manifestation civique [Leca, 1986 ; Delanty, 1997]. D’après la lecture qu’en fait par exemple David Miller, la citoyenneté ne peut se comprendre par la seule référence à des principes généraux tels que le respect de la loi, des droits fondamentaux, qui ne comportent pas la dimension affective indispensable à la constitution d’une identité nationale [1995 : 175]. Dans ce creuset, la pratique démocratique s’appuie sur le sentiment d’appartenance à un même groupe, sur une identité partagée, ce qui fait dire à David Miller que ceux qui aspirent à créer des formes transnationales de citoyenneté ne prennent pas en compte les conditions nécessaires à l’émergence d’une " vraie " citoyenneté [1999 : 60]. Une telle posture place l’accent sur ce qu’elle perçoit comme l’impossibilité pour les citoyens de faire abstraction de leurs référents identitaires familiers. Elle ne permet donc pas de concevoir un ordre démocratique de nature post-nationale qui se référerait précisément à des principes généraux, loin des supports affectifs, et à des valeurs de portée universaliste fondant l’Etat de droit.

    La citoyenneté européenne instaurée par le traité de Maastricht se caractérise par une énumération de droits nouveaux. En ce sens, elle se rapprocherait du modèle développé par Yasemin Soysal qui s’appuie sur le constat selon lequel, depuis la Seconde guerre mondiale, la promotion des droits humains s’est renforcée principalement sous l’impulsion des mouvements transnationaux et sous l’égide des organisations internationales [1996 : 18-19]. L’expansion de ce corpus normatif démontrerait notamment que l’Etat-nation n’est plus la seule source légitime dans l’octroi de droits aux accents universels ("universal personhood"), qui déplacent de ce fait les limites de la citoyenneté sur un plan transnational [Soysal, 1994]. Par son aspect d’ordre juridico-éthique, la citoyenneté européenne recouperait l’ambition du patriotisme constitutionnel et du post-nationalisme qui posent les jalons d’une identité politique européenne se référant au droit plutôt qu’aux liens subjectifs d’identification à une communauté.

     

    Les progrès de l’intégration communautaire depuis le milieu des années 1970 se sont effectivement traduits par l’adjonction de droits politiques et sociaux à ceux à finalité économique énoncés dans le traité de Rome [Magnette, 1999 : 65-107]. Venant contrebalancer la tonalité marchande initiale, la " citoyenneté européenne " avait pour vocation de conférer une dimension plus politique à la construction européenne [Kovar et Simon, 1993 ; Margue, 1995 ; Boudant, 1995 ; Weiler, 1996] en attribuant quatre principaux droits qui s’ajoutent à ceux issus de la citoyenneté nationale : liberté de circulation et de séjour dans l’ensemble de l’espace communautaire (article 8.A), droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales et européennes (article 8.B), droit à une protection diplomatique et consulaire sur le territoire d’un pays tiers où l’Etat d’origine du citoyen concerné n’est pas représenté (article 8.C), droit de pétition devant le Parlement européen ainsi que la possibilité de recourir au médiateur (article 8.D) [Magnette, 2001a, 2002].

    La disposition de l’article 8.B, qui intéresse notamment la thématique des élections européennes, s’inscrit dans la logique marshallienne en ce qu’elle octroie des droits politiques et définit la citoyenneté comme la capacité de " participer à l’exercice du pouvoir politique en tant que membre d’un corps investi de l’autorité politique ou comme électeur des membres d’un tel corps " [Marshall, 1950 : 11 ; Birnbaum, 1996 : 58-59 ; Déloye, 1998 : 170-171]. En s’appliquant à tout citoyen de l’Union résidant dans un Etat membre dont il n’est pas ressortissant, ce droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales et lors des scrutins européens, pose le principe d’une dissociation de l’acte électoral de la nationalité et de la citoyenneté du pays dans lequel il est mis en pratique : chaque " citoyen européen " a le droit de prendre part à la vie politique de l’Etat dans lequel il demeure indépendamment de ses liens culturels avec la nation de résidence. La portée novatrice de ce droit lié à la citoyenneté européenne se trouve toutefois limitée par les conditions de sa mise en œuvre, ce qui lui confère par conséquent une dimension quelque peu symbolique [Strudel, 2002, 2003]. De plus, la référence à la nationalité n’est pas totalement absente dans l’octroi de ce droit de vote qui concerne les " citoyens " de l’Union.

    Cette dernière considération renvoie plus généralement aux modalités d’attribution de la citoyenneté européenne. L’article 8 du traité de Maastricht dispose en effet qu’" est citoyen de l’Union toute personne ayant la nationalité d’un Etat membre ". La citoyenneté européenne est donc de fait tributaire des modalités de son attribution au sein de chaque pays membre. Ce sont finalement les gouvernements nationaux qui ont la maîtrise de l’accès à la citoyenneté européenne dans la mesure où ce sont eux qui déterminent, par leurs réglementations respectives, qui sont leurs nationaux. Cette remarque vient tempérer la vision post-nationale de la citoyenneté que présente par exemple Yasemin Soysal. Le traité d’Amsterdam, dans son article 17, précise bien que la citoyenneté européenne " complète la citoyenneté nationale " et ne s’y substitue pas. Ce lien inextricable entre les deux citoyennetés interroge directement la pertinence de la perspective post-nationale puisque c’est la qualité de ressortissant d’un pays membre de l’Union qui permet de se voir reconnu en tant que " citoyen européen ". Ce préalable de la nationalité n’est-il pas à l’origine d’une fragmentation sociétale au sein même de l’Union européenne ? N’entretient-il pas une situation de discrimination entre les titulaires de la citoyenneté européenne et ceux qui, parce qu’ils ne sont pas les nationaux des pays membres, n’en bénéficient pas ? Est-il alors même possible de considérer la citoyenneté européenne comme une application concrète du cadre théorique post-national ?

     

    Les droits associés à la citoyenneté européenne telle que définie par le traité de Maastricht apparaissent en effet comme une forme de " préférence communautaire " [Lochak, 1995 : 57] en faveur des ressortissants des pays de l’Union. La mise en œuvre de cette citoyenneté nouvelle se traduit là encore par un phénomène d’exclusion, de " fermeture " [Leca, 1992 : 13], à l’instar de l’identité qui se constitue par rapport à la figure de l’altérité. Cette discrimination produite à l’intérieur des sociétés européennes découle de la nationalité des Etats membres, qui est la condition sine qua non de l’attribution de la citoyenneté européenne. Aussi apparaît-il plus difficile de concevoir la citoyenneté européenne comme l’un des fondements possibles d’une " société fédérale post-nationale " [Duff, 2002 : 3].

    Dans la démonstration habermassienne, la référence aux principes fondamentaux vise à favoriser le dépassement du " principe nationaliste " [Ferry, 1992 : 40, 1997 : 436] et à rendre compatibles pluralité culturelle et unité de l’ensemble politique en opérant la différenciation entre les concepts de la nationalité et de la citoyenneté [Lacroix, 2002 : 136-137]. Or, la citoyenneté européenne, " complément " des citoyennetés nationales, rappelle dans les modalités mêmes de son attribution la prégnance de la référence " nationale ", les non-nationaux des Etats membres ne pouvant être citoyens de l’Union [Martiniello, 1994]. En conséquence, elle fragmente le champ social en instaurant des " frontières " de la citoyenneté  [Bertossi, 2001], en entretenant un mécanisme d’inclusion et d’exclusion du point de vue du bénéfice des droits qui en sont le corollaire .

    La citoyenneté européenne instaurée par le traité de Maastricht revêt un aspect dual qui résulte d’une sorte de distorsion entre son ambition et les modalités de sa mise en pratique. Elle vient appuyer le projet d’une union politique et se présente comme un instrument de rupture avec les représentations de l’Européen " consommateur " pour placer l’accent sur l’Européen " citoyen ", aux ressorts politiques, et renforcer la conscience de l’appartenance à une authentique communauté, consolider la légitimité démocratique de l’Union [Commission européenne, 1991 : 74]. Mais en pratique, par la discrimination qu’elle institue à l’égard de ceux qui ne sont les nationaux d’aucun Etat membre, la citoyenneté européenne n’intègre pas l’ensemble de la population vivant sur le territoire communautaire et perpétue le schéma d’allégeance de chaque Européen à son cadre national [Martiniello, 1997]. Ce constat relativise les conclusions de Dominique Schnapper lorsqu’elle écrit que " la citoyenneté nationale n’est plus seule à conférer un statut légal et des droits " et que " les institutions européennes sont en train de construire une nouvelle citoyenneté qui remet en cause le lien historique entre Etat-nation et citoyenneté " [2002 : 117]. Au contraire, loin d’amenuiser ce " lien historique ", la pratique de la citoyenneté européenne le conforte et le rend d’autant plus perceptible à tous ceux qui se retrouvent " exclus " de son bénéfice et des droits qu’elle confère.

     

    La référence nationale est par conséquent toujours présente lorsque l’on considère la problématique de la citoyenneté européenne. En effet, le droit de la nationalité qui " définit le lien juridique entre l’individu et l’Etat " et constitue " la traduction, dans l’ordre des réalités concrètes, de la conception de la nation " [Schnapper, 1991 : 51], transparaît au travers du mode d’attribution de la citoyenneté de l’Union. Celle-ci revêt un caractère particulier en ce qu’elle n’est pas rattachée à une identité européenne clairement déterminée. A défaut de pouvoir reposer sur un socle historique et culturel unanimement partagé par l’ensemble des Européens, la citoyenneté européenne repose sur les identités nationales par le biais de la nationalité respective des Etats membres. Les droits qui la caractérisent pallient en quelque sorte l’impossibilité d’une référence à une " nationalité européenne ".

    Contrairement à la situation qui prévaut dans le cadre national, où le statut de citoyen se fonde habituellement sur un corpus de droits et de devoirs, les droits découlant de la citoyenneté européenne ne sont pas associés à des devoirs, ce qui viendrait illustrer la formule de l’" âge des droits " évoqué par Norberto Bobbio [1996]. Les développements récents de l’intégration communautaire semblent perpétuer cet état de fait. En effet, le projet de texte constitutionnel proposé par la Convention sur l’avenir de l’Europe dispose dans son article 8-2 que les citoyens de l’Union bénéficient des droits octroyés par les traités existants (libre circulation, droit de vote et d’éligibilité aux élections européennes et municipales dans l’Etat membre de résidence, protection des autorités diplomatiques et consulaires sur le territoire d’un pays tiers, droit de pétition, recours au médiateur européen, droit de s’adresser aux institutions et aux organes consultatifs de l’Union dans une des langues de la Constitution et de recevoir une réponse dans la même langue) et qu’ils sont soumis aux " devoirs prévus par la Constitution ", sans que la teneur de ces derniers soit toutefois davantage précisée.

    La rupture de la traditionnelle dialectique entre droits et devoirs pourrait alors faire du lien de " citoyenneté européenne " une source relativement lâche d’identification commune. Certains commentateurs ne voient en la citoyenneté européenne " rien qui fasse sens, qui suggère une éthique, un devoir, une vocation ", mais plutôt une consécration de droits sans imposition de devoirs qui poursuivrait la " tendance désinstitutionnalisante des sociétés contemporaines " [Ferry et Thibaud, 1992 : 45-50]. Plutôt que de porter un jugement définitif et un regard normatif sur la question, il pourrait être utile à l’analyse d’explorer l’aspect de la citoyenneté européenne qui concerne la participation à un projet de société partagé, le sentiment d’appartenir à une communauté politique et l’investissement dans la vie démocratique de celle-ci. De ce point de vue, l’élection du Parlement de Strasbourg fournit un cadre empirique à l’évaluation de l’appropriation de l’intégration communautaire par les Européens ou, tout du moins, de leur compréhension de ses enjeux. Cet axe d’étude permet de déterminer si ces élections constituent un instant d’expression d’une " citoyenneté européenne " et si, à cette occasion, un espace démocratique se met en place par-delà les frontières et les repères nationaux, ce qui ouvre finalement la voie à une évaluation de la pertinence de la perspective post-nationale.

     

  3. Une élection sans les électeurs ? Regards sur la participation aux scrutins européens et leur inscription dans les cycles électoraux nationaux
  4. La participation électorale est l’une des dimensions essentielles de la formation d’une identité civique et de la consolidation de la démocratie. Elle donne sa consistance à la notion de citoyenneté en ce sens qu’elle permet aux citoyens d’exprimer leur reconnaissance en tant que membres d’une société politique. La citoyenneté se définit en effet comme " un statut social (membership), codifié juridiquement et conférant un ensemble de droits aux individus à qui ce statut est reconnu. C’est aussi un ensemble d’obligations, formelles ou informelles, qui exigent — le plus souvent — que les individus prennent part aux affaires de la Cité et participent activement aux affaires publiques d’une entité politique […] dont ils sont membres " [Déloye, 1998 : 170]. La logique initiale qui anime la citoyenneté européenne est précisément d’accentuer la dimension politique de la construction communautaire par rapport à son orientation économique, de tenter de rapprocher l’Europe de " ses citoyens " pour lui conférer une légitimité renforcée. La pratique interroge toutefois l’émergence d’une identité européenne et le déroulement des élections au Parlement européen permet d’évaluer la réalité ainsi que l’acuité du sentiment d’appartenance à une entité politique débordant le cadre national.

    Alors que les élections européennes représentent un rare moment de démocratie directe au cœur de l’Union, l’une des caractéristiques traditionnellement soulignée à propos de ce scrutin au suffrage universel direct concerne le recul constant de la participation qui l’affecte. La démobilisation électorale se mesure par l’augmentation régulière du taux moyen d’abstention qui est passé de 37 % lors de la première élection de 1979, à 39 % en 1984, 41.5 % en 1989, 43.2 % en 1994, 50.6 % en 1999 [Abrial et Pina, 1999 ; Belot et Greffet, 1999 ; Delwit, 2000], pour atteindre 54.3 % en juin 2004. L’abstention enregistre par conséquent une hausse de près de 17 points sur 25 ans, selon une progression qui va en s’amplifiant, du moins jusqu’en 1999 : de 1979 à 1994, le taux d’abstention croît en effet d’environ deux points d’une élection à l’autre, pour augmenter de 7.4 points entre 1994 et 1999. Sur la période 1999-2004, le différentiel n’est " que " de + 3.7 points, mais l’abstention n’est en pas moins élevée, signifiant que moins d’un électeur sur deux s’est effectivement rendu aux urnes. Ce sixième renouvellement du Parlement européen s’est déroulé dans des conditions que l’on pourrait qualifier d’" exceptionnelles " par le nombre d’électeurs sollicités (plus de 352 millions) dans une Europe accueillant dix nouveaux membres, et surtout par la densité de la problématique communautaire, au lendemain de cet élargissement et en plein débat sur le projet constitutionnel européen. En dépit du caractère crucial de ces enjeux, le taux de participation dans l’Union à 25 ne s’élevait qu’à 45.7 %.

    Parmi les Etats membres ayant déjà l’expérience de ce scrutin, un examen sommaire fait apparaître certaines différences dans le comportement électoral (tableau 1). Par rapport à l’élection de 1999, à laquelle ont pris part tous les Quinze, ce qui permet la comparaison avec les données de 2004, la participation est en recul, dans des proportions diverses, en Allemagne (-2.2 points), en Belgique (-0.2), en France (-4.2), au Danemark (-2.5), en Grèce (-6.8), en Espagne (-19.3), au Portugal (-1.8), en Autriche (-6.6) et en Suède (-0.5), autant de pays qui appartiennent à des vagues différentes d’entrée dans l’Europe. Pays fondateurs et membres plus récents sont indistinctement touchés par l’érosion de la participation. L’ancienneté au sein de l’Union n’est donc pas un facteur probant pour expliquer une évolution qui reste au demeurant très contrastée. Si l’on s’arrête ne serait-ce que sur les tendances observables parmi les Etats ayant adhéré à l’Union en même temps (si l’on compare, par exemple, les cas belge, luxembourgeois, italien, à l’Allemagne et la France, ou l’Irlande par rapport au Royaume-Uni), les situations sont variées, reflétant d’autres influences.

    C’est, entre autres, le cas des traditions électorales propres à chaque pays membre. Le vote obligatoire en Belgique, au Luxembourg et en Grèce contribue certainement à maintenir le taux de participation bien au-dessus de la moyenne communautaire et du seuil des 50 %. Ce premier constat doit cependant être relativisé par la part des bulletins blancs ou nuls, respectivement de 5.37 % et de 8.35 % en Belgique et au Luxembourg, alors que parmi les 25 la moyenne s’établissait à 3.76 % . Le cas grec — où l’on dénombrait, en 2004, 2.56 % de bulletins blancs ou nuls — montre en outre que la dimension contraignante du vote ne prémunit pas d’une érosion de la participation (-6.8 points entre 1999 et 2004), plus marquée que dans les deux autres pays. D’autre part, des élections locales ou nationales peuvent se tenir simultanément au scrutin européen. En juin dernier, c’était par exemple le cas en Allemagne (élections régionales en Thuringe), en Belgique (élections régionales), au Luxembourg (élections législatives), en Irlande (élections locales et tenue d’un référendum sur le droit du sol), en Italie (élections locales) et au Royaume-Uni (élections municipales et locales). La simultanéité des consultations et des enjeux peut favoriser la participation au scrutin européen en incitant les électeurs à se rendre aux urnes, comme en Irlande où la participation a été supérieure en 2004 de 8.3 points à ce qu’elle était en 1999. Mais la corrélation, en l’occurrence positive, ne se vérifie pas en toutes circonstances, ainsi qu’en témoigne la (certes légère) variation négative de la participation en Belgique (-0.2). Par ailleurs, d’autres facteurs sont là encore susceptibles d’influencer le comportement électoral. Dans le cas de l’Italie, hormis des élections de portée locale concernant environ 80 % des électeurs, la participation de 73.1 % peut aussi s’expliquer par la réminiscence du caractère obligatoire du vote jusqu’en 1993, perpétuant une sorte de " discipline " civique même si la part des votes blancs ou nuls s’élève tout de même à 8.81 %.

    Dans les nouveaux Etats de l’Union, seulement un peu plus du quart des électeurs inscrits sur les listes électorales ont participé à l’élection du Parlement européen : il s’agirait donc d’un " rendez-vous manqué " [Flash EB 162, 2004 : 5] pour les dix nouveaux adhérents. Les pays d’Europe centrale et orientale ne sont pas parvenus à mobiliser la moitié de leurs électeurs : les taux de participation les plus bas se retrouvent en Slovaquie (16.9 %) et en Pologne (20.9 %), les plus importants en Lituanie (39.4 %), où le scrutin européen avait lieu en même temps que le premier tour de l’élection présidentielle, et en Lettonie (41.3 %). Parmi les nouveaux membres se distinguent Chypre avec une participation de 71.2 % (le vote est obligatoire), et Malte (82.4 % de votants) où les Européennes étaient couplées à des élections locales. La faiblesse de la participation enregistrée et l’absence de points de comparaison avec de précédentes élections européennes ne permettent pas de tirer des conclusions définitives sur les motivations d’un tel comportement. Du moins peut-on dire que l’adhésion de ces pays est très récente, ce qui peut expliquer le peu de familiarité des électeurs avec les enjeux européens. Comme l’indique l’enquête Eurobaromètre conduite immédiatement après la tenue du scrutin, " trop peu de temps s’est écoulé depuis l’élargissement pour que certains interviewés dans les dix nouveaux Etats membres prennent conscience de leur nouvelle citoyenneté européenne " [Flash EB 162, 2004 : 45].

    Indépendamment de l’ancienneté dans l’Union, il apparaît d’ailleurs que l’abstention est de manière générale plus importante lorsqu’il s’agit des élections européennes que lorsque l’enjeu du scrutin est national. La comparaison des élections de rang national et des Européennes doit s’effectuer avec prudence compte tenu de la différence de nature entre ces deux rendez-vous électoraux. Les données recueillies laissent cependant percevoir un différentiel de proportion variable selon les Etats membres entre la participation aux Européennes de 2004 et celle aux précédentes législatives (figure 1). Parmi les Quinze, il varie de -0.8 points pour la Belgique (où le vote est obligatoire) à -42.3 points pour la Suède ; le Luxembourg est le seul pays dans lequel la participation aux Européennes est supérieure aux précédentes législatives (+2.5 points). Pour les dix nouveaux adhérents, l’écart est toujours négatif, de -9.8 points pour la Lituanie (où le scrutin était couplé au premier tour de la présidentielle) à -53.2 points pour la Slovaquie.

    Tableau 1 — La participation aux élections européennes et aux précédentes élections législatives parmi les 25 Etats membres de l’UE

    Evolution du taux de participation aux élections européennes (en %)

    Participation aux précédentes élections législatives (en %)

    Ecart de participation entre les Européennes de juin 2004 et les précédentes législatives

    Etats membres

    1979

    1981

    1984

    1987 a

    1989

    1994

    1995 a

    1996 a

    1999

    2004

    Allemagne

    65.7

    56.8

    62.4

    60.0

    45.2

    43.0 d

    79.1 (2002)

    -36.1

    Autriche

    67.7

    49.0

    42.4

    84.3 (2002)

    -41.9

    Belgique b

    91.6

    92.2

    90.7

    90.7

    91.0 d

    90.8 d

    91.6 (2003)

    -0.8

    Danemark

    47.1

    52.3

    46.1

    52.9

    50.4

    47.9

    87.2 (2001)

    -39.3

    Espagne

    68.9

    54.8

    59.1

    64.4 d

    45.1

    75.7 (2004)

    -30.6

    Finlande

    60.3

    30.1

    39.4

    69.7 (2003)

    -30.3

    France

    60.7

    56.7

    48.7

    52.7

    47.0

    42.8

    60.3 (2002)

    -17.5

    Grèce b

    78.6

    77.2

    79.9

    71.2

    70.2

    63.4

    76.5 (2004)

    -13.1

    Irlande

    63.6

    47.6

    68.3

    44.0

    50.5 d

    58.8 d

    62.6 (2002)

    -3.8

    Italie c

    85.5

    83.9

    81.5

    74.8

    70.8 d

    73.1 d

    81.4 (2001)

    -8.3

    Luxembourg b

    88.9

    87.0

    87.4

    88.5

    85.8 d

    89.0 d

    86.5 (1999)

    2.5

    Pays-Bas

    57.8

    50.5

    47.2

    35.7

    29.9

    39.3

    80.0 (2003)

    -40.7

    Portugal

    72.2

    51.1

    35.5

    40.4

    38.6

    62.8 (2002)

    -24.2

    Royaume-Uni

    31.6

    32.6

    36.2

    36.4

    24.0

    38.9 d

    59.4 (2001)

    -20.5

    Suède

    41.6

    38.3

    37.8

    80.1 (2002)

    -42.3

    Chypre b

    71.2

    91.8 (2001)

    -20.6

    Estonie

    26.8

    58.2 (2003)

    -31.4

    Hongrie

    38.5

    73.5 (2002)

    -35

    Lettonie

    41.3

    71.2 (2002)

    -29.9

    Lituanie

    48.4 d

    58.2 (2000)

    -9.8

    Malte

    82.4 d

    95.7 (2003)

    -13.3

    Pologne

    20.9

    46.2 (2001)

    -25.3

    République tchèque

    28.3

    57.9 (2002)

    -29.6

    Slovaquie

    16.9

    70.1 (2002)

    -53.2

    Slovénie

    28.3

    70.3 (2000)

    -42

    Moyenne dans l'UE

    63.0

    61.0

    58.5

    56.8

    49.4

    45.7

    a Elections européennes suivant l’adhésion à l’Union

    b Pays dans lesquels le vote est obligatoire

    c Le vote n’est plus obligatoire en Italie depuis 1993

    d Tenue d’élections locales, régionales ou parlementaires le même jour que les élections européennes

    Sources : European Parliament Election Results, Strasbourg, Parlement européen, 2004 (collaboration PE — EOS Gallup Europe) et Flash Eurobaromètre 162, " Enquête post-élections européennes 2004 ", Terrain : 21/06/2004 —30/06/2004, Publication : juillet 2004.

    Figure 1

    Les scrutins européens apparaissent alors peu mobilisateurs comparativement aux rendez-vous électoraux nationaux. Les premières enquêtes post-électorales réalisées à l’issue des élections de juin 2004 indiquent que les votants réguliers (qui ont participé à la fois aux élections générales de leurs pays et aux Européennes) représentaient 40 % des personnes interrogées à l’échelle des 25 Etats membres de l’Union [Flash EB 162, 2004 : 11]. La proportion de ceux que Jean Blondel qualifiait d’" abstentionnistes volontaires eurospécifiques " [Blondel et al., 1998 : 41-43] — c’est-à-dire les électeurs mobilisés uniquement lors des derniers scrutins nationaux et qui, par définition, se sont abstenus aux Européennes — s’élevaient à 31 % en juin 2004. Les abstentionnistes réguliers, qui n’ont voté ni à la dernière élection générale nationale ni aux Européennes, représentaient près du quart des personnes interrogées. Ceux qui n’ont pas participé aux élections européennes se disaient être à 21 % des abstentionnistes " convaincus " (qui ne votent jamais), à 32% des abstentionnistes " réfléchis " (ayant pris la décision de s’abstenir quelques mois avant l’élection), à 38% des abstentionnistes " impulsifs " (qui se sont décidés quelques jours avant ou le jour même du scrutin) [Flash EB 162, 2004 : 11-13].

    Ces données font apparaître les Européennes comme des consultations de " second ordre ", donnant à penser que les électeurs considèrent qu’il y a " moins en jeu " dans ces élections [Reif, 1985 : 8]. La notion de " second ordre " traduit l’idée d’une subordination des élections européennes aux considérations de politique intérieure et aux cycles électoraux nationaux. Elles sont alors comprises comme autant d’élections nationales " intermédiaires ", sous l’influence des configurations politiques propres aux différentes arènes nationales et des rapports de force partisans. De fait, lorsqu’elles interviennent à mi-mandat, recoupant la notion de " mid-term election " [Nugent, 1993 : 145], elles sont le plus fréquemment animées par la logique du vote sanction. Pour se limiter au cas des pays membres autrefois désignés par l’appellation des " Quinze ", les élections de juin 2004 n’ont pas échappé à cette " nationalisation " du scrutin, dans des campagnes souvent peu centrées sur la problématique communautaire et davantage focalisées sur le bilan des gouvernements en place.

    En France, les résultats de juin 2004 ont confirmé ceux des régionales de mars, déjà défavorables au gouvernement de droite : un peu plus de 12 points séparent le Parti socialiste et ses 28.9 % des voix, de l’Union pour un Mouvement Populaire (avec 16.6 % des voix), clé de voûte de la majorité parlementaire. Le vote sanction est également très net en Allemagne, où le SPD connaît son plus faible résultat depuis 1953, avec 21.5 % des voix, alors que la CDU recueille 36.5 % des suffrages et les Verts, membres de la coalition gouvernementale, 11.9 % des voix. Au Royaume-Uni, les élections européennes ont également eu valeur de test, principalement pour le Premier ministre, au moment où il apparaît le plus contesté sur la scène politique nationale. Si les conservateurs obtiennent 27.4 % des voix et les travaillistes 22.3 %, c’est le score du Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni (UKIP) qui est remarquable : ce parti eurosceptique, qui se mobilise seulement à l’occasion des élections européennes pour ne réclamer rien de moins que la sortie du pays de l’Union, recueille en effet 16.8 % des suffrages les plus conservateurs et anti-européens [Flash EB 162, 2004 : 20, 48]. Dans ce paysage, l’Espagne et la Grèce font figures d’exception : les gouvernements élus en mars, respectivement de gauche et de centre droit, voient leur position confirmée .

     

    En tout état de cause, si les élections européennes se caractérisent par la faiblesse de la participation et par des interférences avec les considérations politiques nationales, il serait réducteur de considérer que la faiblesse de la participation est le reflet direct du peu d’intérêt des citoyens à l’égard de l’intégration communautaire. La situation témoigne, certes, d’une indifférence relative par rapport à ce scrutin particulier, mais cela n’implique pas automatiquement une pareille attitude envers la question européenne dans sa généralité. C’est en effet ce que révèle la comparaison avec d’autres types de consultations en rapport avec l’Europe.

    Lorsque les citoyens sont consultés dans d’autres contextes que l’élection du Parlement européen, ils ont tendance à se mobiliser plus massivement. A titre d’exemple, le taux de participation atteignait 69.7 % en France à l’occasion du référendum sur le traité de Maastricht en 1992, alors qu’il n’était que de 48.7 % aux Européennes de 1989 et de 52.7 % à celles de 1994. La participation s’élevait à 86 % au Danemark lors du second référendum sur Maastricht en mai 1993 (contre 52.9 % au scrutin européen de l’année suivante), à 74 % en Finlande, 81.3 % en Autriche et 83.3 % en Suède lors des référendums sur les traités d’adhésion (alors que la participation aux premières élections européennes dans ces trois pays s’établissait respectivement à 60.3 %, 67.7 % et 41.6 %). De même, les électeurs des pays d’Europe centrale et orientale se sont davantage mobilisés lors des référendums d’adhésion de leur pays à l’Union qu’aux premières élections européennes de leur histoire, ainsi que le montre le tableau 2.

     

    Tableau 2

    Pays

    Participation au référendum d’adhésion (en %)

    Participation aux élections européennes de juin 2004 (en %)

    Malte

    91

    (8 mars 2003)

    82.4

    Slovénie

    55.7

    (23 mars 2003)

    28.3

    Hongrie

    45.6

    (12 avril 2003)

    38.5

    Lituanie

    63.3

    (10-11 mai 2003)

    48.4

    Slovaquie

    52.2

    (16-17 mai 2003)

    16.9

    Pologne

    58.8

    (7-8 juin 2003)

    20.9

    République tchèque

    55.2

    (13-14 juin 2003)

    28.3

    Estonie

    63

    (14 septembre 2003)

    26.8

    Lettonie

    72.5

    (20 septembre 2003)

    41.3

    Le traité d’adhésion n’a pas été soumis à référendum à Chypre. Il a été ratifié en juillet 2003 en conformité avec les procédures nationales de ratification.

    Sources : Fondation Robert Schuman - Observatoire des élections en Europe pour les référendums d’adhésion ; European Parliament Election Results, Strasbourg, Parlement européen, 2004 et Flash Eurobaromètre 162, pour la participation aux Européennes de juin 2004.

    La dimension concrète de la construction européenne se manifeste lors des consultations référendaires sur des traités dits " d’étape " permettant la poursuite de l’intégration. Elle l’est aussi, et sans doute plus fortement, dans le cas des traités d’adhésion qui marquent, par définition, l’inclusion d’un nouvel Etat dans l’Europe et signent là un changement de statut aussi bien symbolique que politique dans la mesure où le pays concerné devient officiellement " membre " de l’Union. Les référendums organisés pour la ratification des traités suscitent généralement une mobilisation plus importante que les élections européennes, car les citoyens y perçoivent un enjeu direct, une manifestation réelle de l’impact de l’intégration communautaire au plan national. Ceci laisse supposer que dès lors qu’un lien peut être établi entre la construction européenne et ses incidences nationales, les citoyens sont davantage portés à la mobilisation. Par contraste, les enjeux propres aux élections européennes ne seraient pas aussi clairement perçus et laisseraient par conséquent les électeurs relativement indifférents.

    L’idée même d’une élection européenne de " second ordre ", avec " moins en jeu " que dans les scrutins déterminant l’attribution du pouvoir national, renvoie au manque de visibilité du rôle et des pouvoirs du Parlement de Strasbourg, à une certaine difficulté de percevoir les enjeux propres à la désignation des eurodéputés. Et lorsque les électeurs se prononcent, c’est aussi en partie pour adresser des " messages " à visées internes à leurs responsables politiques. Ces quelques éléments indiquent que les élections européennes ne parviennent pas encore à s’autonomiser des espaces politiques nationaux, à s’européaniser, à être reconnues en tant que telles, comme des scrutins de portée véritablement " supra-nationale ", avec des problématiques et des enjeux propres à l’Europe. Cette première conclusion résulte de commentaires généraux sur les situations perceptibles dans les Etats membres, remarques nécessaires pour dresser les caractéristiques des contextes dans lesquels les électeurs sont amenés à se prononcer et pour appréhender l’influence des facteurs auxquels ils peuvent être soumis. L’analyse doit à présent être affinée en s’intéressant précisément à la capacité d’identification de ces électeurs à l’Europe et à l’impact éventuel de ce soutien affectif sur le vote.

     

  5. L’attachement affectif à l’Europe en question : identification à la construction européenne et participation électorale

Les élections européennes se caractérisent par le faible niveau de la participation électorale et par le poids des enjeux nationaux qui pèsent sur ce scrutin. Il ressort de ce tableau d’ensemble qu’" entre l’attrait du vide et la confusion des enjeux, l’électeur européen apparaît comme une sorte d’électeur sans visage ou encore d’électeur à faux nez, mais en tout cas pas comme un électeur… européen " [Frognier, 2000 : 76]. Pour explorer la piste d’une spécificité européenne qui se dérobe au regard que conduit à poser sur ces élections le modèle du scrutin de " second ordre ", il peut être intéressant d’examiner l’hypothèse selon laquelle la participation aux Européennes pourrait refléter le degré d’identification des électeurs à l’intégration communautaire.

Ce postulat revient à interroger la thématique identitaire en observant les interactions qui peuvent s’établir entre les identités nationales et une identité européenne encore en devenir, qui amènerait les citoyens nationaux à se considérer comme des " Européens " membres d’une " communauté de destin ". Les " identités " ne sont pas statiques mais font l’objet de reformulation sous l’effet de leurs influences réciproques. En raison de l’aspect interactif de ce " réaménagement " des repères identitaires, c’est bien la notion dynamique de l’" identification " des personnes interrogées à leur nationalité et/ou à leur statut d’Européens qui peut ici être mise en avant .

Si les élections européennes ont une spécificité et ne sont pas uniquement subordonnées aux scrutins nationaux, la participation devrait évoluer en fonction de l’identification à l’Europe, une identification qui se comprend comme le fait de se sentir (non exclusivement) européen. Ainsi, " les Etats comportant plus d’électeurs identifiés à l’Europe en ce sens devraient avoir un taux de participation plus élevé que ceux qui en comptent moins. Si cette relation n’était pas vérifiée, et plus largement si aucune relation ne pouvait être détectée entre la participation et des attitudes même minimales d’appartenance à l’Europe, le champ serait alors plus libre pour des interprétations de la participation liées aux spécificités de la vie politique intérieure des Etats " [Frognier, 2000 : 76-77].

Le support empirique de cette démonstration est fourni par les Eurobaromètres. Ces enquêtes évaluent depuis 1973, à raison de deux principaux relevés annuels, l’attitude des Européens vis-à-vis de l’intégration communautaire. Quatre indicateurs rendent possibles des comparaisons temporelles : le soutien aux efforts d’unification européenne, le soutien à l’appartenance du pays à l’Union, l’estimation du bénéfice tiré de cette appartenance — ce que Oskar Niedermayer [1995 : 54] qualifiait de mesure du soutien utilitaire à la construction européenne —, et l’évaluation du degré d’enthousiasme suscité par l’intégration communautaire à partir d’un questionnement prospectif sur les réactions (regrets, soulagement ou indifférence) des personnes interrogées en cas de dissolution de l’Union [Cautrès et Sinnott, 2000 : 22-25].

La formulation des questions portant sur la perception de l’" identité européenne " a varié au gré des enquêtes. Depuis 1992 cependant, les personnes interrogées sont conviées à se projeter dans un futur proche pour ensuite dire si elles se sentiront " seulement nationales ", " nationales et européennes ", " européennes et nationales " ou " seulement européennes ". A la différence des autres indicateurs qui ne mesurent pas le rapport aux identités, cette question permet de prendre en considération le soutien affectif, et non pas seulement utilitaire, à l’Europe. De précédentes enquêtes ont abouti à des conclusions contradictoires s’agissant du lien qui peut ou non être établi entre les attitudes à l’égard de l’intégration européenne et la participation électorale [Van der Eijk et Schmitt, 1991]. La mise en relation de l’identification des citoyens à l’Europe et de la mobilisation lors des élections européennes constitue une première amorce d’analyse microsociologique, même s’il ne s’agit encore là que de réponses agrégées et non pas strictement individuelles.

Notre champ d’étude exclut les Etats ayant rejoint l’Union le 1er mai 2004 pour éliminer les biais que pourrait introduire le caractère précisément trop récent de leur adhésion. Le groupe des Quinze présente dans l’ensemble une " ancienneté " — relative du fait des adhésions successives qui ne remontent, pour les dernières, qu’à un peu moins de dix ans — dans son rapport à l’Europe et aux recompositions identitaires qu’elle suggère. De même, en 2004, il ne s’agissait pas pour ces pays de leur premier scrutin européen, ce qui donne des points de comparaison avec les expériences électorales antérieures. Dans chacun des pays étudiés, on distingue deux catégories de citoyens selon la nature de leur identification à l’Europe : ceux qui éprouvent une identité " euronationale " (c’est-à-dire ceux qui se sentent " seulement européens ", " européens et nationaux " et " nationaux et européens ") et ceux qui ne se définissent que par leur nationalité . Pour étudier le rapport entre identification européenne et participation aux élections de juin 2004, c’est l’Eurobaromètre 61, réalisé quelques semaines avant le scrutin, qui est ici mobilisé (voir le tableau 3 où les Etats membres sont classés par ordre décroissant d’identification euronationale).

La lecture de ces données montre que l’attitude " euronationale " ne recoupe pas une distribution géographique précise. Et tout comme l’ancienneté au sein de l’Union n’est pas révélatrice de la propension des électeurs à voter ou s’abstenir, l’identité euronationale n’est pas davantage déterminée par l’aspect plus ou moins récent de l’adhésion [Duchesne et Frognier, 1995 : 223]. Tous les pays fondateurs de l’Union ne présentent pas des degrés identiques d’identité euronationale : on peut à cet égard comparer les résultats du Luxembourg (73%) et des Pays-Bas (52%). Malgré une plus longue expérience de l’Europe, certains de ces Etats présentent une identité euronationale d’une proportion inférieure à celle de membres plus " récents " : l’Allemagne (62%) et la Belgique (61%) sont ainsi devancées par l’Espagne (68%), tout comme le Royaume-Uni (en fin de classement avec 38% d’identité euronationale) est dépassé par l’Irlande, le Danemark, la Grèce, l’Espagne, le Portugal, la Finlande, la Suède et l’Autriche, soit par autant de pays ayant adhéré en même temps ou lors des vagues suivantes.

 

Tableau 3

Identité

euronationale

(en %)

Participation aux élections européennes de juin 2004 (en %)

Luxembourg

73

89

Italie

72

73.1

France

71

42.8

Espagne

68

45.1

Allemagne

62

43

Belgique

61

90.8

Danemark

57

47.9

Portugal

54

38.6

Pays-Bas

52

39.3

Irlande

51

58.8

Autriche

50

42.4

Grèce

45

63.4

Suède

43

37.8

Finlande

40

39.4

Royaume-Uni

38

38.9

Sources : Eurobaromètre 61 (période : avril 2004) et Résultats des élections européennes, Strasbourg, Parlement européen, 2004.

Le croisement de ces données avec les taux de participation relevés dans chaque Etat à l’issue des Européennes indiquerait une relation positive entre identité euronationale et mobilisation électorale. Le calcul donne une corrélation positive de 0.493, ce qui confirmerait la conclusion d’A.-P. Frognier à propos des élections de juin 1999 selon laquelle " l’analyse de la participation et de l’identité européenne renvoie à des relations entre les Etats qui ne sont certainement pas purement aléatoires, mais structurées autour de la question des identités " [2000 : 85]. Ainsi, plus les citoyens d’un Etat seraient porteurs d’une identité euronationale, plus ils auraient tendance à participer aux élections européennes. Un rapide survol de la figure 2 établie à partir des données du tableau 3 montre en effet que certains Etats membres font preuve d’une identité euronationale plus développée et ont dans le même temps un taux de participation plus élevé que la moyenne : c’est le cas du Luxembourg, de la Belgique et de l’Italie. A l’inverse, d’autres pays à l’identité euronationale moins affirmée connaissent une plus faible mobilisation électorale (nuage de points comprenant le Royaume-Uni, la Suède, la Finlande, l’Autriche, les Pays-Bas, le Portugal). Cependant, le niveau de corrélation mis en évidence par une analyse globale de l’échantillon apparaît relativement lâche. Le sens positif de cette corrélation est d’ailleurs remis en question dès lors que l’on opère une comparaison des données entre les différents pays étudiés.

 

Figure 2

Si l’on observe le nuage de points situé dans la zone supérieure de la figure 2, la corrélation est vérifiée lorsque l’on se déplace de l’Italie au Luxembourg : l’identité euronationale s’accroît (de 72% à 73%) ainsi que le taux de participation (73.1% à 89%). Par contre, quand on passe du Luxembourg à la Belgique, la participation augmente (elle est respectivement de 89% et 90.8%) alors que l’identité euronationale se réduit (de 73% à 61%). Lorsque l’on s’intéresse à la partie basse de la figure, il apparaît que la corrélation est vérifiée quand on se déplace du Royaume-Uni vers la Finlande, l’Autriche et le Danemark : pour ces pays qui bordent la droite de régression, la proportion de l’identité euronationale croît (respectivement 38%, 40%, 50%, 57%) en même temps que la participation aux Européennes (38.9%, 39.4%, 42.4%, 47.9%). Or, quand on va du Portugal aux Pays-Bas et à l’Autriche, on s’aperçoit qu’une identité nationale en proportion plus importante peut s’accompagner d’une participation électorale accrue : dans le cas de ces trois pays, l’identité euronationale se réduit (passant de 54% à 52% puis 50%), alors que la participation augmente (de 38.6% à 39.3% et 42.4%). Une tendance identique s’observe lorsque l’on passe de la Suède à la Finlande. Le nuage de points situé dans la partie centrale de la figure 2 se prête également à cette observation qui vient contredire la corrélation positive établie à l’échelle des Quinze. En remontant de l’Allemagne au Danemark, à l’Irlande et à la Grèce, la participation électorale augmente (de 43% à 47.9%, 58.8% et 63.4%) alors que la part de l’identité euronationale décroît (passant respectivement de 62% à 57%, 51% et 45%). Le même constat vaut pour la comparaison entre la France (identité euronationale à 71% et taux de participation de 42.8%) et l’Espagne (68% et 45.1%).

L’analyse des données recueillies, et les constats contradictoires auxquels elle donne lieu, montrent ainsi qu’il n’est pas possible d’établir une corrélation linéaire entre identification à l’Europe (qui se traduit ici par l’expression d’une identité euronationale) et la participation aux élections européennes de juin 2004. Cela laisse par conséquent entrevoir l’influence d’autres facteurs explicatifs qui ne sont pas nécessairement liés à l’identité. Certains sont en effet de nature institutionnelle, comme le caractère obligatoire que prend le vote au Luxembourg, en Belgique, ou de sa réminiscence en Italie. L’organisation simultanée d’élections aux enjeux locaux ou nationaux influence également la participation aux Européennes, ainsi qu’on l’a noté précédemment. Ces éléments introduisent un biais dans l’analyse du rapport entre mobilisation électorale et identification à l’Europe, et rappellent l’impact de considérations nationales sur le comportement des électeurs.

D’autre part, il faut rappeler que les chiffres de l’identification euronationale ne permettent pas de dire qu’un pays serait " plus Européen " ou plus europhile qu’un autre. Ils sont surtout révélateurs d’expériences variées dans la manière d’appréhender l’intégration communautaire, et suggèrent que les attitudes envers la construction européenne sont essentiellement liées aux perceptions nationales héritées de l’histoire. Pour ne prendre que deux exemples, on peut rappeler la différence d’attitude entre les Britanniques et les Espagnols. Les premiers sont les moins enclins à déclarer une identité euronationale (38% à la veille des Européennes de 2004) et sont par conséquent les plus attachés à leur identité nationale, nourrissant une sorte de défiance à l’égard de ce qui pourrait orienter l’intégration européenne vers un " super-Etat ". Au contraire, les Espagnols ont, du fait de leur histoire nationale, une perception distincte du sens de leur appartenance à l’Union qu’ils conçoivent comme une marque de démocratisation et qui explique leur tendance plus prononcée que les Britanniques à se déclarer simultanément européens et nationaux (68% d’identité euronationale).

 

La comparaison des propensions à déclarer une identité euronationale et de la participation aux Européennes ne permet pas de produire des conclusions valables dans tous les cas de figure. Cette situation résulte notamment de l’influence des facteurs institutionnels et historiques qui président tant au vote qu’aux expressions identitaires. Les quantifications produites par les Eurobaromètres, destinées à déterminer pour chaque pays la part d’identité euronationale, ne permet au demeurant que de dégager des tendances. Ces mesures sont effectivement tributaires des contextes nationaux, aux histoires spécifiques, mais aussi des conjonctures politiques particulières qui influencent les identifications. Par conséquent, elles donnent une représentation du lien entre les citoyens et l’Europe qui n’est valable que de manière ponctuelle, tout comme la participation électorale est évolutive, sensible à la conjoncture politique, ce qui interroge la possibilité de voir se constituer un lien de citoyenneté dans un espace politique trans- et post-national.

Conclusion — Les élections européennes de juin 2004 : un improbable espace civique transnational ?

Pour reprendre la formule d’Alain Lancelot, " si on considère le comportement électoral comme la réponse du sujet (l’électeur) à une question (la consultation) on peut penser que la nature de cette réponse (éventuellement donc l’abstention) dépend en partie du contenu de la question posée et de la façon dont elle est posée " [Lancelot, 1968 : 95]. Appliqué au cas des élections européennes, ce raisonnement invite notamment à explorer la perception des enjeux du scrutin par les électeurs de manière à évaluer ainsi l’hypothèse d’une manifestation citoyenne de dimension communautaire au travers de cette occasion démocratique. L’abstention élevée qui marque les élections européennes s’inscrit dans un mouvement plus général de désaffection envers les consultations électorales et souligne une crise de la représentation perceptible dans la plupart des pays d’Europe occidentale [Topf, 1995 ; Cautrès, 2003 : 39-41]. La participation en baisse depuis 1979 traduirait le fait que les Européennes, par la difficulté à en percevoir les enjeux pour les citoyens, auraient été plus précocement sensibles à la crise de la représentation politique et au " relatif désenchantement vis-à-vis du vote " [Jadot, 2002 : 44]. Cet état de désenchantement électoral est une manifestation du " désenchantement démocratique " [Perrineau, 2003], de la distance entre les dirigeants et leurs mandants aussi bien que du mécontentement à l’égard de la politique. Le manque de confiance et l’insatisfaction éprouvés à l’égard de la politique arrivent en tête des motivations avancées par les abstentionnistes pour expliquer leur comportement avec un taux global de réponse de 22% ; dans les dix nouveaux Etats membres, ce taux de citation passe même à 34%. La deuxième cause de l’abstentionnisme est le manque d’intérêt pour la politique (14% des réponses à l’échelle de l’Union, 21% dans les nouveaux Etats membres, 12% dans l’ancienne Europe des Quinze). Parmi les populations des dix nouveaux adhérents, 14% des répondants à l’enquête post-électorale déclaraient ne voir aucun intérêt à s’exprimer, car " voter ne change rien " [Flash EB 162, 2004 : 17-18]. Cette dernière explication démontre qu’" à force de ne pas savoir ni pour quoi, ni pour qui il vote, l’électeur ne se déplace plus " [Delwit, 2000 : 307].

Ce désenchantement démocratique se nourrit du fait que les élections européennes offrent aux citoyens une faible lisibilité des enjeux qu’elles comportent. Si cet acte électoral revêt en théorie une dimension et une portée proprement communautaires, le scrutin en lui-même ne présente pas cette dimension européenne. Il n’existe en effet pas de procédure électorale uniforme parmi les 25 pays de l’Union qui permettrait aux électeurs, par les modalités même d’organisation du scrutin, de voir se dessiner une communauté de citoyens prenant part, au travers de ce vote, à l’expression d’un projet politique. En dépit de l’adoption du principe de la représentation proportionnelle par tous les Etats de l’Union, l’espace politique transnational que ces Européennes seraient susceptibles de faire émerger reste en réalité fragmenté en autant de sphères différenciées par les lois électorales nationales. Cette juxtaposition de lois spécifiques, régissant la nomination des candidats, le déroulement des campagnes, l’octroi du droit de vote, traduit le fait que les élections européennes voient avant tout s’exprimer les traditions politiques qui prévalent dans les différents Etats membres. La date retenue pour l’organisation du scrutin montre bien la prédominance de ces modalités nationales. Si une majorité de pays ont choisi le dimanche 13 juin comme jour du scrutin, les électeurs ont aussi été appelés à se prononcer durant la semaine, le 10 (Royaume-Uni, Pays-Bas), le 11 (Irlande, Malte), le 12 (Lettonie), ou sur deux jours, les 11 et 12 juin (en République tchèque). L’étalement du scrutin sur plusieurs jours, résultat de la diversité des lois électorales, fait qu’il n’existe pas, au plan temporel, de " moment européen " qui symboliserait l’instant partagé par lequel les électeurs, incarnant alors la citoyenneté européenne en exercice, s’exprimeraient sur l’Europe.

L’organisation concrète du scrutin n’est pas le seul élément qui peut expliquer la désaffection des citoyens. Le contenu de la campagne vient aussi nourrir cette attitude. Les listes de candidats, les offres partisanes, les thèmes de campagne, sont en effet encore largement déterminés en fonction de logiques nationales, si bien que ces élections dites " européennes " ne le seraient finalement qu’à la marge. Il y a presque un paradoxe à faire élire une assemblée européenne, de nature transnationale, à partir de différentes opérations de vote juxtaposées, bornées par les cultures politiques, les législations électorales, et les structures partisanes nationales. Ce morcellement et l’absence d’un système partisan unifié accentuent la difficulté des citoyens à percevoir les ressorts du cadre politique européen. Conséquence de la définition encore nationale des modes de scrutin [Costa, 2000], la coordination des partis politiques nationaux reste très modeste au cours des campagnes électorales.

Pour les Européennes de juin 2004, plusieurs partis ont élaboré des programmes communs de caractères transnationaux. Les deux grands partis que sont le PSE et le PPE ont adopté des manifestes électoraux communs en février et en avril, mais ces documents restent suffisamment généraux pour ne pas heurter les différentes sensibilités nationales qui s’expriment au sein même de ces partis [Magnette, 2001b]. Même si une polarisation se dessine entre les partisans de la régulation du marché et les défenseurs d’une économie moins réglementée [Gabel et Hix, 2002 ; Magnette, 2003 : 228] , les références ne sont pas toujours claires auprès des électeurs, en raison notamment de l’absence de campagnes organisées à l’échelle de l’Europe, à l’instar de ce qu’ont réalisé les Verts lors de ces élections . Cette configuration rend plus complexe l’identification des citoyens à l’Union qui ne perçoivent pas nécessairement la manière dont leur vote exprimé pour des candidats à élire au niveau de circonscriptions nationales, sur la base de campagnes parfois peu en lien avec les thèmes européens, influence une structuration politique partisane dont les logiques ne recoupent pas les grilles de lecture nationales.

Ce défaut de points d’ancrage politiques européens, de débats transversaux et transnationaux, interroge le cœur même de la théorie post-nationale et l’hypothèse de l’édification d’un " espace public " européen. Jürgen Habermas considère qu’une communauté politique doit être entretenue par une activité démocratique, c’est-à-dire par " la praxis de citoyens qui exercent activement leurs droits démocratiques à la participation et à la communication " [Habermas, 1992 : 3]. Les élections européennes sont l’occasion de désigner au suffrage universel les membres d’une assemblée transnationale. Or, la pratique donne plutôt à voir une juxtaposition d’espaces nationaux, une agrégation des scènes politiques nationales, ce qui compromet la réalisation concrète du " découplage de l’exercice de l’autonomie démocratique de son ancrage national historique " [Lacroix, 2002 : 135]. Il en résulte une fragmentation en plusieurs champs nationaux de débats, en temporalités distinctes, qui ne recoupent pas une dimension et un moment effectivement européens sur ces questions. Il est alors possible de considérer que c’est au moins en partie parce qu’il n’existe pas d’espace croisé de débat sur un sujet a priori aussi " européen " que l’élection du Parlement de Strasbourg que la citoyenneté européenne ne trouve pas la pleine expression de sa vocation telle que formulée dans le traité de Maastricht.

L’hypothèse post-nationale renvoie à la pratique du politique dans un contexte qui dépasse la sectorisation en sphères politiques nationales. Le cas des élections européennes montre qu’en réalité un tel exercice est malaisé et qu’il ne semble pas se dessiner à l’échelle de l’Europe un " espace public " entendu au sens habermassien, qui formerait des citoyens déterminant leur opinion publique au vu d’un dialogue respectueux des arguments proposés par chaque interlocuteur. Alors qu’elles constituent un moment de démocratie directe au cœur du système institutionnel communautaire, les élections européennes apparaissent " délaissées " par plus de la moitié des citoyens de l’Union, entretenant ainsi l’image de la désignation d’un " Parlement sans électeurs " [Delwit et De Waele, 1998]. Si l’approche post-nationale permet d’interroger l’identification à la construction communautaire selon une dimension démocratique débordant l’espace national d’exercice du politique, les élections de juin 2004 révèlent que la citoyenneté européenne ne se traduit pas par l’irruption de ce que l’on pourrait appeler un demos dans le paysage politique européen.

Si la citoyenneté européenne ne recouvre pas uniquement le bénéfice de droits économiques et sociaux, mais est aussi destinée à former le socle d’une " communauté de citoyens ", le comportement électoral des Européens ne permet pas de déceler la manifestation d’une telle cohésion civique. En juin 2004, alors que les circonstances étaient si particulières, le scrutin est resté marqué par un défaut de lisibilité de ses enjeux, traduisant par extension une difficulté à appréhender le sens du projet politique européen. L’examen du lien entre ces élections et l’identification des citoyens à la construction communautaire permet d’évaluer la pertinence des fondements conceptuels du post-nationalisme en même temps qu’il révèle que la notion de " citoyenneté européenne " reflète plus un statut juridique qu’une participation politique à l’élaboration d’une identité commune, d’un lien de solidarité qui ne se situe pas seulement dans une optique nationale.

Pour qu’une collectivité politique transnationale se constitue effectivement autour de la personne du " citoyen européen ", c’est cette dimension participative, l’idée d’une implication dans la vie de la " cité européenne ", qui devraient être appelées à se développer pour donner consistance au lien de citoyenneté à l’échelle communautaire. Si elles retenaient les enseignements de juin 2004, les prochaines élections de 2009 pourraient à cet égard jouer un rôle majeur et démontrer que ce type de scrutin n’est pas condamné à n’être considéré qu’au prisme généraliste des élections de " second ordre ", peu mobilisatrices, axées sur des enjeux plus nationaux qu’européens. Elles seraient l’occasion de démontrer que les élections européennes peuvent être analysées pour elles-mêmes et non pas seulement comme des consultations subordonnées aux considérations politiques nationales. La désignation du Parlement européen pourrait en effet permettre d’investir le projet politique communautaire, de lui conférer une envergure post-nationale, c’est-à-dire une dimension s’étendant au-delà des cadres nationaux, comme la citoyenneté européenne serait dans ce cas l’expression d’une adhésion civique à une communauté politique plus large que les espaces et les traditions démocratiques nationales.

 

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