Théorie et pratique de l’histoire de la philosophie

par Charles Coutel

Notre propos se distribuera en trois temps : En un premier temps nous situerons notre conception de l’ " approche  philosophante de l’histoire de la philosophie ", pour reprendre une formule d’Y.C. Zarka en 2001. Pour la tradition française, en nous référant à l’histoire de la philosophie, nous redonnons vie et sens à des questionnements à la fois situés et transhistoriques : les concepts y sont offerts à notre réflexion actuelle et contextualisés au sein d’une  tradition philosophique innovante, consciente de ses héritages. En un second temps nous rendrons compte de notre pratique de chercheur : philosophe du Droit dans une Faculté des sciences juridiques et politiques (Douai) et membre du Centre Ethique et Procédures, nous sommes souvent sollicités pour accompagner philosophiquement l’étude de questions juridiques et politiques. Nous examinerons, à travers quatre exemples, notre rôle de philosophe au milieu de " non-philosophes. On insistera sur l’usage des références à l’histoire de la philosophie et à la culture philosophique dans les réponses apportées aux questions précises qui nous furent posées par les juristes : comment expliquer la confusion actuelle du " principe de précaution " ? comment rendre compte de la longévité du Code Civil de Portalis ? ; qu’est—ce qui se transmet entre les générations ? ; que signifie l’expression " esprit légiste " chez Tocqueville ? . Dans chaque cas nous eûmes recours à l’histoire de la philosophie pour resituer la demande initiale , non dans une hypothétique , figée et descriptive " histoire des idées " mais au sein d’un champ problématique vivant où cette demande fut confrontée à un problème théorique et pratique que l’isolement des disciplines universitaires avait souvent occulté : comment rendre compte de la notion de " précaution " sans la situer , en dehors de la référence à Jonas, dans l’horizon de la " providentia " cicéronienne et de la " phronêsis " aristotélicienne ? ; comment parler de la " longévité " et de la cohérence du Code Civil sans rendre compte de l’œuvre juridique mais aussi proprement philosophique de Portalis ? ; comment parler de la " transmission " sans la distinguer préalablement de la " communication " ? ; comment expliquer l’expression " esprit légiste " sans l’insérer dans la théorie tocquevillienne de la Démocratie et de l’Aristocratie et sans penser à Montesquieu ? Dans tous ces cas la philosophie et plus particulièrement l’histoire de la philosophie fut appliquée aux questions initiales pour les situer, les retravailler et les problématiser. Cependant ce travail critique est encore isolé car les échanges entre juristes, politistes et philosophes demeurent trop rares et ne sont pas assez institués. Enfin, pour engager le débat, nous confrontrons nos hypothèses initiales avec nos expériences critiques et pratiques, en insistant sur les difficultés épistémologiques, méthodologiques et institutionnelles rencontrées dans nos recherches. Certaines questions seront posées : comment parler de l’histoire de la philosophie à des " non-philosophes " ; comment dialectiser les processus de contextualisation et de décontextualisation dans l’usage des auteurs et des textes. (cas de la " précaution " et de la " prudence " ) ; comment tenir compte des lexiques préalables qui organisent mais parfois limitent les échanges entre les disciplines universitaires (" transmettre " a-t-il d’emblée le même sens pour un philosophe et un juriste ?) ; comment lire Tocqueville " interdisciplinairement " ; comment former les juristes pour qu’ils lisent l’œuvre philosophique de Portalis et les philosophes pour qu’ils lisent ses textes juridiques? Nous rendrons compte de notre pratique au sein de diverses Ecoles doctorales pour avance quelques réponses. Ces questions engagent le devenir de l’interdisciplinarité au sein de la Recherche mais aussi l’architecture globale des Plans de formation des Universités.