GAEL octobre 2002 : "Les élections 2002 au Brésil"

Résumé de la présentation faite par François d’Arcy et Olivier Dabène à la réunion du GAEL du 16 octobre 2002 (actualisé à l’issue du 2ème tour du 27 octobre)

Première partie : caractéristiques générales de l’élection

1) Une élection à dimensions multiples nationales et locales : l’élection des 6 octobre (premier tour) et 27 octobre (deuxième tour) regroupe plusieurs scrutins :

Les modes de scrutin privilégient la personnalisation du scrutin qui sont uninominaux, sauf pour l’élection des députés fédéraux et des états à laquelle s’applique la représentation proportionnelle. Mais même dans ce cas, les listes présentées sont ouvertes et l’électeur peut indifféremment voter pour le parti présentant la liste ou pour un nom sur celle-ci (ce qu’il fait presque toujours) : une fois déterminé le nombre de sièges auxquels la liste a droit sont élus les candidats ayant obtenu le plus grand nombre de voix, ce qui oblige chaque candidat à se constituer son propre électorat (sur une base territoriale, professionnelle, confessionnelle, etc.).

2) Une étape importante dans la consolidation de la démocratie : c’est la première fois depuis quarante ans qu’un changement de président se fait dans les règles au terme du mandat du sortant. Et c’est sans doute la première fois qu’un changement politique important apparaît possible et est accepté sans traumatisme par l’ensemble de l’électorat et de la classe politique.

Sous le contrôle strict des tribunaux électoraux les candidats ont fait preuve pendant la campagne d’une grande discipline et l’exigence du respect de l’adversaire a sans cesse été rappelée.

Il faut aussi signaler la généralisation quasi-totale du vote électronique qui empêche la fraude et permet de disposer très rapidement des résultats (dans un pays de 170 millions d’habitants grand comme l’Europe). Le nombre d’incidents techniques a été très limité.

On peut donc dire que la démocratie brésilienne est consolidée et capable d’affronter l’expérience de l’alternance. Son point faible reste cependant la situation des partis politiques peu à même de structurer correctement l’offre électorale.

Deuxième partie : les partis politiques dans l’élection

La distribution des partis brésiliens est très éclatée

Les grands partis traditionnels et les moyens ou petits partis sont avant tout des machines électorales destinées à préserver les mandats locaux et nationaux et à garantir des postes dans les administrations. Pour être candidat il faut être présenté par un parti dont on est membre depuis au moins un an avant l’élection, mais la création d’un nouveau parti est très facile et en outre, les changements de parti après l’élection sont fréquents. D’où la faiblesse idéologique et programmatique des partis et le caractère relatif de leur classement sur l’axe gauche-droite.

Les deux grands partis traditionnels, PFL (de droite) et PMDB (centre-gauche) sont particulièrement typiques à cet égard. Au PMDB surtout, les affrontements entre caciques du parti sont constants. Aucun des ces deux grands partis n’a réussi présenter un candidat à l’élection présidentielle : le PMDB s’est rallié, non sans conflits internes, à la candidature de José Serra et le PFL, après l’échec de sa candidate à maintenir sa candidature, n’a pas apporté de soutien officiel., ce qui fait que la droite n’était pas représentée dans l’élection présidentielle.

Deux partis ont une organisation et une idéologie plus proches de la conception européenne : le PSDB (parti du président F.H. Cardoso, social-démocrate, issu d’une scission du PMDB) et, plus encore, le PT (parti des travailleurs, fondé au début des années 80 par Lula et ses compagnons).

On notera également l’absence de parti d’extrême-droite et la quasi-absence de l’extrême gauche (pour le moment intégrée pour l’essentiel au PT), ainsi que la difficile survie de divers petits partis de gauche.

A l’absence de fidélité partisane des hommes politiques fait pendant celle des électeurs qui préfèrent voter pour des individus sans trop se soucier de leur appartenance. La plus grande diversité des alliances s’observe au niveau local ce qui accroît la difficulté de constituer des alliances au niveau national pour l’élection du président et explique l’imprévisibilité de ces alliances

L’émergence des candidatures à l’élection présidentielle s’est faite dans une certaine confusion.

Le président Cardoso a gouverné sur la base d’une alliance du PSDB avec le PMDB et le PFL et espérait voir émerger une candidature PSDB soutenu par la même alliance. Après quelques rivalités internes le candidat du PSDB, José Serra (économiste, ministre de la Santé) a réussi à rallier la direction du PMDB à sa candidature qui a alors désigné la candidate à la vice-présidence dans le " ticket " Serra. En revanche, le PFL a voulu lancer une candidature propre, en la personne de Roseana Sarney, gouverneure de l’état de Maranhão et fille de l’ancien président José Sarney. Après un début télévisuel prometteur, la mise à jour de scandales financiers l’a obligée à retirer sa candidature. Le PFL, convaincu à tort ou à raison qu’il s’agissait d’un coup monté du candidat du gouvernement José Serra, a rompu l’alliance.

Face à la candidature Serra, la plus consistante, dès le départ, était celle de Lula, président d’honneur du PT et candidat pour la quatrième fois, étant arrivé second dans les trois élections précédentes. Deux autres candidatures se présentant comme d’opposition et s’appuyant sur des partis de moindre importance: il s’agissait de Ciro Gomes, du Ceara, et de Garotinho, gouverneur de l’état de Rio, tous deux présentant quelques tendances populistes. Elles ont contribué à l’indétermination de la campagne dans la mesure où, si Lula était assuré d’être au deuxième tour il était plus difficile de prévoir quel serait son challenger 

D’où l’importance des sondages et de la campagne télévisuelle.

Troisième partie : l’importance des sondages et de la télévision dans la campagne

Si la législation sur le financement des partis politiques est insuffisante, en revanche, la campagne fait l’objet d’une réglementation abondante dont le respect est assuré par les tribunaux régionaux électoraux et le tribunal supérieur électoral : choix des candidats par les conventions des partis en juin ; règles de transparence sur les financements de campagne ; propagande électorale gratuite à partir de la fin août (6 semaines), cependant qu’en période non électoral les partis politiques disposent de moments de propagande gratuite à la TV.

Le Brésil dispose de plusieurs instituts de sondage de qualité. Très tôt, ils ont commencé à scruter les intentions des électeurs et cela n’a pas été sans conséquences sur l’émergence des candidatures. Ces sondages ont montré que, plus d’un an avant les élections Lula disposait d’un capital de voix important, ce qui l’a confirmé comme candidat du PT. En revanche, le faible capital de départ de José Serra a retardé le moment du choix du candidat gouvernemental. Mais c’est sur la candidature de Roseana Sarney que les sondages ont eu le poids le plus déterminant : une première campagne, bien faite, sur son nom dans le cadre de la propagande électorale des partis l’a fait décoller dans les sondages de manière spectaculaire et le PFL a voulu alors l’imposer comme candidate de la majorité. Les scandales habilement médiatisés l’ont fait redescendre brutalement et l’ont obligée à renoncer avec comme conséquence l’éclatement de l’opposition.

Pendant la campagne, officieuse puis officielle, le sondages et la campagne télévisée, sous la houlette de professionnels talentueux du marketing politique pour Serra et Lula, ont joué un rôle très important. Lula étant assuré d’avoir la première, la dispute pour la seconde place au premier tour a dominé la campagne officielle et les stratégies des candidats à la télévision. Ciro Gomes a devancé un temps les deux autres dans une ascension qui paraissait irrésistible mais il est retombé aussi vite lorsque son charme personnel et celui de son épouse (une actrice très appréciée au Brésil) n’ont plus suffi à masquer les contradictions de son argumentation et son peu d’appuis politiques.

Il est difficile de dire la part qui revient aux modalités plus traditionnelles de campagne dans le résultat de l’élection présidentielle, ou plus exactement le rôle qu’elles auraient pu jouer si les hommes politiques des partis soutenant José Serra n’avaient pas été aussi divisés et aussi peu enthousiastes à apporter leur soutien, lorsqu’ils ne se ralliaient pas ouvertement à un autre candidat.

Quatrième partie : quelques remarques sur les résultats

Dès le premier tour l’élection présidentielle marque un grand changement, confirmé au deuxième tour. Lula, grâce à une réorientation importante de son programme par rapport aux élections précédentes, ne suscite plus de rejet dans aucune catégorie de la population. Au deuxième tour il est majoritaire dans tous les états sauf un.

Le PT marque par ailleurs une avancée importante à la Chambre des députés fédérale qui, combinée avec les résultats de partis d’opposition de moindre importance, devrait lui permettre d’y trouver une majorité sans trop de difficulté. Il n’en vas cependant pas de même au Sénat.

Les élections aux postes de gouverneur ont été moins favorables au PT et finalement le PSDB en est le principal gagnant. Il est à remarquer que la personnalisation du vote a joué plus que l’attachement aux partis et que l’effet Lula ne s’est pas fait sentir pour l’élection des gouverneurs.

Conclusion : Lula président et après ?

L’élection de Lula crée des attentes très grandes mais contradictoires. Il est cependant important de signaler que Lula, dès la campagne, a fait preuve de réalisme, manifestant que la marge de manœuvre d’un futur gouvernement était très faible et acceptant les contraintes macro-économiques (lutte contre l’inflation, respect des contrats) dans l’annonce de sa politique future.

Il serait inexact de parler d’une alternance au sens habituel : le gouvernement Lula devrait s’accompagner d’une réorganisation des partis qui étaient jusqu’à présent dans la majorité, ne serait-ce que parce qu’en raison du spoil system, base du clientélisme encore très répandu, le passage à l’opposition est difficile. En outre, au plan idéologique et programmatique, le PSDB paraît plus proche du PT que de ses anciens alliés de droite. Les progrès de la démocratie et la modernisation politique opérés sous le gouvernement Cardoso ont facilité la réintégration du PT dans le jeu politique ce qui permettra de nouvelles alliances jusque là impossibles.