Congrès de l’AFSP 2007
Module du GEOPP

Appel à communications

" L’argent et les partis politiques "

 

" Parce que les rapports entre l’argent et la politique exercent une inhibition sur la classe politique, celle-ci a été la plupart du temps réticente à en définir le contenu. " C’est ainsi que Yves-Marie Doublet, dans l’introduction de son Que sais-je ? sur le financement de la vie politique, exprimait indirectement la difficulté à prendre le rapport entre l’argent et la compétition politique pour objet de recherche. Et un bref tour d’horizon des travaux existant sur le thème de la finance en politique ne fait que confirmer le fait que ce domaine d’études est largement en friche. Cet angle mort, en toute logique, concerne également le rapport entre l’argent et les partis politiques.

En ce qui concerne la question de l’argent et des partis politiques, deux explications, notamment, peuvent être apportées afin d’expliquer le peu d’intérêt de la science politique pour ce thème. D’abord, il est indéniable que la manière dont les acteurs politiques abordent ou, le plus souvent, refusent d’aborder cette question rend difficile au chercheur tout accès permettant de considérer le poids et les multiples usages de l’argent en politique. Professionnels de la politique mais aussi militants opposent trop systématiquement l’intérêt financier à l’idéal qu’ils ont de la politique pour permettre aux politistes d’approcher empiriquement cette réalité ; comme si le fait d’utiliser l’argent comme monnaie, comme étalon de mesure ou comme réserve de valeur délégitimait de facto la dimension désintéressée des comportements politiques ou partisans. Dire, par exemple, que l’action politique " rapporte " aussi du point de vue monétaire, en France en tout cas, constitue de toute évidence un argumentaire irrecevable. Parler d’argent au cours d’un entretien sociologique et mettre les livres de comptes du parti à disposition des politistes est donc une pratique très rare malheureusement. Aussi, pour avoir une vague appréhension des processus de monétarisation qui entourent les partis politiques doit-on se contenter des publications officielles comme, dans le cas français, celle de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CCFP). Ces comptes, aussi intéressants soient-ils, ne serait-ce que pour réaliser dans le temps et dans l’espace des comparaisons, présentent pourtant de nombreuses restrictions et des zones d’ombre que les différentes législations sur le financement de la vie politique n’ont pas encore comblées. Bref, savoir assez précisément ce que l’argent fait aux partis politiques dans leurs formes comme dans leurs buts reste aujourd’hui encore un domaine qui reste à explorer.

L’autre facteur pouvant expliquer pourquoi il est peu fréquent de voir la science politique aborder la dimension monétaire de la vie politique en général et de l’activité partisane en particulier tient à un problème d’ordre épistémologique. Quel statut accorder en effet à la monnaie parmi les choses vivantes et les choses inertes que la sociologie se doit de saisir dans le monde social, quelles " significations sociales " doit-on prêter à l’argent a priori si l’on veut réussir à l’intégrer dans la construction de nos objets d’études en l’occurrence ? Est-ce que, comme le suggère G. Simmel, l’argent est " le moyen le plus pur " par lequel s’organisent de nombreuses activités dans le parti ? En d’autres termes, n’est-il qu’un reflet et un intermédiaire neutre régissant les rapports partisans ? Faut-il au contraire récuser cette approche instrumentale et s’interroger plus exclusivement sur la force quasiment intrinsèque de l’argent en tant que fétiche ayant la capacité de transformer substantiellement les rapports sociaux, et plus particulièrement les interactions au sein des organisations politiques ? Ici, on reconnaît l’argument marxiste qui énonce le fait que la monétarisation du monde social est un phénomène de grande ampleur qui fonctionne comme un " niveleur radical ". Entre ces deux manières antagoniques de penser le rôle social de la monnaie, il existe une synthèse plus féconde pour la réflexion politologique. Il y a quelques années, Viviana Zelizer nous invitait notamment à (re)considérer l’argent de façon multidimensionnelle, de sorte qu’on ne se hasarde pas à dissocier sa matérialité des usages spécifiques qui en sont faits, ni des positions socialement situées de ses détenteurs. C’est donc à cette invite théorique que nous voudrions répondre à l’occasion de notre atelier qui se déroulera lors du congrès de l’Association française de science politique en explorant les usages partisans de l’argent dans nos sociétés contemporaines.

Plusieurs pistes de réflexion seront envisagées :

1/ Us, coutumes et lois sur le financement des partis politiques

    L’immense majorité des pays démocratiques disposent aujourd’hui d’une législation sur le financement des partis politiques. Il sera intéressant dans un premier temps d’en saisir les logiques historiques, de comprendre pourquoi dans telle ou telle configuration historique tel ou tel modèle de financement a été choisi. Ici, les comparaisons internationales permettront de mettre en perspective les spécificités nationales. Pour ce faire, on pourra prêter attention aux débats parlementaires et/ou aux débats publics qui ont précédé la mise en place des législations encadrant le financement des organisations politiques. Au travers de ces débats, il est fort probable que s’esquissent autant de manières de définir la place symbolique des partis politiques et des élus dans l’espace politique, de préciser leur statut juridique et de diffuser à leur propos une certaine image publique. Deux versants peuvent ainsi être explorés : celui qui, d’une part, porte sur les négociations visant, à l’intérieur des arènes politiques et parlementaires, à établir un consensus sur la meilleure façon d’irriguer financièrement les institutions partisanes, de l’autre côté, si on peut le dire ainsi, le cadrage médiatique, les débats extra-parlementaires et la réception par les " opinions publiques " permettant de légitimer les modes de monétarisation des partis politiques, d’autre part. Il va sans dire qu’une étude juridique seule ne suffit pas. Comprendre les modes de financement, anciens et nouveaux, récents ou en train de se faire, c’est porter une attention particulière aux modalités concrètes, aux arrangements, aux négociations et aux anticipations que ces lois sur le financement des partis politiques permettent. C’est enfin saisir le sens de " la moralisation " des activités politiques et partisanes que les modes de financement en vigueur impliquent dans tel ou tel pays.

     

2/ Economies partisanes

Financer les partis politiques, c’est aussi, du point de vue des responsables de ces organisations en tout cas, accomplir des actes comptables plus ou moins quotidiens afin d’assurer leur survie juridique et la pérennité de leur leadership. On sait qu’en général les institutions partisanes se reposent sur des agents spécialisés, salariés ou non, en charge de ces problèmes. Le plus souvent dans l’ombre des dirigeants, on ignore quasiment tout de ces agents spécialisés dans l’équilibre des comptes financiers. Il apparaît alors opportun de s’arrêter sur ces comptables et plus généralement sur l’ensemble des nouveaux acteurs spécialisés dans le fonctionnement économique des partis politiques (commissaires au compte, avocats, mandataires financiers, etc.) pour comprendre d’abord comme sont maintenus au jour le jour l’équilibre des budgets comme l’équilibre des pouvoirs au sein des partis politiques.

A travers la question des rétributions financières des activités partisanes c’est aussi toute une sociologie des métiers partisans qui peut être réalisée. Assiste-t-on à une évolution de ces derniers (plus ou moins de permanents, plus de consultants externes appartenant ou non du milieu partisan) ? Un autre aspect est le financement de toutes les activités des organisations para-partisanes et des emplois qui les font vivre : associations, revues, fondations, etc. Derrière l’indemnité des élus, on peut interroger le rapport de ce dernier au parti : question de la marge financière et politique que leur offre la possibilité de choisir les collaborateurs, par exemple.

Se pose aussi la question de la répartition du financement partisan. Quelle est la part qui va aux instances locales des partis et celle qui reste entre les mains de l’appareil national ? En fonction des types de financements publics — permanent ou seulement en période d’élection, pour le parti ou pour les candidats —, comment se fait cette répartition ? Quelles sont les priorités partisanes et les rapports de forces perceptibles à travers les arbitrages financiers de l’appareil national ?

Enfin, on pourra s’attacher à étudier les formes d’anticipation économique que les acteurs partisans font des événements électoraux. Qu’il s’agisse de thésauriser de façon prévisionnelle une certaine quantité de ressources financières, ou bien de faire face à des chocs économiques liés à des défaites imprévues qui obèrent alors les finances, la lutte pour le monopole des positions de pouvoir rejoint sans doute ici les lois de l’accumulation du profit des entreprises politiques.

Entrer dans la comptabilité partisane, c’est également saisir les représentations que les dirigeants se font de leurs militants, tant de leurs rôles que de leurs apports plus ou moins concrets mais aussi que les militants se font de l’engagement partisan. Les militants sont-ils toujours prêts à financer la vie partisane, jusqu’à quel point, quelles rétributions en attendent-ils en retour ? Comment, en fonction des cultures militantes et des trajectoires nationales, la vision de cet engagement militant varie-t-elle ? Plus généralement, quel est aujourd’hui le poids du financement militant ?

Les décisions qui sont prises concernant la tarification des adhésions, les (nouveaux ?) modes de paiement (timbre, carte bancaire, etc.) et la commercialisation de certains produits dérivés (tongs, tee-shirts, parapluies, etc.) sont à examiner de très près. C’est de cette façon-là qu’on pourra apporter des éléments d’explication sur l’évolution de l’importance organisationnelle du militantisme, sur son poids économique comme sur sa nécessité symbolique, politique, stratégique et morale aux yeux des dirigeants.

En suivant au plus près toutes ces pratiques budgétaires en vigueur, on s’engage sur ce terrain partisan qui fait place à la compétition dont le sens des luttes et les armes — notamment économiques — alors employées définissent au moins partiellement les règles du jeu en vigueur dans le parti. Seules des observations minutieuses permettront de mesurer " en grandeur nature " le poids des intérêts matériels dans les affaires du parti.

 

3/ Les partis politiques et leurs financeurs

Financer la vie partisane, c’est aussi faire appel à des financeurs, qu’ils soient publics ou privés. Ici la question qui paraît pertinente renvoie au fait de savoir comment les dirigeants des partis politiques font appel à l’aide financière. Qu’il s’agisse d’acteurs économiques tels des groupes industriels ou financiers, ou qu’il s’agisse de personnes privées plus ou moins anonymes ayant été démarchées pour réaliser un don, le travail d’appel à la souscription mérite d’être étudié. De même que l’identité et la répartition des donateurs sont ici de la plus grande importance pour qui veut savoir avec qui les organisations politiques se " lient les mains ". On touche alors à la question d’une partie des soutiens dont bénéficient les partis politiques, soutiens légaux ou illégaux. En retour, on peut faire l’hypothèse que ces dons " obligent " les dirigeants des partis. Il faut alors savoir ce que sont ces contre-dons qui, vraisemblablement, orientent pour partie la stratégie des organisations partisanes. Cette optique par laquelle le rôle de l’argent dans les partis politiques est interrogé permet de reprendre des questionnements qui ne sont pas sans lien avec la sociologie du poids et du rôle des groupes d’intérêt ou des lobbys dans la vie politique.

Aussi, cette orientation théorique permettra-t-elle d’interroger à nouveau frais ce qu’on appelle la " générosité militante ". Que ce soit sous forme de souscription ou de participation financière régulière, il faut comprendre comment et pourquoi certains adhérents s’attachent à se montrer généreux, et au principe de quelle philosophie et de quelle culture partisane ils admettent d’allouer une partie de leurs revenus aux enjeux partisans.

 

Appel à communication : Ceux qui souhaitent présenter une communication lors de cet atelier devront nous envoyer leur proposition sous la forme d’un résumé de 2 500 signes avant le 15 mars 2007.