Colloque CRAPE, groupe " local et politique " de lAFSP
4-5 mars 2004, Institut dEtudes Politiques Rennes
»»»Date limite denvoi des propositions : 20 Juin 2003
On sait aujourdhui beaucoup de choses sur les politiques publiques en général, sur les politiques locales en particulier. De la fabrique de lagenda décisionnel jusquà lévaluation, chacune des étapes constitutives de laction publique territoriale a été interrogée. Des politiques régionales aux politiques municipales, sans oublier les multiples niveaux intermédiaires (politiques départementales, intercommunales ), toutes les institutions décentralisées ont été étudiées dans leur capacité à produire, initier, négocier, des dispositifs daction publique. La complexité des échanges entre ces différents niveaux institutionnels, mais aussi entre chacun de ces niveaux et les territoires concernés, sans parler de la relation pérenne avec les divers segments du pouvoir dEtat, tout cela fait depuis vingt ans lobjet dinvestigations qui ne reculent devant aucune " boîte noire ". La cumulativité de ces travaux est évidente, comme en témoigne la richesse des débats contemporains sur la gouvernance urbaine ou régionale.
Une hypothèse nourrit lensemble des travaux sur ces politiques locales : celle de leur croissante standardisation. Au traditionnel questionnement " does politics matter ? " que toute une série de recherche avait interrogé dans les années 1970 et 1980, en particulier autour de la réalité du pouvoir des maires, les chercheurs répondent dans la décennie suivante en invoquant les multiples facteurs qui, contraintes et / ou ressources, pré-déterminent le champ de possibilité de laction publique. Tout le monde ferait à peu près la même chose partout, plus ou moins vite, plus ou moins bien, en fonction des ressources disponibles. La variable politique, aveuglante en période électorale, perdrait toute pertinence à mesure que le processus décisionnel se durcit. Citons en vrac les facteurs invoqués à lappui de cette thèse :
En résumé, le jeu décisionnel est en voie de standardisation du fait de la professionnalisation des joueurs et de leur interdépendance croissante. Les élus auraient perdu une part de la centralité qui rendait possible la coloration idéologique de laction publique, le constat dune déconnection entre la politique électorale et la politique des problèmes étant même souvent avancée.
Il nous semble que ce constat suffit à indiquer dans quelles conditions intellectuelles se conduit aujourdhui la réflexion sur laction publique territoriale, elle aussi menacée de standardisation. Les chercheurs ont largement fait leur la conception précédente : nest-il pas implicitement acquis pour tout le monde que le registre des politiques publiques est étanche par rapport à celui de la politique, des références partisanes, des idéologies politiques ? Les considérations sur les variables partisanes sont soit référées à un passé désormais révolu (expérience du socialisme municipal), soit cantonnées au contre-exemple " monstrueux " des municipalités Front National. Comme si partout ailleurs droite et gauche, partis régionalistes et/ou centraux faisaient à peu près la même chose, les mêmes problèmes se posant partout dans les mêmes termes à des élus partageant les mêmes soucis et à des technocraties dépliant dun site à lautre les mêmes recettes daction. Quand on les interroge, les élus renvoient volontiers la politique au temps fermé de la joute électorale. Si idéologie il y a, celle du territoire en tient lieu, linvocation de la proximité suffit. Côté chercheurs, la coupure entre spécialistes de la vie politique locale et spécialistes de laction publique produit leffet malheureux daccréditer sans linterroger frontalement cette vision des choses. Il y a dun côté les travaux sur les élections, les partis politiques, le militantisme, la vocation politique ; et de lautre les analyses de laction publique, des montages institutionnels, des réseaux, des procédures de négociation, des ressources décisionnelles, de lévaluation
Ce tableau est certes caricatural : des tentatives ont été faites pour dépasser cette dichotomie. Les recherches sur le métier politique visaient par exemple à penser concomitamment les stratégies électorales et les entreprises décisionnelles en mobilisant la sociologie des professions ou bien le concept de rôle social. De même les tentatives plus récentes pour renouer avec la notion de leadership, elle aussi transversale. A chaque fois il sagit de remonter en amont du processus de division du travail savant au motif que celui-ci entérine (sans se donner les moyens de le penser) la séparation entre politics et policies. Néanmoins il nous semble que le dialogue entre ces deux sous camps de recherche de notre discipline peut encore progresser en posant à nouveau la question du politique dans laction publique territoriale . Cette question est dautant plus fondamentale que, rappelons-le, depuis les années 1970 les entités décentralisées gèrent tendanciellement un nombre croissant de problèmes collectifs en matière de développement économique, culturel, social, environnemental à léchelle européenne. En France par exemple un droit à lexpérimentation pour les collectivités territoriales est prévu dans la réforme de décentralisation du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin.
Le repérage des idéologies dans laction publique territorialisée doit en particulier interroger les mécanismes de gouvernance : la territorialisation croissante des processus de production de laction publique saccompagne souvent de phénomènes de privatisation et dexternalisation, du recours à des formes de coopération et daction basées sur le partenariat, les contrats, les projets et la construction daccords par ajustements mutuels. Dans ce contexte, il sagit d évaluer cette dissolution supposée du politique en intégrant, aux côtés des partis politiques traditionnels, lanalyse des nouveaux acteurs de laction publique locale, depuis les luttes sociales et culturelles jusquaux Chambres de commerces, en passant par les professionnels et les experts.
Le programme de colloque que nous proposons ici consiste donc précisément à prendre au sérieux lapproche des politiques territoriales en terme didéologie. Si lusage du mot est encore étroitement associé à la tradition marxiste, nos objectifs sont moins critiques quanalytiques : il sagit de mettre en évidence les doctrines et les valeurs sous jacentes à certaines décisions en matière de politiques publiques. Cette notion permet également dinterroger les rapports avec dautres concepts connexes, comme ceux de " référentiel " ou de " paradigme ", qui se concentrent peut-être davantage sur les mécanismes administratifs et politiques qui président à la construction des politiques publiques. En ce sens, se poser la question " does ideology matter ? " permet de se rappeler que les idées travaillent toujours en faveur de certains et au désavantage dautres, notamment parce quelles parviennent à construire une "unité" par delà les différences.
Une telle approche renvoie bien sûr dabord aux idéologies partisanes, celles qui permettent de distinguer des offres électorales toujours pensées comme singulières. Mais elle doit aussi sétendre aux idéologies portées par les mouvements sociaux ou par les professionnels et les experts, bien au-delà ou en amont du discours partisan. Le cheminement des idées politiques, leur progressive pénétration dans le champ institutionnel, leur éventuelle " récupération ", " instrumentalisation ", " trahison ", etc. mérite un examen attentif. Lidéologie ne sera donc pas pour autant étendue à lensemble des représentations et des grilles cognitives influençant laction. Il importe de linscrire dans la conflictualité politique (et sociale) : est idéologie un ensemble de valeurs et de croyances qui sont posées comme discriminantes.
Ce programme ne préjuge en rien de la nature de la relation entre action publique territoriale et idéologie(s). Plusieurs scénarios sont théoriquement envisageables :
Dans cette perspective, la problématique du colloque suivra deux axes :
(1) Idéologies partisanes et action publique territoriale
Par idéologie, nous entendons donc dabord idéologie partisane :
Comment les formations politiques de lextrême gauche à lextrême droite en passant par les formations régionalistes et/ou nationalistes parviennent-elles à peser localement sur un agenda décisionnel ? Peut-on établir des comparaisons entre territoires " identiques " et isoler la variable politique ? La question, classique, mérite dêtre posée dans le contexte actuel. Autre interrogation : quelle pertinence faut-il accorder à la notion un peu lâche de " politique symbolique ", refuge des idéologies refoulées de laction publique " lourde " ?
(2) Régulation politique et idéologies territorialisées
Le concept didéologie ne doit pas, on la dit, être élargi à toute représentation du monde sur lequel on prétend agir : il concurrencerait inutilement celui, autrement solide, de référentiel. Mais cantonner lidéologie aux seuls partis politiques est sans doute réducteur. Limprégnation dun territoire par des croyances singulières véhiculées par des acteurs identifiables peut ainsi sanalyser en terme idéologies territorialisées influant à des degrés divers il faudra le montrer sur la formulation, le contenu et la mise en uvre de laction publique. Association culturelles, groupuscules, réseaux de défense, par exemple dune culture locale ou dun lieu de vie, chefs dentreprise, experts et professionnels, , peuvent peser sur les agendas locaux, les contenus de laction publique territoriale, la rendre discriminante, la singulariser, sans sadosser à la forme partisane.
Ce sont quelques-unes des questions que nous souhaitons mettre en débat.
Lionel Arnaud CRAPE/Université de Rennes 1
Christian Le Bart CRAPE/Université de Rennes 2
Romain Pasquier CRAPE/IEP de Rennes
Les propositions de communications doivent parvenir aux trois adresses email ci-dessous avant le 20 juin 2003, accompagnées dune dizaine de lignes de présentation. Elles seront examinées à la fin du mois de juin par le comité scientifique du colloque.
Lionel Arnaud : lionelarno@aol.com
Christian Le Bart : lbrt35@club-internet.fr
Romain Pasquier : : rpasquier@hotmail.com
Comité dorganisation
Lionel Arnaud, Maître de conférence en sociologie, CRAPE, Rennes I
Christian Le Bart: Maître de conférence en science politique, CRAPE, Rennes II
Romain Pasquier : : Chargé de recherches au CNRS, CRAPE, IEP de Rennes.
Comité scientifique
Lionel Arnaud, maître de conférence en sociologie, CRAPE, Rennes I.
Richard Balme, professeur de science politique, IEP de Paris, co-directeur du groupe " local et politique " à lAFSP.
Patrick Hassenteufel, professeur de science politique, directeur du CRAPE, Rennes I.
Christian Le Bart: maître de conférence en science politique, CRAPE, Rennes II.
Romain Pasquier : : chargé de recherches au CNRS, CRAPE, IEP de Rennes.
Andy Smith : directeur de recherche FNSP, CERVL, IEP de Bordeaux.