Demi-journée d’étude
" Controverses et débats autour de l’harmonisation européenne des catégories sociales "

20 novembre 2007

14h30-17h30

Lieu : Salle Lavau, CEVIPOF
98 rue de l'Université 75007 Paris

 

La nomenclature des catégories sociales à laquelle les chercheurs en science politique ou sociologie sont habitués depuis plusieurs décennies fait l'objet d'une démarche d'harmonisation au niveau européen à la demande d'Eurostat. La future nomenclature européenne devrait constituer un outil majeur pour l'étude des phénomènes économiques, sociaux et politiques dans l'Union européenne. Les domaines où cette nomenclature pourrait montrer sa pertinence sont nombreux pour les spécialistes de science politique : l’analyse de la stratification sociale et des clivages socio-politiques, les inégalités sociales, l’analyse des groupes sociaux et des politiques publiques.

Fin 1999, Eurostat a commandé un rapport à l'institut national de statistique britannique qui sert de base au projet qui est actuellement en cours de finalisation et auquel l'INSEE participe ainsi que des équipes de recherche italienne, allemande, néerlandaise, suédoise, irlandaise. Les travaux sont coordonnés par deux équipes britanniques appuyées par l'Office statistique du Royaume-Uni (ONS). Le groupe de travail a proposé de fonder la classification sur le cadre " théorique " développé par le sociologue britannique John Goldthorpe : il s'agirait de classer les individus selon les caractéristiques de l'emploi qu'ils occupent. L'hypothèse sous-jacente est que les comportements sociaux s'expliquent en grande partie par la position des individus sur le marché du travail, plus précisément, le cas échéant, par le type de relation de " subordination " qui lie l'employé à son employeur. Le critère fondamental de la classification est ainsi celui de la " relation d'emploi ".

Baptisée ESeC (European Socio-Economic Classification), cette classification distingue 9 groupes sociaux.

- deux groupes d'indépendants : les exploitants agricoles d'un côté, les artisans, commerçants et chefs de petites entreprises de l'autre ;
- cinq groupes de salariés, depuis ceux qui exercent les tâches les plus routinières jusqu'aux plus qualifiés d'entre eux ; un groupe est exclusivement composé de " superviseurs "
- deux groupes mixtes composés de salariés qualifiés et de chefs d' entreprises.

Si cette classification a de nombreux points communs avec la nomenclature française des PCS, comme le fait de s'appuyer sur la profession d'un individu pour le situer dans l'espace social, elle présente néanmoins quelques différences qui actuellement en France font l’objet de débats nourris: cette nomenclature semble, par exemple, accorder moins d'importance au clivage entre indépendants et salariés et introduit des notions nouvelles (dans le contexte français) comme celles de " managers " et de " superviseurs ".

D’autres interrogations se font jour à propos d’ESeC : il s’agit d’une classification très agrégée, montrant parfois que ce sont principalement les " relations de pouvoir " qui sont au cœur des classements proposés. Par ailleurs, les ouvriers et les employés les moins qualifiés sont regroupés dans une seule et même classe, alors que la CS distingue les ouvriers et les employés. En outre, le seuil des dix salariés est appliqué de manière uniforme. Le groupe des cadres et professions intellectuelles n’est pas hiérarchisé comme dans la CS. Autant de points qui peuvent faire débat.

Si l’INSEE semble favorable à l’émergence d’une nomenclature sociale européenne et reconnaît la qualité du travail réalisé par Eurostat, beaucoup en France appellent de leurs vœux à une deuxième étape nécessaire, pilotée par des statisticiens, sur la façon d’élaborer concrètement la nomenclature à partir des principes définis, de tester par l’analyse des données la stabilité des classements proposés et la capacité d’ESeC a refléter pleinement le cadre théorique de John Goldhtorpe.

Au-delà des questions de méthodes, ces débats posent des questions de fond sur l’analyse comparative et la comparabilité des indicateurs : peut-on à la fois gagner en comparabilité tout en conservant une articulation suffisante avec les classements nationaux ? Le groupe MOD s’engage avec cette demie-journée dans les débats relatifs à la comparaison des indicateurs utilisés en science politique. Les développements importants des programmes de recherche européens et des bases de données européennes rendent en effet essentielles les réflexions de notre discipline sur ces questions.

 

Programme

14h30-14h45 : Introduction de la demie-journée (Bruno Cautrès, Florence Haegel)

14h45-15h30 : Débats et controverses autour du " prototype " d’ESeC (Cécile Brousse)

15h30-16h15 : Confronter ESeC aux données empiriques (Laurence Coutrot, Annick Kieffer)

16h15-16h30 : Pause

16h30-17h00 : Point de vue et réactions sur les débats en cours (Dominique Merllié)

17h00-18h00 : Débats avec la salle

 

Les intervenants

Cécile Brousse, administratrice de l'Institut national de la statistique et des études économiques a consacré ses travaux à la question de l’âge de la retraite et la répartition des tâches domestiques avant d'être responsable de l'enquête auprès des sans-domicile réalisée par l'INSEE entre 1999 à 2002. Dans le cadre des ses fonctions au sein de la division Emploi de l'INSEE, elle est responsable de la nomenclature des PCS ; elle participe à l'élaboration d’ESeC.

Publications récentes :

BROUSSE Cécile. Définir et compter les sans-abris en Europe. En jeux et controverses. Genèse, 58/1, 2005.
BROUSSE Cécile, MONSO Olivier, WOLFF Loup. Is prototype ESeC relevant a classification to depict employment relations in France ?. Paris, INSEE, Document de travail F0705, Mai 2007.
BROUSSE Cécile "Le projet de nomenclature européenne des catégories socio-économiques". Idées, mars 2007, n°147.

Annick Kieffer  et Laurence Coutrot sont ingénieures de recherche CNRS, au CMH (Centre Maurice Halbwachs). Ensemble ou séparément, elles ont consacré leurs travaux aux liens entre mobilité sociale et formation ainsi qu’aux questions de comparabilité des catégories sociales en Europe. Elles participent aux travaux et réflexions conduites en France à propos d’ESeC ainsi qu’au réseau européen EQUALSOC

Publications récentes :

Coutrot Laurence, Kieffer Annick, 2006, " Evolution sur trente ans des chances de mobilité chez les ouvriers et employés faiblement qualifiés : pour une approche dynamique de l’emploi faiblement qualifié. ", Transitions professionnelles et risques. XIIIes journées d'étude sur les données longitudinales dans l'analyse du marché du travail, Aix en Provence, 1-2 juin 2006, CEREQ, " Relief ", n°15, p. 235-247
Duru-Bellat M. , Kieffer A., 2006, " Les deux faces — objective/subjective — de la mobilité sociale ", Sociologie du Travail, Vol. 48, n° 4 , Octobre-Decembre, p. 455-473.
Coutrot L. , Kieffer A., Silberman R., 2005, " Travail non qualifié et changement social ", In : Méda D., Vennat F. (sous la dir.), Le travail non qualifié. Permanences et paradoxes, Paris, La Découverte, Coll. Recherches.
Coutrot L., Kieffer A., 2005, "  Longitudinal Appproach of Less Skilled Jobs in Three Different National Settings ", Proceedings of the 13th annual International Employment Relations Association Conference, Aalbor University (Danemark), 26-29 juin 2005, 32 p.

Dominique Merllié est Professeur émérite de sociologie à l’Université de Paris 8. Ses travaux portent sur l’analyse de la mobilité sociale et sur l’histoire et les méthodes de son étude sociologique; sur la construction et les usages des catégories statistiques et sur l’histoire des sciences sociales. Il est membre du Centre de Sociologie Européenne.

Publications récentes :

MERLLIE Dominique. La mobilité sociale, in Pascal Combemale et Jean-Paul Piriou (dir.), Nouveau manuel. Sciences économiques et sociales, 3e éd., Paris, La Découverte, 2003, p. 222-232, 240-242 et 245-246.
MERLLIE Dominique. Pistes de recherche pour une sociologie des statistiques du suicide. Note sur " Anti- ou anté-durkheimisme ", Revue européenne des sciences sociales, XLII, 2004, p. 249-259.
MERLLIE Dominique. L’enquête autour de 1900. La non-participation des sociologues durkheimiens à une mode intellectuelle, Mil Neuf Cent, n° 22, 2004, p. 133-154.
MERLLIE Dominique. La sociologie de la morale est-elle soluble dans la philosophie ? La réception de La morale et la science des moeurs, Revue française de sociologie, XLV, n° 3, p. 415-440.
MERLLIE Dominique. Quelle mobilité sociale au-delà des transformations de la structure sociale ? in Fabienne Berton et al. (éd.), Initiative individuelle et formation, Paris, L’Harmattan, 2004 (" Cahiers du GRIOT),p.165-174.
MERLLIE Dominique. La querelle de la " science des mœurs ", in Johan Heilbron, Remi Lenoir, Gisèle Sapiro et Pascale Pergamin (dir.), Pour une histoire des sciences sociales. Hommage à Pierre Bourdieu, Paris, Fayard, 2004, pp.47-58.
MERLLIE Dominique. Comment confronter mobilité " subjective " et mobilité " objective " ?, Sociologie du travail, XLVIII, n° 4, octobre-décembre 2006, p. 474-486.