Echos du Salon des thèses 2006...
Le
profil des docteur(e)s 2005
par Nonna Mayer (Présidente de l'AFSP). Séance
d'ouverture
Les thèses présentées au salon offrent un miroir à la fois décalé et partiel de la recherche en science politique. Décalé parce que les thèses ont en moyenne été commencés 5 ans plus tôt et quil faudrait compléter ce bilan par un recensement des sujets déposés dans lannée, on essaiera de le faire lannée prochaine. Partiel parce que tous les docteur(e)s ne sinscrivent pas. Jai donc complété les informations recueillies auprès des 29 docteur(e)s inscrit(e)s au salon avec les 14 thèses soutenues à Sciences Po Paris en 2005 dans le secteur de la science politique, dont jai pu avoir connaissance par lécole doctorale. Soit un total de 43 thèses, environ la moitié du nombre approximatif de thèses soutenues dans lannée en science politique au sens large.
Sur
cette base de 43, quelles sont les grandes tendances ? Le genre ne fait
pas de différence, on compte à peu près autant dhommes
et de femmes. Il y a une nette disparité géographique, les trois
quarts de ces thèses ont été soutenus à Paris. Cest
Sciences Po Paris qui arrive en tête avec 22 thèses soutenues soit
la majorité. En second vient Paris 1 (environ une sur cinq). Si on ajoute
à Sciences Po toutefois les IEP de province, lensemble des IEP
concentre les deux tiers des thèses soutenues. Par sous discipline maintenant
lexercice est difficile, beaucoup de travaux se situant à lintersection
de plusieurs champs. On compte grosso modo 9 thèse en relations internationales
(défense, diplomatie, relations inter états), 3 en politiques
publiques (dont deux mixtes Politiques publiques/RI), 4 en Pensée et
théorie politique. Le reste relève de la Sociologie politique
mais avec une prédominance des études sure les aires culturelles
(Monde musulman, Europe post communiste : 9). On note un nombre important
de thèses qui dune manière ou lautre ont trait lUnion
européenne (11) ainsi que celles qui ont une dimension comparative (8).
Au total celles qui concernent exclusivement la France sont minoritaires :
(un gros quart). Signe douverture sur le monde, quon peut rapprocher
du nombre croissant de co-tutelles (4). Si lon se fonde maintenant sur
les 29 thèses inscrites dont les résumés sont disponibles,
deux constats. Les résumés, de longueur inégale (entre
1 et 7 pages) ne vont pas toujours à lessentiel, ils permettent
parfois difficilement de savoir sur quoi la thèse a porté et avec
quels résultats.
Lannée
prochaine nous proposerons un petit guide de ce quon sattend à
y trouver : problème, cadre théorique, hypothèse centrale,
méthodologie et résultats principaux. Par ailleurs la grande absente
des résumés est, justement, la méthode. 5 résumés
sur 29 détaillent vraiment comment la recherche a été menée,
comment les hypothèses ont été vérifiées,
à parti de quel matériau, quel type danalyse de contenu.
Or cest un point fondamental, cest la méthode qui différencie
la recherche en sciences sociales du journalisme ou de la littérature.
Pas nécessairement une méthodologie " quantitative ",
dont la science politique en France, comparée aux Etats-Unis, est peu
friande (lanalyse comparée que fait Libia Billordo des articles
à la RFSP, à Politix et à lAPSR est éclairante
sur ce point : " Data,
measures and methods. Publishing in French Political Science Journals :
an inventory of methods and subfields" , French politics, 2005,
3(2) :178-186. Et des 29 thèses inscrites au salon 3 mettent en uvre
une analyse statistique des données). Mais une approche rigoureuse, systématique,
" méthodique " du problème traité.
Sur
les bienfaits paradoxaux de lexpatriation
par Sophie
Duchesne (Chargée de recherche au CNRS/Cevipof). Table ronde sur la mobilité
internationale.
A lheure de la mondialisation, Pascale Laborier, professeure de science politique et directrice du centre Marc Bloch à Berlin et moi-même, avons été sollicitées pour convaincre nos jeunes collègues des bienfaits personnels et collectifs de la mobilité internationale. Je reviens pour ma part de 4 années passées à Oxford dans lUnité CNRS de la Maison Française, et jai auparavant passé une année de thèse à Berlin et quelques mois à Florence, en Italie. Sachant combien un séjour de recherche à létranger est de plus en plus considéré comme un élément incontournable dans un début de carrière universitaire réussi et présenté aux jeunes chercheurs concernés comme une chance, jai choisi de me faire lavocat du diable et dévoquer pour commencer tous les inconvénients quimpliquent une installation professionnelle provisoire hors de nos frontières.
Dabord, la mobilité cest coûteux.
Quoiquon en dise, la mobilité coûte cher à ceux qui bougent. Ne nous leurrons pas, surtout lorsquon reçoit une pour une année, et quil faut donc bien garder ses arrières en France (et donc continuer de payer un loyer par exemple, ou faire garder ses meubles, es livres ), une expatriation cest jamais rentable. Même les chercheurs titulaires qui partent avec des salaires dexpatrié, pourtant calculés de façon extrêmement généreuse, nen reviennent pas riches. Alors que penser des bourses Lavoisier ou équivalent
Cest coûteux en temps : en temps dinstallation, en temps dapprentissage linguistique, en temps dadaptation à de nouvelles formes de sociabilité professionnelles, en temps pour se recréer des routines et bientôt en temps pour faire des candidatures et se trouver une nouvelle bourse pour lannée suivante puisque tous ces financements de mobilité sont rarement pour plus dune année. Dans une période de vie où on vous presse de publier pour améliorer votre dossier, le temps gagné à rester chez soi nest pas négligeable !
Cest coûteux affectivement et psychologiquement : je pense bien sûr aux gens quon ne peut pas emmener avec soi, aux difficultés davoir des enfants dans ces conditions, mais aussi sur toutes les peurs quil faut surmonter et les ressources en terme destime de soi quil faut trouver pour faire son trou ailleurs. Quand on réussit, on en sort certainement gagnant ; mais les difficultés propres à la mobilité peuvent aussi se révéler pratiquement insurmontables et éroder encore la confiance ou lestime de soi de jeunes candidats à la carrière universitaire.
Ensuite la mobilité, ça réduit ce quon a fait jusque là à du savoir local
Arrivé à létranger, on découvre quune grande partie des références sur lesquelles on sest construit sont très peu connues ailleurs : rien de tel que de faire une présentation ou denseigner dans une autre langue que la sienne pour réaliser à quel point les auteurs français les plus souvent cités en science politique en France sont, à lexception de Pierre Bourdieu, pratiquement inconnus ailleurs.
Sa propre petite bibliographie personnelle, les quelques papiers qui devraient vous servir de carte de visite pour contacter les collègues étrangers, se réduit à la portion congrue dès lors quil apparaît clairement que nexistent au-delà du sol français que les publications en anglais.
Plus grave, on réalise alors quon a jusquici fait non pas de la science politique, mais des French politics ! En effet, vu de létranger, et notamment du monde universitaire anglo-saxon, les recherches françaises sont doublement spécifiques : elles sont spécifiques à cause de la particularité des modes de construction du savoir en France, qui connaît une forte propension à la généralisation, un relatif mépris de lempirique, un sous-développement notable des approches quantitatives ou formalisées notamment. Elles sont spécifiques également à cause du terrain français lui-même, dont la culture, les pratiques et les institutions politiques sont beaucoup plus particulières que notre appétence pour luniversel ne nous permet de voir
Ce double particularisme, dans la façon dappréhender les objets et dans les objets eux-mêmes, a de fortes conséquences sur la science politique produite par les Français. La difficulté dexporter les recherches faites en France nest pas seulement dordre linguistique. Il ne suffit pas de traduire nos travaux pour les rendre compréhensibles au-delà de notre système culturel. La mobilité professionnelle est un révélateur brutal de ce particularisme pour des jeunes chercheurs qui ont été bercés dans lillusion de luniversalisme à la française. Elle ouvre à ce qui me paraît un dilemme sans fin : comment ouvrir la recherche française au système international, très largement dominé par des normes et des perceptions anglo-saxonnes, sans la transformer profondément et perdre partie de sa richesse ? Mais aussi, comment, une fois quon a pris conscience de son particularisme, continuer à croire quon produit du savoir global et non du savoir local ?
La mobilité rend conscient(e) de la nécessité de faire évoluer les structures dencadrement de la recherche en France
Aller travailler dans des universités à létranger (avec, il faut le reconnaître, la distorsion créée par le fait que ce sont souvent les meilleures universités qui attirent des jeunes chercheurs étrangers) on se rend vite compte quailleurs, le travail collectif dune part, la complémentarité des tâches entre administration de la recherche et réalisation de la recherche dautre part, ça peut fonctionner.
Ca ne veut pas dire quil existe quelque part un système idéal, et que le système français serait pire que tous les autres : loin de là ! Mais les vertus de la comparaison font quon peut imaginer des améliorations à ce quon a toujours connu et donc, considéré comme normal. On notera ici que cet argument, comme la plupart des arguments de cette première partie, peuvent déjà être évoqués à propos dune mobilité intra-nationale
La mobilité internationale rend vite consciente de linadaptation toute particulière des structures françaises de gestion de linternationalisation de la recherche : concurrences MAE/CNRS, faiblesse voire absence de visibilité des Universités françaises au niveau international (qui fait craindre dautant plus laffaiblissement du CNRS, lui très bien reconnu à létranger). Ces dysfonctionnements sont très visibles dans la difficile réforme des laboratoires français à létranger.
Autrement dit, la mobilité, en faisant prendre conscience combien le système français de gestion de la recherche doit être amélioré pour se mettre à la hauteur de ses ambitions internationales mais pas seulement rend nécessaire linvestissement au retour dans la réforme des structures dencadrement de la recherche (via le syndicalisme professionnel, lappartenance aux associations de la discipline ) lequel, on le sait, est extrêmement coûteux en temps !
Le pire, cest que la mobilité, en plus, on y prend goût
Tous ces inconvénients, on le voit bien, peuvent avoir un effet paradoxal : ils donnent envie de repartir ! Il est frappant de voir dailleurs combien ce sont souvent les mêmes qui (re)partent. Il est difficile de savoir à quoi on prend vraiment goût cependant : est-ce à une façon de vivre à court ou moyen terme ? A à la remise en cause des routines ? A ce sentiment de clairvoyance que constitue le fait de reconnaître le localisme du savoir que lon produit soi-même ? A ce sentiment de puissance que lon éprouve à pouvoir penser et exprimer les choses en deux langues/systèmes de pensées ?
Et donc le fait quon a souvent du mal, quand les premières expériences de mobilité sont réussies, à se résigner sinon au retour, du moins à ne pas repartir
Limpératif de mobilité qui frappe aujourdhui de plein fouet les (jeunes) carrières universitaires a peu de chance de céder le pas. Pour avoir eu la chance dy céder dans de bonnes conditions, jy ai trouvé de nombreux bienfaits. Mais il me semble quà le présenter toujours comme une chance offerte aux jeunes chercheurs, je crains quon ne prenne pas assez en considération les coûts que cela représentent pour eux, et les risques correspondants que cette expérience se passe mal. Au lieu de leur donner confiance en eux et ouverture desprit, une mobilité mal vécue les refermera sur la tendance à limmobilisme et au particularisme qui dominent la science politique française.
La
contribution des écoles doctorales à la professionnalisation des
docteurs
par Pierre
Sadran (Directeur de l'ED n°208 de science politique de l'Université
de Bordeaux IV). Table ronde sur la contribution des écoles doctorales
à la professionnalisation des docteurs en science politique.
Résumé de lintervention de Pierre Sadran au Salon des thèses.
LEcole doctorale de science politique de Bordeaux (ED 208) accueille actuellement une centaine de doctorants encadrés par la trentaine denseignants-chercheurs et de chercheurs titulaires de la HDR qui se répartissent dans les cinq équipes daccueil de lInstitut dEtudes Politiques de Bordeaux et de luniversité Montesquieu Bordeaux IV (1). Lensemble du dispositif est suffisamment intégré pour que lED puisse avoir une véritable politique scientifique.
Le recrutement des doctorants se fait sur la base dun master recherche de science politique (ou dune formation jugée équivalente), et dun projet détaillé,( soumis à évaluation préliminaire de deux directeurs de recherche de lED pour les étudiants venant dautres disciplines), qui peut, le cas échéant, donner lieu à audition. Linscription suppose le triple accord dun directeur de recherche membre de lED, du directeur de léquipe daccueil envisagée, et du directeur de lED. La plupart des thèses inscrites sont désormais des thèses financées par une allocation de recherche. LED ne sinterdit cependant pas dinscrire certains doctorants disposant par ailleurs des ressources nécessaires pour vivre normalement pendant la thèse. Lattribution des allocations de recherche se fait après examen dun projet détaillé de thèse, dont un exemplaire écrit est donné 15 jours à lavance aux membres du Conseil de lED qui se réunissent en jury pour auditionner les candidats.
Lencadrement proposé aux doctorants est triple :
Dune part, les équipes daccueil les plus structurées (CERVL et CEAN) organisent régulièrement tout au long de lannée universitaire des séminaires dans lesquels les doctorants sont invités à simpliquer activement.
Dautre part, lED organise ses propres séminaires en fonction de la demande, formulée chaque année, par les doctorants. En 2006 sont ainsi organisés une formation aux méthodes quantitatives, une formation approfondie aux techniques dentretien, une formation spécifique à langlais scientifique et un séminaire de conduite de projet professionnel .
Enfin, lED organise chaque année, pour tous les doctorants bénéficiaires dune allocation, une session de présentation de létat davancement de la thèse qui se révèle particulièrement pertinente. Chaque doctorant remet un papier et dispose dune heure de débat sur sa thèse avec le conseil de lED auquel se joint pour loccasion le directeur de la thèse.
Laide de lED à linsertion professionnelle des doctorants et jeunes docteurs prend plusieurs formes :
Le soutien financier accordé aux doctorants/jeunes docteurs dès lors quils ont été sélectionnés par un comité dappel doffre pour présenter une communication dans un colloque ou congrès.
Le soutien logistique et financier qui est donné aux doctorants pour organiser, sous leur responsabilité, une journée détude avec la participation dautres doctorants et de discutants " seniors "(Dernière en date, " Les mobilisations émergentes " doit prochainement paraître chez LHarmattan).
La participation régulière aux " Doctoriales " dAquitaine.
La diffusion systématique des propositions de post-doc ou de recrutements.
Louverture internationale de lED est importante, grâce aux réseaux vastes et anciens des centres de recherche. LED accueille des post-doc ou des doctorants étrangers et sefforce, réciproquement, de favoriser linsertion de ses doctorants dans des séjours post-doc à létranger. Par ailleurs, plusieurs thèses sont réalisées en co-tutelle, notamment avec des universités canadiennes, japonaises, allemandes ou espagnoles. La participation des doctorants/jeunes docteurs aux congrès internationaux est encouragée (Réseaux européens, réseau GARNET, etc.), et leur présence est régulière à lECPR par exemple.
Au total, les résultats obtenus par lEcole doctorale se sont traduits par une augmentation significative du nombre et surtout de la qualité des thèses soutenues, ce qui constitue le meilleur encouragement à poursuivre dans la voie dune politique scientifique affirmée.
(1) : Deux UMR CNRS/IEP, le CERVL et le CEAN, et trois autres équipes daccueil, le CEREB, le CREQCSS et le CAPCGRI.