Thomas Lindemann, Les doctrines darwiniennes et la guerre de 1914, Paris, Economica et Institut de stratégie comparée, 2001

La littérature sur les responsabilités et les origines du déclenchement de la Première Guerre mondiale est aujourd'hui tellement abondante qu'il semble hasardeux de vouloir encore éclairer un nouvel aspect de cette "catastrophe originale" (G.E. Kennan). Les historiens ont ramené la politique "au bord de l'abîme" allemande pendant la crise de juillet 1914 surtout à des facteurs objectifs - les structures. En revanche, on a accordé peu d'attention au rôle des mentalités belliqueuses et nationalistes dans le déclenchement du conflit. Cette étude démontre que le "jeu de poker" quelque peu désespéré des dirigeants allemands pendant la crise de juillet relevait moins des contraintes de la réalité objective que des perceptions faussées de celle-ci. Les complexes de menace des décideurs allemands et leur vision conflictuelle de la politique internationale s'inspiraient surtout de conceptions ethniques (l'unité organique de la nation, l'opposition naturelle entre Germains, Slaves et Gaulois) et social-darwiniennes (la guerre en tant que moyen de sélection inéluctable, puissance mondiale ou déclin, espace vital, etc.). Ces perceptions les incitaient à développer un comportement conflictuel en déformant leur vision de la réalité et devenaient ainsi à leur tour des facteurs objectifs pour le dédenchement du conflit.