La production de sécurité dans les territoires ruraux, François Dieu (IEP Toulouse)

La production de sécurité dans les territoires ruraux présente des caractères spécifiques, compte tenu de la configuration du milieu physique et humain dans lequel elle intervient. De fait, l'organisation policière (gendarmique) se trouve immédiatement confrontée aux problèmes quotidiens des populations rurales, frappées, à des degrés divers, par les phénomènes de régression démographique et de vieillissement, par les difficultés structurelles de l'agriculture et le marasme économique. Cette situation de précarisation des populations rurales est particulièrement évidente dans le monde rural profond, c'est-à-dire dans les zones enclavées et dépeuplées, quasi exsangues de services publics et d'activités économiques, éloignées des principaux centres urbains et rendues difficile d'accès par la configuration du terrain et l'état de l'infrastructure routière et ferroviaire. Dans ces zones, la modicité des problèmes d’insécurité objective contraste avec les attentes importantes des populations, pour lesquelles le service de la gendarmerie représente bien souvent, matériellement et symboliquement, le premier et l’ultime acteur de la puissance publique, en charge de missions dépassant le strict cadre de l’activité policière. À l’opposé, à la périphérie des villes, le développement des zones périurbaines pose d’indéniables problèmes d’appréhension de leurs particularités et de réponse à une insécurité de type urbain en constante progression.

Par l'implantation de ses brigades sur l'ensemble du territoire, la gendarmerie a la responsabilité de la sécurité publique de ces espaces ruraux fortement hétérogènes, du fait de l’obscurcissement tendanciel de la frontière physique et culturelle entre les civilisations urbaine et rurale. Avec un effectif souvent réduit et des charges de travail élevées, la brigade territoriale est appelée à jouer le rôle de service public policier de proximité, au moyen d’une mission de surveillance générale profondément remise en cause par les mutations de l’environnement social et par les bouleversements organisationnels que connaît la gendarmerie depuis la fin des années 80. Aussi, la principale question qui se trouve posée, à l’heure actuelle, en matière de politiques publiques de sécurité en milieu rural, outre leur caractère empirique, pour ne pas dire improvisé, réside dans la nécessité d’engager une refonte complète de la carte policière, de manière à assurer, par des redéploiements d’ensemble, une adéquation entre les effectifs de gendarmerie et les réalités socio-démographiques et insécuritaires. Cet impératif de rationalité se heurte toutefois à une logique de territorialité, à une vision étriquée (purement physique) de la proximité, défendue avec virulence par une coalition d’intérêts corporatistes, paralysant en ce domaine toute velléité d’action publique.