La médiation dans les politiques locales, Jacques De Maillard (Université de Bordeaux)

La communication s’interroge sur la montée de la référence à la "médiation" dans les discours politiques et administratifs, les cadres intellectuels et les pratiques des protagonistes des politiques de sécurité urbaine. Dans un contexte marqué par la remise en cause des services publics dans certaines zones, la montée des incivilités, la diffusion de logiques de "désaffiliation" sociale, la thématique de la médiation a émergé au sein de la société française, portée par des courants idéologiques pour partie contradictoires, les uns y voyant un mode alternatif de résolution des conflits (selon des perspectives citoyennes et/ou communautaires), les autres un nouveau mode de régulation des rapports sociaux permettant de délester les circuits administratifs habituels. De façon générale, la logique de médiation cherche à dépasser un double antagonisme : entre prévention et répression d’un côté, entre travail administratif et travail social de l’autre. L’opposition entre prévention et répression a pendant longtemps alimenté le débat en matière de sécurité publique. La médiation tente de dépasser cet antagonisme, en évitant le recours à une sanction imposée tout en favorisant une responsabilisation des personnes en conflit. Le clivage entre travail social et logique administrative est également un classique des modes d’intervention publique, tous les deux étant sous-tendus par des rationalités nettement différenciées. Si elle se rapproche du pôle du travail social, la médiation s’en distingue cependant dans la mesure où le tiers-médiateur ne joue qu’un rôle d’intermédiaire dans la résolution du conflit, là où le travailleur social serait susceptible de remplir une fonction curative. Pour ces raisons, la médiation a pu apparaître comme porteuse d’un renouvellement radical des logiques d’action publique. La rapide généralisation — de façon plus ou moins expérimentale — de différents types de médiation (familiale, pénale, sociale) est un indicateur incontestable de ce succès du terme. La diffusion des délégués du Médiateur de la République, et leur installation dans les quartiers dits "sensibles", est un autre signe de ce succès. Ce succès ne s’accompagne nécessairement d’une clarification de ses significations. Le même mot de médiation recèle plusieurs sens, ce qui peut être facteur d’ambivalence, voire d’ambiguïté dans la conduite de l’action publique. La convivialité du terme en fait un mot-valise, surinvesti — saturé ? — de sens. D’abord, la catégorie générique de "médiation" abrite deux logiques différentes. D’un côté, on trouve une logique de médiation qui consiste en la résolution d’un conflit entre deux parties, de l’autre, une médiation qui constitue un retour à la norme, ce que l’on pourrait appeler une médiation de conformation.En outre, l’investissement politique du rôle des "médiateurs" a pu se traduire par un usage non approprié du concept. La mise en place d’agents locaux de médiation sociale, qui sont loin d’exercer véritablement ces fonctions, est à cet égard significative. Dans la pratique, ils ont du mal à jouer un rôle dont ils n’ont, finalement, que le titre, et se retrouvent écartelés entre plusieurs référentiels (animation, sécurité, social). En outre, contrairement à ce qui était attendu d’eux initialement, ils ne constituent pas nécessairement un "pont" entre les institutions et leur environnement, mais peuvent constituer une "porte" autorisant les institutions à se replier sur elles-mêmes.