Véronique Nahoum-Grappe, "Le récit de cruauté comme piège"
Lorsque les événements sociaux et politiques où éventuellement des séquences de "violence extrême" se sont déroulés puis se sont éloignés dans le temps, restent les traces : les objets et lieux des faits, charniers, ruines, les documents qui ont échappé à l'histoire, ordres écrits, listes de noms, de coûts, lettres et autres pièces "à conviction" historique et, enfin, les témoignages des survivants de tous les camps. Le statut des témoins est divers, ils peuvent être acteurs ou spectateurs directs, ils peuvent aussi être auditeurs privilégiés, formant comme un second cercle autour de ces premières paroles. Toute la problématique concernant la véracité des témoignages est largement balisée par les historiens dont toute la déontologie consiste à en maîtriser la portée. Lorsqu'il s'agit des récits de violences extrêmes, et nous avions employé cette expression dans un article de février 1993 (dans le journal Le Monde) pour qualifier les pratiques de purification ethnique dans le conflit en cours en ex-Yougoslavie, un piège différent vient s'ajouter à celui de la question épistémologique du "vrai", qui tient au contenu même de ces récits de cruauté. L'approche anthropologique peut alors être ici utile pour tenter de décrire ce second type de piège, qui permet l'instrumentalisation spécifique possible de ce type de récit dans les divers champs qui choisissent ou non de l'utiliser, humanitaire, policier, juridique, journalistique, historien, littéraire et, enfin, politique.