Voter en Afrique : différenciations et comparaisons

7-8 mars 2002

Colloque organisé par l’AFSP
sous la direction de
Patrick Quantin (FNSP-CEAN)

Institut d’études politiques de Bordeaux

11, avenue Ausone
BP101
33607 Pessac Cedex

 

 

PROGRAMME

 

Comment les politologues travaillant sur l’Afrique peuvent-ils contribuer aux débats de la science politique "générale" ? Cette dernière, science politique de référence, parce qu’elle définit le cadre d’une discipline, est aussi perçue comme "centrale" puisqu’elle se consacre d’abord et surtout aux sociétés occidentales par opposition aux  études d’"aires" situées à la périphérie du monde.

Les recherches sur le politique en Afrique peuvent-elles se tenir à l’écart des discussions sur les théories et les méthodes autour desquelles s’est construite et évolue la science politique "centrale" ? Doivent-elles se désintéresser des thèmes plus classiques que sont les objets politiques déjà identifiés : partis, bureaucratie, institutions, politiques publiques, mobilisation, participation, élites, élections, etc. ?

Il s’agit, au cours de ce colloque de l’Association française de science politique, de poser ces questions. Le thème des élections a été retenu car il offre des possibilités de convergence entre "africanistes", comparatistes et, bien sûr, "électoralistes". Il propose d’observer les différences et de formuler un comparatisme qui n’irait pas du centre vers la périphérie, qui n’interrogerait pas l’autre en fonction de soi mais au contraire tirerait profit du regard éloigné et se libérerait des pesanteurs de l’exotisme.

A première vue, la différence entre les scrutins africains, organisés dans des sociétés en développement aux systèmes politiques instables, et ceux des démocraties occidentales relève de l’évidence. Pourtant, cette distinction appelle un retour sur les conditions scientifiques qui ont présidé à la coupure entre systèmes politiques occidentaux et africains. En effet, si elle a souvent rendu compte des événements électoraux, la recherche africaniste sur le politique s’est peu intéressée à l’élaboration d’une problématique générale visant à expliquer ce que voter veut dire ou encore ce qu’est une consultation électorale dans les sociétés africaines contemporaines.

Pourtant, les présupposés qui fondent la séparation entre élections "occidentales" et élections africaines sont discutables. Certes, les critères de compétitivité définissent tendanciellement une distinction, mais tous les systèmes européens ne sont pas concurrentiels (ou pour le moins ne l’ont pas toujours été) tandis que l’Afrique a connu des expériences d’élections libres à différentes périodes. Ces critères sont insuffisants pour justifier une coupure.

Comme ailleurs dans le monde, pour comprendre les électeurs africains (et l’acte de vote), il faut comprendre les élections (comme cadre variable de l’action) ; et pour comprendre les élections compétitives, il faut auparavant s’interroger et expliquer les mécanismes des élections classées non-compétitives, situations dans lesquelles la lutte pour le pouvoir se joue ailleurs que dans les urnes. La dimension historique a ici son importance : elle affaiblit la thèse d’une importation de la démocratie et de ses procédures. Elle nuance l’hypothèse du mimétisme. Le problème de comparaison qui est posé intéresse non seulement les sociétés au sud du Sahara mais aussi la problématique générale de la démocratie.

On a tendance à n’écrire aujourd’hui sur les élections en Afrique que pour en démasquer les imperfections et dénoncer les inadaptations. Pourtant, il ne suffit pas de déplorer que la voie électorale n’est pas une pente naturelle des systèmes politiques africains et il est extrêmement aisé de trouver des arguments pour montrer qu’elle engendre autant de problèmes immédiats qu’elle peut en résoudre.

Pour disposer d’une série d’observations suffisamment variées, effectuées dans la durée, il convient de se référer à l’histoire des expériences électorales de ces cinquante dernières années en Afrique et non pas seulement aux seuls scrutins des années 1990. Cette perspective met en évidence des décalages et des dysfonctionnements par rapport aux résultats attendus. Ces apparentes "anomalies" peuvent être regroupées en trois grandes catégories. D’abord, celles qui décèlent l’absence de discipline ou d’intériorisation des normes de "bonne conduite" et qui posent le problème en termes de non-institutionnalisation de la loyauté politique. Ensuite, celles qui touchent aux difficultés de l’organisation de la mobilisation partisane et qui déplorent l’absence d’une scène politique autonome. Enfin, il est nécessaire de distinguer les caractéristiques touchant plus précisément la production des représentations et des choix. C’est l’occasion de souligner combien le vote est lié à l’individualisation des préférences, ce qui n’exclue pas nécessairement des dimensions communautaires dans la construction des préférences.

S’agirait-il d’élections structurellement et définitivement "pas comme les autres" ? Un nouvel examen porte la critique à deux niveaux bien différents.

D’abord, les systèmes politiques qui - hors d’Afrique - recourent aujourd’hui avec succès à la démocratie électorale présentaient un tableau tout aussi incertain durant la phase d’institutionnalisation de ce modèle. Avant de parvenir à réguler à la fois la circulation des élites politiques et la communication entre ces élites et le reste de la population, ils ont traversé de longues périodes durant lesquelles ni les structures, ni les acteurs n’étaient adaptés au fonctionnement d’élections pluralistes, "libres et honnêtes" organisées régulièrement.

Ensuite, il convient de dépasser ce nécessaire rappel pour se dégager d’une approche développementaliste. En effet, ce n’est pas seulement l’imperfection des pratiques électorales dans la genèse des régimes démocratiques pluralistes qu’il convient de mettre en avant pour saisir l’incertitude des trajectoires africaines contemporaines. Il est aussi très important de montrer, ou de rappeler, que ces imperfections sont des éléments constitutifs permanents du fonctionnement des démocraties électorales occidentales et des régimes apparentés. Aucune de ces expériences, en commençant par les plus souvent citées en exemple - anglaise, américaine ou française - ne fonctionne aujourd’hui sans équivoque, sans atteintes aux normes de la loyauté politique, sans flottement dans la mobilisation partisane et sans interférence identitaire remettant en cause l’individualisation du vote. En un mot, l’institutionnalisation incertaine de la démocratie électorale en Afrique doit être lue à la lumière des échecs et des hésitations des expériences confirmées dans les sociétés porteuses du modèle afin de relativiser les diagnostics. Cette lecture peut s’organiser autour de la discussion d’hypothèses qui remettent en question la particularité structurelle du vote dans les sociétés africaines sans pour autant négliger la singularité des trajectoires politiques de chacune.

Face à la (re)démocratisation en Afrique, la recherche universitaire semble avoir été prise au dépourvu par les plans élaborés dans les circuits de la politique internationale. La Banque Mondiale a lancé le mot d’ordre de la "good governance" dans son rapport annuel de 1989, la France a renchéri par le discours de La Baule de 1990 liant l’aide à la réforme politique et les Etats-Unis comme la Communauté Européenne ont rivalisé de sévérité dans l’application de critères de "conditionnalité démocratique" des systèmes politiques africains. Même si par la suite, la pression a quelque peu diminué, laissant de nouveau le pragmatisme s’exprimer, il est encore difficile d’aborder d’un point de vue non normatif le problème des élections en Afrique. Or, l’enjeu scientifique actuel est d’interpréter les processus mis en jeu dans le passage à la démocratie électorale, autant ceux qui facilitent ce passage que ceux qui le contrarient car ils fournissent des indications sur les capacités de changement des systèmes politiques. Ceci suppose la mise en place d’un dispositif - théorique et pratique - adapté à l’observation du vote et à l’ensemble des mécanismes sociaux qui le déterminent. Cette carence est patente comparée aux moyens affectés à cette tâche dans des sociétés où la démocratie est stabilisée et où les études électorales disposent d’un luxe de raffinements. La différence entre le vote en Afrique et en Occident est autant dans le regard qui est porté par les chercheurs que dans la culture politique des électeurs.

Ces quelques orientations indiquent que la problématique de la comparaison des élections africaines, aussi bien entre elles qu’avec celles qui ont lieu ailleurs dans le monde, doit rejeter le programme du "commentaire politique" qui reste centré sur les résultats. Elle doit au contraire proposer des approches qui contournent le comptage de voix pour mettre au jour les mécanismes d’un phénomène social total. La grille présentée ici s’attache à ce programme.

 

PROGRAMME

7 mars 2002

 

09.00 – 09.30 : Accueil

09.30 – 10.00 : Ouverture :

 

10.00 – 12.30

Introduction générale

Président : P. SADRAN (IEP Bordeaux)

Discutant : D.L. SEILER (IEP, Bordeaux), Alice SINDZINGRE (CNRS Paris)

QUANTIN, Patrick (CEAN, Bordeaux)
Un objet politique déjà identifié : le vote en Afrique
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BAKARY, Tessi (Université Laval)
Élections et démocratisation en Afrique : tentative de bilan

VAN de WALLE, Nicolas (Michigan State University)
Presidentialism and Clientelism in Africa’s Emerging Party Systems
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SINDJOUN, Luc (Université de Yaoundé II)
Qu’est qu’une élection "libre et honnête" au Cameroun ?

 

14.30 – 18.00

Président : F. CONSTANTIN (CREPAO, Pau et pays de l’Adour)

Discutant : Nonna MAYER (CEVIPOF, Paris), OTAYEK, René (CEAN, IEP Bordeaux)

GAZIBO, Mamoudou (Université de Montréal)
La vertu des procédures : vote et transformation des comportements politiques au Niger
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TONDA, Joseph (Université O. Bongo, Libreville)
Le paradoxe du "leader esclave" en Afrique centrale
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MAYRARGUE, Cédric (CEAN, IEP Bordeaux)
Les représentations et les comportements des acteurs politiques en campagne électorale. Une étude des tracts et des meetings au Bénin
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TOULABOR, Comi (CEAN, IEP Bordeaux)
Les élections des années 1950 au Togo, mobilisation partisane et apprentissage du vote
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8 mars 2002

09h00 – 12h30

Président : Jean-François BAYART (CERI)

discutant : Ch. COULON (IEP Bordeaux)

COMPAGNON, Daniel (CEAN, IEP Bordeaux)
La pertinence de la phase préparatoire des opérations de vote dans l’analyse de la signification du processus électoral en Afrique (Zimbabwe, Botswana)
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PEROUSE de MONTCLOS, Marc-Antoine (IRD, Paris) :
Mais où sont passés les syndicats ? des déficiences structurelles à l’épreuve de la démocratisation en Afrique
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MAINDO, Alphonse (Paris I)
Kisangani/RDCongo en 1997 : de l'appropriation du processus électoral par "le bas" à la revanche populaire
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ATLAN, Catherine (Aix)
Fraudes et violences électorales (1900-1940) : genèse d'une tradition politique à l'époque coloniale

 

14.30 – 18.00

Président: Pierre Muller

Discutants : Richard BALME (IEP Paris- CEVIPOF), Christophe JAFFRELOT (CERI)

MESSIANT, Christine (CEA, EHESS, Paris)
Angola "mobilisations électorales, mobilisations guerrières (1992 et 2002)"

THIRIOT, Céline, (CEAN, IEP Bordeaux)
Les enjeux matériels de l’élection

BANEGAS, Richard (Paris I)
Vote et marchandisation (Bénin)

ENGUELEGUELE, Maurice (Université d’Amiens)
Le paradigme de l’analyse économique du vote en Afrique: le cas du Cameroun
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OULD AHMED, Zekeria (Nouakchott)*
Gouverner les élections : l’Observatoire National des Elections (ONEL) au Sénégal
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* (sous réserve)