sous
la direction de
Romain Pasquier, docteur
en science politique (CRAP/IEP de Rennes)
Antoine
Vion maître
de conférence en science politique (LEST/Aix Marseille II)
Lidée de cette journée sest imposée au fil de discussions éparses entre collègues engagés dans des recherches de thèses qui mettaient en évidence une exigence de recherche empirique sur les débats et réformes de ladministration territoriale sous la Quatrième République. Cette journée a donc dabord pour objectif de faire le point sur ces recherches achevées ou en cours afin de voir dans quelles mesures les données recueillies peuvent savérer cumulables et en quoi la confrontation des méthodes et modèles danalyse peut permettre de produire de nouvelles exigences empiriques qui ne pourraient être imaginables sans elle. Le pari de cette journée est donc tout dabord celui de limpulsion dun processus déchanges, qui avait été en germe au sein du CRAP et au gré de rencontres dans un Projet nouveau CNRS plus spécifique : "Dimensions internationales du mouvement municipal" (1999-2001), dirigé par Pierre-Yves Saunier (CNRS Lyon).
Réinterroger les modèles danalyse dune période méconnue
Sans postuler quil existe un objet commun suffisamment identifié pour fonder la cohérence du programme, nous identifions de très fortes connexions entre les terrains dinvestigation, qui peuvent permettre douvrir une nouvelle page de recherches fécondes. En effet, à ce jour, peu d'enquêtes socio-historiques ont permis d'étayer la critique récurrente du modèle centre-périphérie pour la période courant de l'après-guerre aux débuts de la Ve République. Et il semble bien, au bout du compte, que, faute de mieux, on entretienne un peu mécaniquement la vision d'une France du Welfare, des nationalisations, et de la planification où les "notables" négocieraient la traduction locale des normes centrales. Cette routine présente deux écueils massifs que nous voudrions éviter. Dune part, elle ne conçoit la période de la Quatrième République que comme une période de naissance de la planification, annonçant en quelque sorte les prémisses de la rationalisation engagée ultérieurement. Dautre part, elle privilégie un mouvement descendant qui risque fort de cantonner le rôle des élus dans des jeux politiques quasi-exclusivement circonscrits aux arènes locales, ou, tout au plus, dans des jeux de cumul essentiellement motivés par des problèmes de leadership. Or, les multiples mobilisations et réformes de la période montrent au contraire que l'administration territoriale est entretenue ou redéfinie dans le cadre de relations étroites et complexes entre les institutions politiques centrales et les élus locaux, sur des scènes multiples dont il resteà saisir les interconnexions.
En ce sens, la multiplicité des enjeux et des scènes et labsence concommitante de traitement institutionnel sous forme de "grande réforme" caractérise la période. Labsence de grande réforme densemble de ladministration territoriale, qui contraste avec lébullition constitutionnelle de la période, est sans doute ce qui explique le relatif désintérêt pour des débats et mobilisations restés plus confidentiels, moins palpables sous forme deffets institutionnels immédiats. Il en ressort le sentiment dune sorte de terra incognita, tant chez les historiens que chez les politistes. Dun côté, les historiens ont en effet massivement investi sous tous les angles possibles létude de la Troisième République et de la période de Vichy. Ce faisant, ils laissaient peu ou prou de côté lhistoire politique de la Quatrième, période pour laquelle ils privilégiaient lhistoire culturelle, ou plus ponctuellement la recherche sur les grands conflits politiques (Guerre dIndochine, guerre dAlgérie) ou sur les partis politiques. De lautre côté, en science politique, le grand flux de travaux des années soixante a focalisé lintérêt pour la Quatrième République sur les institutions, les partis et les élections, thèmes qui sinscrivaient dans les débats constitutionnels et politiques du moment. La production de travaux relatifs au gouvernement local entre 1968 et le milieu des années quatre-vingt (Cf Politix, n° 2) a eu pour principal objectif de combler le sentiment de retard en la matière, tout en voisinant avec les thématiques de la modernisation administrative et de la décentralisation. Il est ressorti de cette vague de travaux quelques thèses fortes (celles de Pierre Grémion, Jacques Lagroye et Albert Mabileau) qui restent les points de référence pour tout chercheur intéressé à ladministration locale. Mais ces thèses ont le plus souvent fait limpasse sur la période qui nous intéresse, sauf à la saisir sous la forme de restitutions danalyses tirées dentretiens. Ces travaux ont ainsi insisté sur la rupture des débuts de la Cinquième République. Notre propos nest pas tant de postuler une complète continuité en matière dadministration territoriale que de réinterroger empiriquement des modèles de jeux antérieurs à la gestion gaullienne, et qui ont bien souventété laissés à létat dintuitions par les chercheurs. Sur ce point, une première difficulté dordre méthodologique est linscription à la fois nécessaire et piégeante des recherches entreprises dans une démarche comparative. Cette démarche est évidemment nécessaire parce que seule la comparaison peut permettre didentifier les changements effectivement à luvre dans cette période, en saisissant les équilibres institutionnels dans une durée plus longue que celle dune décennie ou deux. Cest la raison pour laquelle la complémentarité des intervenants et des discutants a été privilégiée, certains ayant développé des compétences historiques et historiographiques plus en amont, et dautres en aval de la période envisagée ici.
Mais cette démarche comparative peut-être en loccurrence piégeante pour deux raisons. Dabord, parce que le recours inévitable à des modèles institutionnels, sil offre "un schéma stable de relations sémantiques entre concepts, cest à dire un schème dintelligibilité théorique transposable de description en description", nen constitue pas moins un tableau de pensée idéal pouvant conduire à figer ces relations, à les tenir pour statiques afin de faire ressortir les dynamiques privilégiées par le chercheur. Il en résulte une difficulté collective pour le débat, qui est de restituer pour chacun des enjeux étudiés les véritables séquences historiques du changement, en reprenant quelques distances avec les idéalisations opérées à lappui de chacune des démonstrations comparatives conduites par les intervenants.
La discussion peut ainsi permettre dengager une réflexion sur les mobilisations et réformes de cette période en prenant quelques distances avec les concepts dynamiques macroinstitutionnels régulièrement mobilisés (modernisation, technocratisation, etc.). Il est peut-être utile aujourdhui de dépasser, au moins provisoirement, la subordination de lanalyse historique à ce type de concepts, pour retrouver la part des controverses, des incertitudes, des échecs souvent laissée pour compte dans ce type de raisonnement. En dautres termes, il est peut-être temps de revenir aux sources pour éprouver ces modèles, pour voir sils gardent leur vertu dinterprétation analogique dans le contexte de la Quatrième République.
Bien sûr, le but nest pas de révoquer en doute lintérêt de ce type de modèles pour lanalyse au profit de sociographies ou biographies empiriquement solides mais faiblement heuristiques. Mais peut-on se satisfaireà linverse dun vide informationnel autorisant le type de généralisations incontrôlées quaffectionne encore trop souvent aujourdhui notre discipline ? La démarche commune à tous les intervenants, avec des méthodes différentes, est de considérer que le détour par un travail darchives attentif permet laccès à de nouveaux questionnements sur les processus de transformation des équilibres institutionnels.
Lenjeu de la rencontre du 8 février est donc moins, formellement, de présenter ces thèses à la manière du grand colloque, mais de tenir une vraie journée détudes, permettant un détour collectif sur les sources et leur analyse engageant la possibilité dune cumulativité des résultats de recherche. Nous identifions ici trois directions principales pour la discussion.
Définir les scènes et les séquences de mobilisation
Les sociologues des organisations, en privilégiant la comparaison des scènes locales pour saisir larticulation des relations institutionnelles (Worms, 1970 ; Grémion, 1976 ; Borraz, 1994), ont sans doute été conduits à sous-estimer le rôle des élus locaux sur dautres scènes, et les effets de leurs mobilisations sur lorganisation de ladministration territoriale.
Sans céder à une vision héroïque de ces mobilisations, qui conduirait à renverser la perspective, il nous semble quil faudrait sortir dune vision alternant approche top-down de la modernisation et analyse localisée des arrangements, pour privilégier au contraire des mouvements complexes de construction circulaire des enjeux, impliquant des interactions sur des scènes multiples.
En premier lieu, certains intervenants ont ainsi été conduits à étudier les scènes constituées par les organisations délus locaux, et la façon dont elles ont permis lélaboration de réponses à des contraintes institutionnelles et lagrégation des intérêts ou des valeurs dans la constitution de nouveaux enjeux. Cette interrogation semble conduire à dépasser une conception fonctionnaliste de ces organisations, selon laquelle elles "serviraient" principalement à apprendre un rôle ou un métier (Petaux, 1994). Ces scènes nous paraissent plutôt être tout à la fois des lieux délaboration dun discours collectif, des lieux déchanges sur le rôle, des lieux déchange et de négociation avec les autorités gouvernementales (congrès des maires, des présidents de conseils généraux, etc.), mais aussi des lieux de structuration de relations transnationales et de diffusion des innovations étrangères (innovation municipale, construction de lenjeu régional). A cet égard, il convient de prendre en compte que très tôt certains militants politiques et élus locaux ont investi la scène européenne pour favoriser la construction européenne, mais aussi pour en réorienter la politique en faveur des collectivités locales. De plus, il conviendra de comprendre en quoi ces organisations ont pu véritablement se muer en acteurs collectifs, cest à dire quand, comment et pourquoi les élus locaux ont "décidé de décider collectivement" (Giddens, 1984) pour négocier une réforme ou porter une parole dopposition.
En deuxième lieu, analyser limpact de lorganisation locale ou régionale des intérêts sur le travail gouvernemental, en termes de constitution de nouveaux enjeux nationaux (régionalisation, aménagements fiscaux, etc.) pourrait permettre daller au-delà dune vision purement localisée des relations interinstitutionnelles.
En troisième lieu, il convient de ne pas négliger la scène parlementaire, et les effets de sa réorganisation sur leurs mobilisations et lavancement de leurs projets. La constitution de réseaux et de groupes parlementaires semble avoir été en effet une modalité de constitution et de traitement de certains enjeux spécifiques, en dehors des organisations délus ou en collaboration avec elles. En quatrième lieu, on pourrait discuter de la capacité de lexécutif à structurer des scènes de négociation dans les ministères, quil sagisse des finances locales, de la planification urbaine, de laménagement régional, etc.
Enfin, on pourrait tenter un réexamen des scènes locales en les réarticulant à ces différentes scènes.
Le choix opéré dans la programmation de cette journée a été de concilier approches par les organisations et approches par les enjeux. Quoi quil en soit, il est évidemment réducteur de s'arrêter à l'intitulé "Quatrième République", car les bornages chronologiques débordent le plus souvent les douze années de ce régime. L'intérêt de cette journée sera donc aussi de comprendre la variation des séquences de mobilisation ou de résolution de problèmes.
Confronter les parcours des acteurs-clés
Lintérêt pour ces séquences peut être une moyen de retrouver des formes de continuité ou de récurrence des mobilisations, et de les mettre en rapport avec des formes dorganisation ou des parcours singuliers.
A cet égard, cette journée est loccasion de mettre en relation des données biographiques permettant déclairer les continuités et les ruptures. Cet échange de données, qui prolongera de nombreux échanges informels antérieurs sera plutôt loccasion de faire le point sur les sources que dengager dinterminables débats biographiques.
Par
contre, en termes de méthode, ce rendez-vous peut-être
loccasion de faire le point sur lusage que nous faisons
des données biographiques dans la conduite de nos travaux. Ne
sommes-nous pas tentés de sacrifier à un "essentialisme
des trajectoires"(Passeron, 1989), dans lequel nous pourrions opérer,
sans en être toujours conscients, une confusion entre exemplaire
sociographique et type sociologique (mouvement municipal, militants
de la cause régionale, fédéralistes, etc.) à
des fins démonstratives. A ce problème, Passeron propose
dessayer de saisir la structuration des biographies à la
fois comme un effet des structurations longitudinales qui se résument
en amont comme une inscription des itinéraires dans la topographie
et les calendriers institutionnels et comme le produit agrégé
que laction sociale des individus inscrit, en aval, dans le maintien
ou la transformation de ces structures longitudinales. Le redoutable
défi ici est multiple :
Comment
faire usage de données biographiques sans les essentialiser dans
une réduction à lobjet étudié ?
Comment comprendre la formation des structures longitudinales pertinentes
pour lobjet étudié ? Comment faire la part
des réorientations probables et des bifurcations individuelles
imprévisibles dans les changements observés ?
On pourrait discuter lhypothèse classique selon laquelle les grands conflits ont transformé les structures longitudinales. La disparition après la guerre dun certain nombre dacteurs-clés des années trente et quarante contraste en effet avec la reformulation des activités de certains militants plus engagés le régime de Vichy. Les effets des ruptures de 1947 ont-ils été durables ou transitoires ? Le débat sur la Communauté européenne de défense et le conflit algérien semblent avoir des effets non négligeables sur les réseaux et les mobilisations, tant à gauche quà droite. Quen est-il ?
Ce travail de clarification peut être un moyen dasseoir la mise en perspective historique des controverses du moment.
Identifier les catégories de pensée et daction mobilisées dans les interactions
Lun des aspects de lanalyse de ces mobilisations te de ces controverses est de lordre dune sociologie de la connaissance de ladministration territoriale. Loccasion nous est donnée de réfléchir collectivement sur les catégories de pensée et daction à luvre dans la structuration des enjeux et des rapports de force. On ne postule pas ici que ces catégories préconstituent des problèmes publics qui attendraient dans lombre dêtre rationnellement saisis pour trouver leur solution adéquate, mais que ces catégories circulent selon des itinéraires à suivre, et sont mobilisées dans des contextes et des champs de force différents. A titre dexemples : Nous faisons lhypothèse que la catégorie " administration " fait lobjet dun usage consensuel, assure en quelque sorte, sur toutes les scènes évoquées, la continuité des conceptions du rôle, en le " perméabilisant " vis-à-vis des conflits politiques.
Dans le même ordre didées, la mobilisation de catégories telles que "les libertés locales" ou "les franchises municipales" constitue la figure rhétorique privilégiée dans la critique de la tutelle préfectorale et la construction des rapports de force entre organisations délus et ministères.
Lusage de ces catégories donne le sentiment dune grande continuité avec les débats et controverses de la Troisième République, alors même que les institutions changent. Il nous semble que ces usages entretiennent la fiction de lhomogénéité du groupe à un moment où ses modes dorganisation se redéfinissent, et où les conceptions du métier changent.
Dans le même temps, on ne peut cantonner les mobilisations délus à ce type dusage défensif de catégories éprouvées. Ceux-ci apparaissent en effet aussi comme les producteurs, les passeurs ou les instances de légitimation de nouvelles catégories expertes comme le développement régional, laménagement du territoire, etc.
Romain Pasquier
Antoine Vion
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9 h 30 : Allocutions douverture
10 h : La construction des "libertés locales" : débats et mobilisations
Présidence : Olivier Ihl
Libertés communales et politiques expérimentales. Les débats sur la réforme municipale dans l'immédiat après Seconde guerre
Renaud Payre (IEP de Grenoble)
Télécharger le texte au format pdf (48 Ko)Le Languedoc viticole : enjeux sectoriels et défense régionale
Olivier Dedieu (CEPEL/Montpellier 1)
Télécharger le texte au format pdf (68 Ko)Le jumelage ou la commune libre : invention d'une tradition et mobilisations pour un droit (1951-1956)
Antoine Vion (LEST/Aix-Marseille II)
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Discussion : Gilles Richard et Richard Balme
12 H 45 Buffet
14 h : Une administration territoriale coproduite ?
Cette demi-journée vise à éclairer les cadres de relations qui sétablissent entre les "pouvoirs locaux" et ladministration centrale autour de certains enjeux de réforme tout au long de la période.
Quand l'association des Maires de France tente de résister au changement de modèle politique : limprobable défense du " contrat républicain"
Patrick Le Lidec (CRPS/Université de Lille II)Linvention de la régionalisation à la française (1950-1964)
Romain Pasquier (CRAP/IEP de Rennes)
Télécharger le texte au format pdf (81 Ko)Décentraliser lEmpire ? Du compromis colonial à linstitutionnalisation du gouvernement local au sein de lUnion française
Véronique Dimier (Oxford)
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Discussion : Brigitte Gaïti et Christian Le Bart
Chaque intervention durera vingt minutes, ce qui laisse 1 h 45 de débats sur chaque demi-journée.