Sylvia Chiffoleau, Systèmes de santé et pauvreté au Sud. En quête d’un bien public équitablement mondial

Soumettre la notion de santé à l’approche par les biens publics mondiaux ne va pas sans poser de problèmes, alors même que la santé apparaît a priori comme un bien universellement à conquérir. Cette approche tend en effet à réduire la notion de santé, alors que celle-ci est particulièrement complexe, intimement liée à la nature humaine, et historiquement, culturellement et socialement construite. Une définition de la santé ici n’est donc pas nécessairement valable ailleurs. Par ailleurs, cette approche ne prend pas en compte la difficulté à imposer un ordre sanitaire pour lutter contre les maladies, tant du point de vue des individus, peu enclins à se voir imposer des mesures qui affectent leur corps privé, que du point de vue des pouvoirs publics qui, malgré les progrès constants des technologies sanitaires ne parviennent guère à imposer un véritable bio-pouvoir aux populations. Ce sont de plus les populations les plus fragiles, souvent les plus vulnérables, qui échappent le plus volontiers au contrôle sanitaire. Enfin, l’approche par les BPM occulte les rapports d’inégalité politique qui se sont établis dans la gestion de la santé internationale entre le Nord et le Sud, dès l’origine de la coopération dans ce domaine. Cette inégalité politique vient se superposer à une inégalité des états de santé qui ne cesse de se creuser entre nations industrialisées et monde en développement.

Bien que la gestion internationale de la santé publique ait été confiée à l’OMS, c’est désormais la Banque Mondiale, flanquée d’une équipe d’universitaires et de consultants spécialistes d’économie de la santé, qui s’est imposée pour conduire en partenariat les réformes des systèmes de santé des pays en développement. Ce type de partenariat, où se reproduit un schéma d’inégalité politique entre le Nord et le Sud, est appelé à définir des politiques publiques qui relevaient jusqu’alors essentiellement de la sphère nationale. En découlent d’une part de fortes oppositions politiques dans les pays concernés, et d’autre part un encombrement des systèmes de décision, incapables encore de gérer ce type d‘innovation où s’exprime une multitude d’intérêts divergents. En s’emparant très récemmement de la notion de BPM, les agences internationales s’en sont servi pour réorienter leur approche de la santé dans un sens plus restrictif, limité à la lutte contre les principales maladies transmissibles. L’approche par les BPM, faute d’offrir une grille pertinente pour aborder la vaste notion de santé, peut permettre éventuellement, en ciblant plus étroitement les visées de l’action collective, certes dans un sens sécuritaire, de clarifier les termes de la négociation internationale, transposée désormais au sein même des systèmes de décision nationaux

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