Jean Coussy, Biens publics mondiaux : théorie "scientifique", réalité émergente et instrument rhétorique

L’expression "biens publics mondiaux" est la fois un concept qui est né dans la théorie "pure" et relève de la logique économique , un terme qui désigne des interdépendances émergentes entre les intérêts des nations (et de leurs ressortissants) et un mot qui est utilisé à des fins rhétoriques dans les négociations internationales. Ma contribution se proposerait, après avoir différencié les trois fonctions logique, descriptive, et rhétorique, de tracer l’histoire de leurs articulations. D’où le plan suivant (qui ne donne pas la longueur des parties):

  1. La signification néoclassique du mot de bien public à partir l’après guerre. Une brève introduction rappellera comment l’expression est devenue une construction théorique s’insérant dans la logique néo-classique . Elle y a acquis une légitimité théorique et un statut de concept scientifique obtenu par l’expulsion des incertitudes et des conflits des définitions politiques. Au cours de cette construction l’expression a pris une signification très particulière, très restrictive, non conforme à la tradition et différente du langage commun.
  2. L’histoire de la diffusion de cette définition. Celle-ci devient la définition courante (non sans être "polluée" parfois par la langage banal). Dans le domaine international elle devient un terme utilisé pour dévoiler les interdépendances internationales et pour participer à la définition de normes . Elle entre dans le langage des négociations internationales. Elle semble adaptée à des objets nouveaux des négociations (notamment sur l’environnement) . Et elle est présentée comme un instrument pour traiter de façon innovante, les débats anciens en privilégiant le non politique, le non conflictuel, le non doctrinal.
  3. Cet essai de normalisation du vocabulaire théorique pour faciliter la construction de normes concrètes dans la coopération internationale a des résultats intéressants dans les débats sur les conséquences de la mondialisation , sur l’aide au développement, sur la coopération internationale et sur les mouvements de régionalisation (quatre domaines où je prendrais mes exemples).
  4. Par un processus courant, que j’essaierai de développer , à partir de ces exemples, l’inscription d’un fait parmi les biens publics ou les maux publics devient un enjeu préliminaire des négociations et des débats. La négociation ne se présente plus comme une opposition d’intérêts mais comme un repérage des intérêts communs. Ce qui tend à expulser le discours traditionnel sur les conflits d’intérêts, les rapports de force et le politique
  5. De ce fait le politique et le conflictuel tendent à se déplacer dans la manipulation du langage des biens publics. Le vocabulaire standardisé étant utilisé par tous, les intérêts, conflits, normes s’expriment non plus dans de oppositions théoriques mais par des jeux sur les mots pour faire reconnaître leur bon droit . La notion de bien public n’est plus inséré dans une théorie commune en voie de se faire mais dans des rhétoriques adverses où l’important est d’influencer et de convaincre.
  6. Ce passage de la théorie à la rhétorique réintroduit évidemment les divergences théoriques, les oppositions de normes et les conflits d’intérêt dans la définition des biens publics, ce que le concept néo-classique de bien public avait précisément pour but d’interdire. Mais le concept n’est pas sans influence. Il est omniprésent et nul ne peut éviter de l’utiliser (il y a changement de rhétorique). Il permet d’identifier des possibilités de consensus. Mais il engendre des illusions iréniques, ne résout qu’un nombre restreint de conflits et l’action de la rhétorique sur les rapports de force est douteuse.

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