Alexandre Taithe, L’eau : besoin, droit ou bien public ?

Depuis la première Conférence des Nations-Unies sur l’eau en 1977 à Mar de Plata, une question non-résolue hante les réunions internationales : comment peut-on "qualifier" l’eau ? Actuellement, deux représentations concurrentes et opposées sont en compétition, chacune induisant son propre modèle d’intervention. Répondre à cette simple question, l’eau est-elle un besoin ou un droit, aura des implications concrètes fondamentales. L’immense déficit en infrastructures sanitaires et d’approvisionnement en eau ne semble pouvoir être comblé qu’avec les investissements et le savoir-faire du secteur privé. Les partisans de la reconnaissance d’un droit à l’eau craignent que la participation du privé ne crée une "marchandisation" de la ressource, oubliant les dimensions sociale, symbolique et même environnementale de l’eau. Mais qualifier l’accès à l’eau de droit fondamental risquerait d’imposer des obligations contraignantes à des Etats qui n’auraient pas les moyens financiers et techniques de les respecter. Ainsi les conclusions ou déclarations des réunions internationales témoignent de ces tensions, l’accès à l’eau devenant un "bien économique et social" (Dublin 1992) ou un "besoin humain de base" (Conférence ministérielle de La Haye, 2000).

La notion de biens communs permettra peut-être de dépasser ce clivage caricatural. Cette conception a l’immense intérêt de rendre conceptuellement acceptable la participation privée, une gestion commune, et la préservation de l’intérêt collectif. Certains biens communs peuvent ainsi être produits par le privé du moment que leurs bénéfices restent publics (exemple du phare dans l’ouvrage Global Public Goods, 1999).

Aussi spontanément séduisante qu’elle puisse paraître, la théorie des biens publics mondiaux est finalement complexe à définir. Si on se tient à la typologie proposée par les auteurs de Global Public Goods, l’eau serait un bien public mondial impur (un bien commun) régional intermédiaire…Pourtant les critères d’exclusion et de rivalité, comme fondements du classement des différents biens, perdent de leur pertinence dans le cas de l’eau. Les caractéristiques d’un même bien sont variables selon la situation géographique. L’eau peut être considérée tours à tours comme un bien à gestion partagée (bien commun) ou un bien de club (ou à péage).

Mais surtout, la théorie des biens publics mondiaux fait abstraction des régimes de propriété des biens. En effet, considérer un bien public mondial comme un bien en libre accès (bien ouvert ou res nullius), un bien en propriété commune ou un bien en propriété publique conditionne la perception de ce bien par ses consommateurs et le mode de gestion qu’on lui applique. Sans cette réflexion, rien ne distingue par exemple l’eau du pétrole dans le classement proposé par le PNUD. On devrait pourtant différencier un bien économique (la valorisation d’une ressource ne se traduit pas uniquement en termes de prix) et un bien de marché (comme le pétrole, dont la consommation est régulée par le marché).

Les politiques de gestion de la ressource promues par les Organisations internationales ont le même but : appliquer le principe du développement durable à la gestion des ressources en eau. Il serait alors plus opportun de parler de gestion intégrée des ressources en eau en tant que bien public mondial, et non pas simplement de "l’eau".

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