Atelier 11 :

L’invention de l’élue. Etudes sur la mise en œuvre de la parité 

Catherine Achin (ATER Université de Versailles- Saint-Quentin en Yvelines, Doctorante au CERAT) achincat@yahoo.com
Frédérique Matonti (Professeur Université de Nantes, Laboratoire de Sciences sociales, ENS-Ulm)

Problématique générale

Depuis la mise à l’agenda politique de dispositifs institutionnels visant à favoriser la participation des femmes en politique et les débats qu'ils ont suscités, les recherches sur l’objet "femmes en politique" ont conduit à un déplacement du regard. Après un questionnement désormais classique sur le retard des femmes en matière de participation aux activités politiques, est aujourd’hui apparue une double interrogation autour du rapport des femmes à la politique et de la spécificité de leurs pratiques politiques. C’est dans cette perspective générale que s’inscrit le projet de cet atelier.

Son ambition principale est d’apporter un regard nouveau sur "l’objet femme en politique" en intégrant dans l'analyse une dimension trop souvent négligée par les Gender Studies : la spécificité de l’espace des activités politiques. Le champ politique est un univers de pratiques et de savoir-faire relativement autonome, fondé sur des croyances spécifiques, avec ses propres règles du jeu, catégories de pensée ou valeurs, mais aussi un espace d’activité très fortement concurrentiel, dans lequel la logique des acteurs est tout autant contrainte que hautement stratégique. Dans ces conditions, il s’agit alors moins de savoir s’il faut accorder au genre le statut d’une variable indépendante que de comprendre à quelles conditions il peut être une variable significative dans l’espace des activités politiques. En d’autres termes, il s’agit de s’interroger sur les modalités de construction d'une "spécificité féminine" en politique, en considérant que le genre en politique est un langage qui exprime tout autant une position sociale qu’une identité stratégique.

Plus largement, l’objectif de cet atelier est de s’interroger sur la capacité de l'ordre politique à être le moteur de l'évolution sociale. Nombreux sont ceux qui considèrent en effet que l'espace des activités politiques fonctionnerait comme une "bourse suprême des valeurs" où se dénouerait l’ensemble des luttes symboliques et pratiques qui animent en permanence l’espace social. Dans cette perspective, la plus grande participation des femmes à la vie politique serait une condition de leur émancipation sociale. Mais ce type de postulat méconnaît cependant le caractère très relatif de l’autonomie du politique, notamment dans ses rapports avec les principes de classement du monde social.

Trois interrogations centrales

A partir de l’étude empirique (quantitative et qualitative) de la mise en œuvre de la parité aux élections municipales de 2001 et législatives de 2002, il est possible de dégager trois axes de réflexion principaux et de formuler quelques hypothèses de travail.

1. Le recrutement du personnel politique : dans quelle mesure l’entrée des femmes transforme-t-elle les logiques sociales et politiques du recrutement politique ? Cette première interrogation passe par une analyse comparée du profil sociologique des élus hommes et femmes ainsi que des critères de sélection qui leur sont respectivement appliqués. Au regard des premiers résultats, nous ferons notamment l’hypothèse que la mise en œuvre de la parité aurait peu d’effets sur le processus de sélection sociale des professionnels de la politique. En effet, même si aux municipales l’appartenance à la "société civile" par exemple a prévalu sur l’expérience partisane, d’une part celle-ci n’a pas été totalement négligée — la parité a pu fonctionner comme un " accélérateur " de carrière politique pour certaines -, d’autre part, sont apparues des stratégies de contournement de la loi, et une relative inertie dans la répartition des délégations au sein des exécutifs municipaux. Les logiques plus hautement concurrentielles des législatives, les représentations usuelles du mandat de député, le poids des appareils partisans dans la désignation des candidat(e)s, la moindre coercition exercée par la loi (qui ne prévoit qu’une sanction financière en cas de non respect), invitent à penser que la reproduction sera encore plus forte en 2002. C’est pourquoi l’analyse du recrutement doit prendre garde à ne pas hypostasier la variable genre. En effet, la composition des listes ou la désignation des candidat(e)s, ne sont compréhensibles que si l’on étudie chaque configuration politique locale. Plus largement, la place concédée aux femmes ne peut-elle s’expliquer par une redéfinition du métier politique (paradoxalement hyperprofessionnalisé et dévalorisé) et par le déplacement des lieux décisionnels (de la commune à l’intercommunalité, par exemple) ?

2. Les pratiques politiques et les processus de mobilisation électorale : la féminisation du personnel politique a-t-elle des effets sur les pratiques politiques (en campagne et dans l’exercice des mandats et fonctions)? Ce deuxième niveau d’analyse repose sur une observation des pratiques et des revendications introduites par les élues. Mais elle suppose également de porter une attention particulière à leur apprentissage des règles du jeu politique : quelles attitudes (exit, voice, loyalty) adoptent-elles face à ces règles ? Nous ferons tout d’abord l’hypothèse que l’entrée soudaine et massive des femmes dans les arènes politiques peut être pensée par comparaison avec leur statut dans les univers professionnels traditionnellement masculins. Cette focalisation implique d’être attentif aux contraintes qui pèsent des lors sur ces femmes. Sont-elles tenues de se "masculiniser" ou, au contraire, de mettre en scène une identité stratégique "féminine" (disponibilité, proximité, capacité de négociation, sens du concret, etc.) ? Enfin, il faut souligner qu’il serait hasardeux là aussi d’imaginer isoler le poids de la variable genre dans les pratiques politiques, tant les nouvelles entrantes doivent être indissolublement appréhendées comme "femmes" et "profanes". Elles sont dès lors davantage prédisposées que leurs homologues masculins professionnalisés à innover mais sans que l’on puisse dire si ces pratiques innovantes sont liées à leur sexe ou à leur manque d’expérience.

3. La représentation des femmes : C’est à ce niveau sans doute que la circulation entre ordre social et ordre politique se laisse plus volontiers saisir. Dans quelle mesure les représentations des femmes politiques restent-elles encore prisonnières de l’imaginaire de "l’éternel féminin" ? Comment le cadrage médiatique mais aussi les stratégies propres aux professionnel(le)s de la politique et de la communication pèsent-ils sur ces représentations ? Plus largement, peut-on repérer des logiques de circulation entre champ politique et mondes sociaux : leur entrée en politique est-elle la traduction de leur plus grand accès à des positions de prestige dans l’espace social ? Et, inversement, est-ce que leur représentation politique plus importante peut modifier le statut et la perception des femmes dans la sphère sociale. D’ores et déjà le genre des candidats et des électeurs est perçu comme une composante importante de l’identité sociale des acteurs, tandis que l’identité sexuée des candidates n’est plus déniée.

Déroulement de l’atelier

C’est à partir de ces trois axes problématiques que s’organiseront les prises de parole. Chaque intervenant devrait idéalement pouvoir répondre à une ou deux de ces questions à partir de son propre terrain d’enquête.

Intervenants pressentis (liste ouverte): Delphine Dulong, Eric Fassin, Christine Guionnet, Jean-Baptiste Legavre / Pascal Dauvin, Pierre Leroux / Philippe Teillet, Sandrine Lévêque, Marion Paoletti, Aurélia Troupel.