Jean
Pierre GAUDIN (Directeur de recherche au CNRS, Professeur à l'Institut
d'Etudes Politiques d'Aix-en-Provence, jpgaudin@sc.univ-montp1.fr)
Frédéric SAWICKI (Professeur de science politique à
lUniversité de Lille 2, CRAPS, sawicki@hp-sc.univ-lille2.fr)
Autres intervenants:
Fabien
DESAGE (allocataire de recherche, CRAPS)
Vincent
DUBOIS (maître de conférences à lIEP de Strasbourg)
Jacques
de MAILLARD (chargé de recherche FNSP, CERAT)
ORIENTATION
Au débat dualiste qui a durablement opposé les approches corporatistes et pluralistes de la décision publique, sont venues se joindre récemment de très nombreuses perspectives de recherche, certaines cognitives, d'autres néo-institutionnalistes, voire encore régulationnistes, sans compter leurs combinaisons partielles entre elles. De surcroît, de nombreuses méthodologies d'analyse (network analysis, analyses de la traduction, étude des communautés de politiques publiques) se sont individualisées, se détachant parfois de ces perspectives générales.
Les terminologies se multiplient autant que les enquêtes, ce qui ne facilite ni la clarté ni la cumulativité des résultats. Et les effets d'autonomisation sont d'autant plus problématiques qu'ils aboutissent à couper l'analyse de l'action publique des autres recherches de science politique, celles qui portent en particulier sur le système politique et les organisations partisanes, sur la représentation parlementaire et les enjeux des élections.
Les acquis récents de l'analyse des politiques publiques ne sont cependant pas inexistants. Il faut même multiplier les perspectives d'analyse pour en saisir les différentes facettes. Du point de vue des acteurs, la façon la plus éprouvée est de souligner combien les travaux relatifs à la "mise sur agenda" des politiques publiques permettent de mieux répondre à la question classique : comment change-t-on de politique ? A cette interrogation, qui est souvent aussi celle des citoyens et surtout des protagonistes de l'action publique, les études consacrées aux rapports entre expertises, médias, travail parlementaire et affichages gouvernementaux ont apporté des éclairages nouveaux, qui autorisent une mise en contexte élargi de la décision politique et détaillent en particulier comment s'opère la construction sociale de l'action publique et des structures d'opportunité.
D'un autre point de vue, celui de la sociologie des sciences, on peut s'intéresser à la place progressivement prise par la policy analysis américaine puis l'analyse des politiques publiques dans la science politique contemporaine, ou plus précisément, à leur rôle dans l'évolution des analyses du pouvoir. Certains s'inquiètent aujourd'hui de l'autonomisation de ces problématiques ou de leur caractère redondant, voire de l'opportunisme des travaux de politiques publiques qui deviendraient trop sensibles aux modes, aux soucis de l'instant et aux préoccupations des commanditaires de la recherche incitative. Mais il n'est pas impossible, également, de porter un regard plus optimiste ; et de souligner notamment l'importance prise par l'étude des politiques publiques dans la sociologisation croissante des analyses de l'Etat, à distance du formalisme et des approches juridico-institutionnelles de naguère.
Troisième type de bilan possible, et qu'on préférera, c'est celui qui, plutôt que de partir soit des préoccupations des acteurs soit du débat de type épistémologique, s'attache à comprendre la relation entre l'émergence (ou la réapparition) de certaines perspectives d'analyse et les conjonctures dans lesquelles elles se développent aujourd'hui. En d'autres termes, pourquoi penser à présent des situations de gouvernement multi-niveaux, de négociations polycentriques, de combinaisons public-privé, dans des contextes à la fois de décentralisation et d'intégration européenne ? En quoi s'agit-il de situations proprement nouvelles ? Dans quelle mesure les processus qu'on croit mettre à jour ne procèdent-ils pas, avant tout, des nouveaux protocoles d'enquête utilisés ? Comment, en somme, se mettre à distance des effets d'analyse ?
Les travaux de recherche des décennies récentes ont permis un certain renouvellement des questions relatives aux politiques publiques et des formes d'intelligibilité de l'action. Les analyses en termes de maximisation d'intérêts ou de choix rationnels ont dû se confronter à des approches relationnelles élargies du pouvoir (approches systémistes, analyses de réseaux, problématiques de la régulation). Et les problématiques classiques de la domination se sont vues relativisées par des perspectives faisant place à la réflexivité, voire à l'autopoeïse dans la production des normes (analyses de la complexité sociale, théories du droit réflexif).
Néanmoins, ces conceptions relationnelles et incrémentales du politique ne sauraient se passer longtemps de l'étude fine des positions sociales et des intérêts des acteurs en présence, même si dans les politiques publiques contemporaines ces derniers sont devenus plus instables et moins formellement hiérarchisés entre eux que par le passé.