Atelier n° 13

La science politique à l'épreuve des risques

Responsable : Monika STEFFEN (CNRS-CERAT)

Atelier organisé avec le concours de: Yannick BARTHE (CNRS/CERAT), Cécile BLATRIX (Université de Paris XIII), Fréderic CAILLE (Université de Strasbourg/GSPE), Sthéphane CARTIER (CNRS/LGIT-CERAT) Claude GILBERT (CNRS/CERAT), Yannick RUMPALA (IEP de Grenoble/CERAT), Rachel VANNEUVILLE (CNRS-CRAPS)

 

Depuis une vingtaine d'années, les risques affectant ou susceptibles d'affecter la collectivité s'imposent au cœur des débats politiques et dans les sciences sociales. Certains spécialistes essaient de constituer ces nouveaux objets en champ autonome de la recherche, d’autres voient dans les risques un nouveau principe d’organisation sociale. Le champ des risques a surtout intéressé les sociologues, tentés par des interprétations en termes de perceptions sociales du phénomène ou par les schémas explicatifs globalisants. En revanche, les sciences politiques sont plutôt restées en retrait. Elles n’ont porté qu’une attention marginale à la problématique des risques, l’intérêt tendant à se limiter au temps et aux effets d’une crise, comme par exemple celle du sang contaminé en France.

Les sciences politiques sont pourtant interpellées à plusieurs titres.

D’abord, les risques et leur gestion constituent une mise à l'épreuve de première importance pour le politique. Les polémiques liées aux déchets nucléaires et inondations, les procès autour de l'amiante ou des retombées de Tchernobyl, les stratégies diplomatiques autour du risque de l'ESB au niveau de l'Union Européenne, certains risques localisés comme les avalanches ou l'érosion, tous ces événements ont un trait commun. Ils montrent que la légitimité du pouvoir politique est désormais assez étroitement liée à sa capacité d'assurer aux populations une protection jugée adéquate contre les risques réels ou supposés. Le principe de précaution et la possibilité d’engager des poursuites pénales contre des élus, fonctionnaires et experts illustrent la mise en question des modalités traditionnelles de la légitimité politique (la représentation politique et la science).

Ensuite, la question des risques conduit à établir des liens étroits entre la survenue des accidents, des catastrophes et les vulnérabilités organisationnelles. Ces évènements apparaissent ainsi le plus souvent comme l'aboutissement d'un processus long et progressif de perte de contrôle, souvent lié à des dysfonctionnements institutionnels. Selon cette perspective, les politiques mises en œuvre face aux risques, les raisons de leurs succès ou échecs ne se distinguent donc pas fondamentalement des politiques dans d’autres domaines.

Enfin, les multiples changements introduits dans le droit et dans les dispositifs de gouvernance, pour mieux répondre aux risques, socialement et politiquement, semblent s’articuler en une dynamique qui tend vers un changement du régime de la citoyenneté.

Les limites d’un atelier ne permettent pas de traiter l’ensemble de ces questions. Aussi l’objectif est plus modeste et précis. Il s’agit d’éclairer, à partir de notre approche disciplinaire, cet objet " risque " qui se caractérise par l’incertitude, par l’absence d’un secteur de rattachement, par ses manifestations multiformes, souvent éphémères mais en même temps comme un défi permanent. Comment les sciences politiques peuvent-elles appréhender les risques ? Dans quelle mesure les outils théoriques et les cadres d’analyse de la discipline peuvent-ils s'avérer pertinent pour comprendre les risques et les constituer en objet de recherche pour la discipline.

Pour engager cette réflexion, trois thèmes ont été choisis. Chacun fera l’objet d’une intervention et d’une discussion au cours de l’atelier. Ces thèmes classiques en sciences politique sont ici confrontés avec le terrain des risques, à partir des recherches disponibles ou en cours.

Thème 1. Risques et processus de mobilisation 

Yannick BARTHE, Cécile BLATRIX

L’enjeu de la discussion autour de ce thème est notamment de sortir des sentiers bien balisés de la " perception des risques ", qui demeure largement dominant parmi les gestionnaires du risque. En effet, dans le domaine des risques collectifs, la séparation radicale entre le savoir des experts et les croyances des profanes s’impose généralement comme une évidence. Les controverses publiques qui se développent autour de certains enjeux sanitaires ou environnementaux sont l’occasion de réactiver en permanence ce type de dichotomie, qui conduit généralement à interpréter l’opposition des non spécialistes aux verdicts des experts comme une "résistance" principalement due à un déficit cognitif. En s’appuyant sur les nombreuses études maintenant disponibles sur le sujet, l’objectif est de remettre en cause cette étiologie traditionnelle des controverses sur les risques et d’analyser les formes de mobilisation collective qu’ils suscitent. Loin de se réduire à l’expression d’une peur irrationnelle, les mobilisations entraînées au cours de ces dernières années par des enjeux de santé publique ou d’environnement ont notamment permis de mettre en lumière la capacité des non spécialistes à se doter d'une expertise leur permettant de rentrer dans les contenus scientifiques. Comment ces groupes parviennent-ils à acquérir une certaine crédibilité ? Comment réussissent-ils à faire émerger des risques appelant une intervention de l’Etat ? Quel est l’usage, dans le cadre de ces mobilisations, de tous les dispositifs et procédures censés contenir et gérer les conflits ? Les réponses à ces questions doivent permettre de dégager une éventuelle spécificité des mobilisations autour des risques et notamment de tester l’hypothèse avancée par certains auteurs d’une nouveau type d’activisme en la matière.

Thème 2. Risques et procédures de mise sur agenda

Claude GILBERT, Yannick RUMPALA

Les destins et trajectoires de problèmes inscrits dans le registre du risque semblent également de nature à provoquer une nouvelle interrogation sur les processus de "mise sur agenda" tels qu'ils ont été analysés dans le champ de la science politique. Ce type d'approche, qui a largement montré son utilité, paraît atteindre certaines limites face à des situations qui ont fréquemment pour particularité de déstabiliser les routines institutionnelles, de susciter des controverses scientifiques, des débats publics s'accompagnant fréquemment de rapides "montées en généralité", de fortes interpellations des différentes autorités. De fait, l'agenda semble dans ces situations plus difficilement " contrôlable ". Les modalités de mise en forme et de qualification de ces problèmes jouent un rôle important. Elles peuvent notamment être de nature à accélérer l'accession ou l'ascension des enjeux correspondants sur les agendas publics. Ces quelques caractéristiques repérables invitent donc là aussi à un réexamen des outils d'analyse disponibles pour appréhender la carrière de ces problèmes. Quels sont ces outils ? Comment ont-ils été employés et étaient-ils appropriés aux terrains étudiés ? Ont-ils dû être adaptés ? Si des insuffisances se font jour, quelles pistes complémentaires pourraient être éventuellement explorées ? L'atelier sera l'occasion de faire le point en sondant des littératures déjà fort développées.

Thème 3. Risques, concertation et débats publics

Frédéric CAILLE, Stephane CARTIER, Rachel VANNEUVILLE

La notion de débat public est ici prise dans un sens large qui désigne l’ensemble des procédés de traitement des problèmes communs dans l’espace public. Elle peut prendre des formes variées - dispositifs de concertation, jurys et conférences de citoyens, sondages délibératifs…- et renvoie de manière générale à la question des modalités de participation-consultation de la "société civile" dans la production de l’action publique. Si les procédés de concertation existent depuis une vingtaine d’années dans le domaine des politiques sociales comme dans les politiques d’aménagement du territoire, il semble que les questions relatives aux risques collectifs renouvellent en partie ces procédés, voire en génèrent d’autres tels que les conférences de consensus mises en place dans le cadre de controverses scientifiques et technologiques. Le champ des risques collectifs est ainsi un lieu où se prolongent et se renouvellent certains questionnements portant sur ces modalités de participation citoyenne, qu’il s’agisse de les étudier, selon une optique de politique publique, comme outils et procédures de gouvernement, de poser la question, suivant une approche de sociologie politique, des modes de légitimation du pouvoir ou encore de s’interroger, dans une perspective de philosophie politique, sur la nature de la démocratie qu’ils emportent. Le thème "débat public et risques collectifs" invite ainsi à se saisir d’une problématique portant sur la gouvernabilité des sociétés modernes et porte à s’intéresser aux innovations qui se jouent sur le terrain des risques.