Pascal Vennesson, Université Panthéon-Assas, Paris II
I / Objectifs de latelier
Quel est le rôle des idées, des préceptes généraux, des représentations sur les politiques de défense et les stratégies ? Lobjectif de cet atelier est dexplorer cette question à partir denquêtes empiriques, en mettant en relation trois ensembles de réflexion : létude des politiques de défense, lanalyse des politiques publiques et les recherches conduite en relations interantionales.
Cet atelier consacré aux politiques de défense et à la stratégie sinscrit, tout dabord, dans les débats actuels consacrés aux approches cognitives des politiques publiques (Surel 1998 ; RFSP 2000, 2002). Plusieurs perspectives, parfois hétérogènes, insistant sur le rôle des idées et des représentations dans laction publique ont été mises en uvre pour analyser différentes politiques publiques et certains de leurs aspects : la politique agricole commune, les croyances des hauts fonctionnaire dans les politiques de réforme de lEtat, les politiques du livre, ou bien encore les politiques sidérurgiques. On voudrait utiliser ces travaux, les notions, les variables, les problématiques utilisées et les "faire travailler" dans le domaine des politiques de défense et de la stratégie. Il sagira simultanément de parcourir le chemin inverse et de montrer comment et pourquoi la défense et la stratégie peuvent enrichir lanalyse des politiques publiques.
Cet atelier vise également à montrer lexistence de liens, et à en tisser de nouveaux, entre létude des politiques publiques et plusieurs courants danalyse développés parallèlement en relations internationales. Létude des perceptions, des cadres danalyse et plus récemment des normes et des identités a pris, en effet, une place croissante dans létude des relations internationales, des politiques étrangères et des politiques de défense (Jervis 1976 ; Katzenstein, et. al. 1996 ; Lindemann 2000 ; Vennesson 2001). Cette mise en relation est aussi riche et prometteuse que peu fréquente notamment en France où ce sont les liens entre létude des politiques publiques et la sociologie politique qui ont été examinés plus spontanément.
Cet atelier veut donc contribuer à inscrire les politiques de défense et la stratégie au sein de la science politique en encourageant un dialogue fondé sur plusieurs traditions de recherche et basé sur des recherches empiriques.
Lattention portée aux idées dans les politiques de défense et la stratégie nest pas inédite, même si la critique formulée par lhistorien britannique John Keegan reste, pour partie, dactualité : lhistoire des doctrines stratégiques peut aisément devenir une histoire des idées coupée des pratiques (Keegan 1976).
Les réalités militaires offrent un riche domaine de réflexion. A la fin du XIXème siècle et au début du XXème siècle, par exemple, les idées des militaires allemands, français et britanniques concernant la guerre de Sécession américaine, leurs perceptions du conflit et les leçons quils en ont tiré, nont pas exercé dinfluence majeure sur les doctrines et les politiques de défense de leurs pays respectifs (Luvaas [1959] 1988). Pourquoi certaines idées se diffusent-elles et parviennent-elles à influencer les politiques de défense et pas dautres ? Avant 1914, la technologie, la géographie et les calculs stratégiques "rationnels" semblent favoriser la défensive. Or la domination dune "idéologie de loffensive" a profondément affecté les conceptions de lemploi des forces armées (Snyder 1984). Cette idéologie de loffensive a influencé les politiques de défense du temps de paix comme lemploi des forces armées en temps de guerre. Quelles sont les conséquences de ces idées dominantes sur laction publique dans le domaine de la défense ?
Il faut examiner aussi spécifiquement ceux qui inventent (ou disent inventer) ces idées, le processus de formation de ces idées et leur influence éventuelle sur la fabrication des politiques de défense. On sait, par exemple, que le penseur militaire britannique Sir Basil Henry Liddell Hart (1895-1970) sest délibérément efforcé de montrer que ses idées sur la guerre avaient été rejettées par les décideurs civils et militaires britanniques avant 1940. Ses analyses se sont révélées à la fois souvent inexactes et assez influentes (Mearsheimer 1988). Limportance des experts et de leurs idées est devenue particulièrement cruciale depuis la création des armes nucléaires et le développement dune expertise civile sur les réalités de la défense. Quel est le rôle des idées de ces experts ? Quelles sont les limites de leur influence ?
Plus globalement, les normes et les identitiés contribuent à la définition de prohibition envers certaines armes, à légitimer certains emplois de la force armée (par exemple, les interventions humanitaires), ou bien encore à favoriser la coopération au sein dalliances, comme lOrganisation du traité de lAtlantique Nord (Katzenstein, et. al., 1996).
La matière empirique et théorique est donc riche et dans lensemble méconnue ou sous-étudiée en France. Cet atelier donnera loccasion à plusieurs chercheurs, politistes et historiens, daborder plusieurs de ces enjeux à partir détudes de cas empiriques historiques et actuelles.
II / Programme provisoire
1. - Philippe Garraud (CNRS-CRAP), "Une conception institutionnalisée de la guerre en action : la contribution de la dimension cognitive à lexplication de la défaite militaire de 1940"
2. Thomas Lindemann (IEP de Toulouse, centre Morris Janowitz), "Cultures stratégiques et "paix démocratique""
3. -- François Dieu (IEP de Toulouse), "Sécurité intérieure-sécurité extérieure à partir du cas de la gendarmerie nationale"
4. Jean Joana (université de Montpellier), "Les politiques de la ressource humaine dans les armées en Europe : quels référentiels ?"
5. -- Claude dAbzac-Epezy (Service historique de larmée de lair), "Camille Rougeron : les limites de linfluence dun stratège civil".
III / Bibliographie préliminaire
Katzenstein, Peter J., dir., The Culture of National Security. Norms and Identity in World Politics. Cambridge : MIT Press, 1996.
Keegan, John, The Face of Battle. A Study of Agincourt, Waterloo and the Somme. Londres : Penguin, 1976.
Lindemann, Thomas, "Les "néo-idéalistes" et létude de la guerre", Revue française de science politique, 50 (3), juin 2000.
Lindemann, Thomas, Les doctrines darwiniennes et la guerre de 1914. Paris : Economica, 2001.
Luvaas, Jay, The Military Legacy of the Civil War. The European Inheritance (1ère éd. 1959). Lawrence : Kansas University Press, 1988.
McNamara, Kathleen, The Currency of Ideas. Ithaca : Cornell University Press, 1998.
Mearsheimer, John J., Liddell Hart and the Weight of History. Ithaca : Cornell University Press, 1988.
Revue française de science politique, 50 (2), avril 2000. "Les approches cognitives des politiques publiques".
Revue française de science politique, 52 (1), février 2002. "Les approches nationales des politiques publiques".
Snyder, Jack, The Ideology of the Offensive. Military Decision-Making and the Disasters of 1914. Ithaca : Cornell University Press, 1984.
Surel, Yves, "Idées, intérêts, institutions dans lanalyse des politiques publiques", Pouvoirs, 87, 1998.
Vennesson, Pascal, "Les "réalistes" contre les interventions : arguments, délibérations et politique étrangère", Annuaire Français de relations internationales, Volume II, 2001. Bruxelles : Bruylant, 2001.