Atelier 24

La construction politique des enjeux locaux de sécurité

Jérôme FERRET /IHESI
Christian MOUHANNA/CSO

 

Un objet mal connu

Malgré un développement conséquent des travaux français sur les questions de sécurité durant les deux dernières décennies, on observe un manque manifeste d'analyses sur les mécanismes de construction politique des enjeux locaux de sécurité. Alors que les questions de sécurité occupent une place centrale dans les sociétés occidentales contemporaines, tant au niveau national que local, alors que ces thèmes envahissent les arènes de discussion publiques et de débats politiques, alors qu'ils constituent des enjeux électoraux forts, on se rend compte que leur examen se limite souvent à des explorations médiatiques trop souvent limitées dans le temps. Peu de recherches ont placé au centre de leur préoccupation le thème du politique dans les politiques publiques de sécurité. Dans les divers travaux disponibles, le rôle des élus est bien entendu évoqué, mais de manière trop souvent secondaire, en le plaçant au même niveau que les autres acteurs locaux, et notamment les divers représentants des fonctions régaliennes de l'État. Ces effets d’alignement et de nivellement sont bien sûr contraires au rôle spécifique de ces élites dans le champ politique local tant au niveau de l’énonciation que de la production de décisions qui engagent la collectivité.

On visualise assez mal l'origine des registres adoptés par les élites politiques et sociales locale pour restaurer la confiance publique et produire de la tranquillité. On mesure mal les conversions, les évolutions, aussi bien dans les principes que dans les modes d'action, d'acteurs locaux d'origines partisanes diverses, tant les traitements réservés à ces questions semblent transcender les clivages politiques traditionnels. On connaît mal les recettes qui rendent un discours local efficace, ou au contraire le discréditent, dans sa volonté de restaurer l'autorité de la puissance publique sur un territoire donné.

L’insécurité locale comme pendant d'une insécurité existentielle s'est constituée en un domaine de gouvernance. D'un côté, cela implique un profond changement des modes de gouvernement de la sécurité sur un plan décisionnel. De l'autre, cela oblige le personnel politique local à inventer de nouveaux discours afin de convaincre les populations du bien-fondé de leur action. D'ailleurs, on peut considérer que l'investissement des élus dans ces problématiques sécuritaires n'est pas une nouveauté historique et qu'ils ré endossent un rôle qu'ils ont tenu par le passé -le maire était patron de la police et de l'ordre public jusqu'en 1941-, et que la décentralisation, ainsi qu'un certain désengagement de l'État lié à la "rationalisation" de ses structures, vient encourager.

De cet aspect du problème comme d'autres, il ressort une nécessité pour l'élu de produire un discours fort sur ces thèmes. L'efficacité rhétorique du discours sur la communauté locale tient alors à la fois à sa capacité de prendre en compte un certain nombre de réalités, et à sa légitimité affective. Compte tenu de la dimension diffuse et en partie non rationnelle des questions de sécurité, il se doit de parler des peurs, de reconstruire des solidarités positives ou négatives -contre des individus ou des groupes-. La lutte symbolique contre l'incivilité, les désordres ou les crimes permet aux autorités locales de restaurer leur souveraineté. Cette restauration passe certes par des décisions et par la mise en place de politiques, mais aussi par des discours novateurs, que la recherche, au moins en FRANCE, a peu interrogés.

Objectifs

Nous voudrions donc revenir sur les discours politiques en tant que tels, sur les formulations des projets politiques locaux dans ce domaine, sur le "politics" dans les "policies", et donc, sur la construction politique des projets locaux de sécurité. Il ne s'agit pas d'opposer a priori discours et idées à la réalité et au concret. Jusqu'à preuve du contraire, les deux sont liés : il n'y a pas d'un côté un système idéal, et de l'autre un système de décision rationnel. Les deux niveaux sont mêlés. C'est pourquoi il nous semble que l'entrée par le discours et sa construction déboucherait sur une réflexion assez féconde, tenant compte des deux axes, faits et idées, les faits influençant la construction d'un système de pensée qui joue à son tour sur la manière dont sont lus les faits.

Pour se faire, il parait important d'étudier la dimension cognitive et les représentations, idées, croyances, valeurs, revendiquées par les élites politiques et sociales locales, en posant comme hypothèse que l'analyse seule des intérêts en jeu dans les politiques locales de tranquillité ne suffit pas, qu'il faut aussi s'intéresser aux formulations et aux usages symboliques des enjeux de sécurité locale. Ainsi, l'analyse des systèmes de croyance, des référentiels locaux de sécurité passent aussi par le repérage des "irrationalités" que sont les peurs, les phobies, les mythologies locales, les superstitions,… On pourrait aussi se proposer de mieux cerner les nouveaux registres argumentatifs : quelle place y occupent l'État (incapable, défaillant, interpellé, ou point d'appui), les polices municipales, la "tolérance zéro", la médiation sociale, l'idée d'impunité, les pouvoirs du maire, la morale, la perception et la définition des risques, rappel à la Loi, notion d'ordre et de désordre ? Sur quelles capacités et éventuellement sur quels experts (professionnels ou non, internes ou externes au territoire) s'appuie l'élu pour construire son discours ? Quelles sont ses sources d'information ? En quoi l'appartenance partisane influe-t-elle sur le discours ? Plus généralement, sans présumer de la domination d'une idéologie sur les autres, nous voudrions dessiner quelques pistes et tenter de repérer les rationalités politiques locales significatives (Welfarisme, néo-libéralisme, communautarisme, conservatisme) qui s'expriment à travers les enjeux sécuritaires. On mesure assez mal la place qu'occupent, à coté des aspects instrumentaux, les composantes émotionnelles ou à connotations morales de la politique locale dans ce domaine.

Programme prévisionnel

  1. Une présentation générale, faite par les organisateurs de l’Atelier, résumant les principales réflexions qui ont émergées dans le cadre d’un séminaire portant sur "les maires et la sécurité". Celle-ci devrait durer environ 20 minutes.

  2. Trois interventions de dix minutes chacune, portant sur des exemples locaux, ou sur des thèmes transversaux ( les prestataires de " conseil en sécurité et les maires, les polices nationales et municipales dans les politiques locales de sécurité, …)

  3. Un débat avec les personnes présentes occuperait la seconde partie de l’Atelier .