Atelier 29 : Risques collectifs, enjeux sanitaires, crises politiques et expertise scientifique. La sécurité des aliments entre " politics " et " policies "

Responsable : Ch. Clergeau

L’alimentation est longtemps restée une question secondaire sur l’agenda politique, un sous-produit des politiques publiques de l’agriculture. Le cadre sectoriel de gestion de ces politiques se traduisait par l’intervention d’un nombre limité d’acteurs et la prédominance des savoirs techniciens. La situation actuelle est très différente puisque la sécurité des aliments et le thème de la " malbouffe " sont très largement présents dans l’actualité politique et la production législative et réglementaire. Loin de constituer une exclusivité des cénacles officiels, les controverses se développent dans des arènes et forums ouverts sur l’ensemble de la société. L’alimentation et la sécurité des aliments sont désormais inscrits dans une triple dimension qui interroge directement le politique. La première de ces dimensions, la moins étudiée mais la plus ancienne est celle qui fait de l’alimentation un domaine emblématique de la constitution d’un marché unique européen des biens et des services et un terrain d’affrontement dans la conception de l’organisation internationale du commerce. La deuxième dimension correspond à l’enjeu du traitement collectif de l’innovation et de la gestion des risques alimentaires, elle pose notamment la question de la place de l’expertise scientifique et de ses modes de production dans ce processus. La troisième voit dans les crises de sécurité des aliments des crises politiques dont les effets se font puissamment sentir sur la légitimité des gouvernants et les dispositifs institutionnels.

La diversité de ces dimensions nous semble légitimer de ne pas aborder la sécurité des aliments sous le seul angle univoque des politiques publiques de sécurité des aliments mais également de tenter de rendre compte de la manière dont l’inscription sur l’agenda de la sécurité des aliments vient transformer l’ordre politique.

Il s’agit de comprendre comment la sécurité des aliments s’est constituée comme objet de politique publique. Cela doit amener à éclairer la construction de l’alimentation comme problème de sécurité des aliments. On doit en effet faire la part des choses entre les implications des évolutions technologiques et sanitaires de l’alimentation, et la promotion par des coalitions organisées de solutions dont la légitimation reposait sur cette construction.

Mais celle-ci trouve également son sens dans le cadre de la recherche de stratégies de sortie des crises politiques ouvertes par les crises de sécurité sanitaire des aliments. Qu’il s’agisse du jeu de correspondance entre " sang contaminé " et " vache folle " en France, de la déstabilisation de la Commission Santer par la crise de la " vache folle " en 1996-1997, ou de la chute du gouvernement Belge lors des crises dites de la " dioxine belge " et " Coca-Cola " en 1999, on se trouve face à des dynamiques qui relèvent autant des " politics " que des " policies ".

Evolution des objets techniques, modification de l’organisation des marchés, montée de la référence à l’expertise scientifique, dysfonctionnement dans la gestion des risques, et crises politiques se combinent pour ouvrir des opportunités de transformation des politiques publiques dans un contexte où des entrepreneurs politiques sont porteurs de principes d’actions et de modes d’intervention innovants.

Il convient alors de mettre à jour les dynamiques de changement et leur traduction institutionnelle, les limites de ces transformations au regard de la profondeur historique et des permanences constatées, en s’interrogeant sur l’avènement d’un nouveau cadre pour l’action publique. Cette analyse doit être menée en se posant la question de l’impact des éléments évoqués ci-dessus dans chaque espace de politique public (national et communautaire) dans lesquels ils se développent. Parmi les questions soulevées figurent celle de l’articulation entre politique de l’alimentation et politique de sécurité des aliments ainsi que celle de la gestion des risques alimentaires et de l’émergence d’agences de sécurité sanitaire spécialisées dans le domaine de l’alimentation.

Une des caractéristiques essentielles du rapport entre politique et sécurité des aliments dans les Etats européens réside l’articulation entre espaces nationaux et communautaires de politique publique. On se trouve en effet face au développement parallèle d’histoires nationales spécifiques du fait de l’originalité des crises et du champ de politique publique national dans lequel elles interviennent, dans un contexte de grande interdépendance liée au caractère fortement communautarisé des législations et des politiques relatives à l’alimentation et à la sécurité des aliments. Mais il est vrai que ce domaine de politique publique est marquée par la cohabitation de compétences nationales et communautaires qui s’ajustent plus qu’elles ne se hiérarchisent. Cette caractéristique incite à placer l’ensemble de notre réflexion dans le cadre d’un approfondissement de la notion d’européanisation qui donne toute sa place aux échanges et interactions entre espace national et communautaire de politique publique.

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Ce domaine de recherche est relativement nouveau et n’émerge en France qu’à la suite de la crise de la " vache folle " et des controverses sur l’utilisation des plantes OGM dans l’agriculture et l’alimentation. Néanmoins plusieurs doctorants et jeunes chercheurs travaillent désormais dans ce champ et pourraient être à même d’intervenir dans cet atelier comme par exemple Thomas Alam (Lille 2, la gestion politico-administrative des risques alimentaires : une contribution à l’étude de l’européanisation des politiques publiques), Julien Besançon (CSO, gestion des risques et conditions de production de l’expertise scientifique dans le cadre de l’AFSSA), Alexis Roy (IFEN, les experts face aux risques, le cas des plantes transgéniques) ou moi-même (CEVIPOF-ENSA Rennes, Quand risques collectifs et situations de crise transforment l’action publique, les politiques publiques de sécurité des aliments en France et dans l’Union Européenne, 1979-2001).

La question de la sécurité des aliments présente par ailleurs des connexions importantes avec d’autres chantiers de recherche sur la gestion de l’innovation et des risques dans les domaine de la santé, de l’agriculture ou de l’environnement, notamment autour de l’utilisation du principe de précaution. Il pourrait ainsi être demandé à Pierre Lascoumes (CEVIPOF) de présider cet atelier et à Olivier Borraz (CSO) de jouer le rôle de discutant.

Plusieurs des personnes citées ont donné un accord de principe pour participer collectivement à la préparation de cet atelier en cas de sélection par l’AFSP.

 

Christophe Clergeau, doctorant

(Sciences Po Paris — CEVIPOF, Ecole Nationale Supérieure d’agronomie de Rennes — Département d’Economie Rurale et de Gestion)