Responsable : Ch. Clergeau
Lalimentation est longtemps restée une question secondaire sur lagenda politique, un sous-produit des politiques publiques de lagriculture. Le cadre sectoriel de gestion de ces politiques se traduisait par lintervention dun nombre limité dacteurs et la prédominance des savoirs techniciens. La situation actuelle est très différente puisque la sécurité des aliments et le thème de la " malbouffe " sont très largement présents dans lactualité politique et la production législative et réglementaire. Loin de constituer une exclusivité des cénacles officiels, les controverses se développent dans des arènes et forums ouverts sur lensemble de la société. Lalimentation et la sécurité des aliments sont désormais inscrits dans une triple dimension qui interroge directement le politique. La première de ces dimensions, la moins étudiée mais la plus ancienne est celle qui fait de lalimentation un domaine emblématique de la constitution dun marché unique européen des biens et des services et un terrain daffrontement dans la conception de lorganisation internationale du commerce. La deuxième dimension correspond à lenjeu du traitement collectif de linnovation et de la gestion des risques alimentaires, elle pose notamment la question de la place de lexpertise scientifique et de ses modes de production dans ce processus. La troisième voit dans les crises de sécurité des aliments des crises politiques dont les effets se font puissamment sentir sur la légitimité des gouvernants et les dispositifs institutionnels.
La diversité de ces dimensions nous semble légitimer de ne pas aborder la sécurité des aliments sous le seul angle univoque des politiques publiques de sécurité des aliments mais également de tenter de rendre compte de la manière dont linscription sur lagenda de la sécurité des aliments vient transformer lordre politique.
Il sagit de comprendre comment la sécurité des aliments sest constituée comme objet de politique publique. Cela doit amener à éclairer la construction de lalimentation comme problème de sécurité des aliments. On doit en effet faire la part des choses entre les implications des évolutions technologiques et sanitaires de lalimentation, et la promotion par des coalitions organisées de solutions dont la légitimation reposait sur cette construction.
Mais celle-ci trouve également son sens dans le cadre de la recherche de stratégies de sortie des crises politiques ouvertes par les crises de sécurité sanitaire des aliments. Quil sagisse du jeu de correspondance entre " sang contaminé " et " vache folle " en France, de la déstabilisation de la Commission Santer par la crise de la " vache folle " en 1996-1997, ou de la chute du gouvernement Belge lors des crises dites de la " dioxine belge " et " Coca-Cola " en 1999, on se trouve face à des dynamiques qui relèvent autant des " politics " que des " policies ".
Evolution des objets techniques, modification de lorganisation des marchés, montée de la référence à lexpertise scientifique, dysfonctionnement dans la gestion des risques, et crises politiques se combinent pour ouvrir des opportunités de transformation des politiques publiques dans un contexte où des entrepreneurs politiques sont porteurs de principes dactions et de modes dintervention innovants.
Il convient alors de mettre à jour les dynamiques de changement et leur traduction institutionnelle, les limites de ces transformations au regard de la profondeur historique et des permanences constatées, en sinterrogeant sur lavènement dun nouveau cadre pour laction publique. Cette analyse doit être menée en se posant la question de limpact des éléments évoqués ci-dessus dans chaque espace de politique public (national et communautaire) dans lesquels ils se développent. Parmi les questions soulevées figurent celle de larticulation entre politique de lalimentation et politique de sécurité des aliments ainsi que celle de la gestion des risques alimentaires et de lémergence dagences de sécurité sanitaire spécialisées dans le domaine de lalimentation.
Une des caractéristiques essentielles du rapport entre politique et sécurité des aliments dans les Etats européens réside larticulation entre espaces nationaux et communautaires de politique publique. On se trouve en effet face au développement parallèle dhistoires nationales spécifiques du fait de loriginalité des crises et du champ de politique publique national dans lequel elles interviennent, dans un contexte de grande interdépendance liée au caractère fortement communautarisé des législations et des politiques relatives à lalimentation et à la sécurité des aliments. Mais il est vrai que ce domaine de politique publique est marquée par la cohabitation de compétences nationales et communautaires qui sajustent plus quelles ne se hiérarchisent. Cette caractéristique incite à placer lensemble de notre réflexion dans le cadre dun approfondissement de la notion deuropéanisation qui donne toute sa place aux échanges et interactions entre espace national et communautaire de politique publique.
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Ce domaine de recherche est relativement nouveau et némerge en France quà la suite de la crise de la " vache folle " et des controverses sur lutilisation des plantes OGM dans lagriculture et lalimentation. Néanmoins plusieurs doctorants et jeunes chercheurs travaillent désormais dans ce champ et pourraient être à même dintervenir dans cet atelier comme par exemple Thomas Alam (Lille 2, la gestion politico-administrative des risques alimentaires : une contribution à létude de leuropéanisation des politiques publiques), Julien Besançon (CSO, gestion des risques et conditions de production de lexpertise scientifique dans le cadre de lAFSSA), Alexis Roy (IFEN, les experts face aux risques, le cas des plantes transgéniques) ou moi-même (CEVIPOF-ENSA Rennes, Quand risques collectifs et situations de crise transforment laction publique, les politiques publiques de sécurité des aliments en France et dans lUnion Européenne, 1979-2001).
La question de la sécurité des aliments présente par ailleurs des connexions importantes avec dautres chantiers de recherche sur la gestion de linnovation et des risques dans les domaine de la santé, de lagriculture ou de lenvironnement, notamment autour de lutilisation du principe de précaution. Il pourrait ainsi être demandé à Pierre Lascoumes (CEVIPOF) de présider cet atelier et à Olivier Borraz (CSO) de jouer le rôle de discutant.
Plusieurs des personnes citées ont donné un accord de principe pour participer collectivement à la préparation de cet atelier en cas de sélection par lAFSP.
Christophe Clergeau, doctorant
(Sciences Po Paris CEVIPOF, Ecole Nationale Supérieure dagronomie de Rennes Département dEconomie Rurale et de Gestion)