Atelier 33

Mondialisation et réformes des Etats-providence : l’influence cognitive des organisations internationales

 

Dans la littérature sur les évolutions des Etats-providence, un nombre croissant d’auteurs s’est intéressé à des logiques internationales, dépassant le cadre étatique, susceptibles d’avoir un impact sur les politiques de réformes. Ces logiques sont le plus souvent subsumées sous un terme : celui de globalisation (ou son synonyme français de "mondialisation"). La globalisation y apparaît dans cette littérature comme un facteur extérieur, isolable ; les études se demandant si ce facteur doit être pris en compte ou non pour comprendre les évolutions actuelles des systèmes de protection sociale.

Pour certains (comme Ramesh Mishra), la globalisation a pour conséquence majeure de réduire drastiquement l’espace des possibles en matière de politique de protection sociale : seule la voie du retrait de l’Etat-providence (retrenchment) serait possible car serait désormais la seule compatible avec les exigences d’un marché devenu mondial. Cette perspective d’analyse de l’impact de la globalisation sur la protection sociale a entraîné un débat sur la portée de ces effets, un certain nombre d’auteurs en contestant l’importance. Relativisant la part prise par la globalisation, Paul Pierson fournit une des versions les plus élaborées de ce type d’analyse. Il part de l’idée que ce sont des facteurs endogènes qui forment les contraintes les plus fortes pesant sur les Etats-providence (ralentissement des gains de productivité résultant de la tertiarisation des économies, arrivée à maturité des systèmes de protection sociale, vieillissement démographique).

Depuis deux ou trois ans, les recherches empiriques menées sur les réformes des Etats-providence tendent donc à montrer, d’une part que le contexte international a effectivement changé, en créant de nouveaux défis pour les Etats-providence, mais d’autre part, que ceux-ci, dans leur manière de s’ajuster à ces défis, n’ont pas profondément bouleversé leurs structures, dans la mesure où les réformes sont marquées par des phénomènes de dépendance institutionnelle. Ces conclusions sont importantes, mais elles ne remettent pas en cause le schéma général d’analyse qui veut que la globalisation ait (ou non) un impact exogène sur les systèmes de protection sociale, impact qui entraîne d’une manière plus ou moins mécanique de nécessaires changements. La plupart des chercheurs associent à la notion de globalisation les termes de forces, pressions, et analysent les réformes des Etats-providence en termes d’ajustement ou d’adaptation.

La dimension politique des processus est ici oubliée. Le rôle des acteurs "globalisés" (multinationales, organisations internationales) dans le travail de construction du diagnostic selon lequel les réformes sont nécessaires, ainsi que le travail d’orientation et de légitimation de certains types de réformes ne devraient pas être négligé, et fera l’objet de l’atelier. La globalisation n’est pas seulement une contrainte, d’ordre économique principalement, mais aussi (et surtout) un ensemble de représentations, de discours et de conceptions portés par des acteurs qui ont pour particularité de s’inscrire dans des logiques d’action supranationales. Dans la mesure où ces institutions (Banque mondiale, Fonds monétaire international, OCDE, Commission européenne, BIT…) n’ont pas (à l’exception de l’OMC) de pouvoir décisionnel direct, même si dans certains cas (pour les pays en voie de développement et de l’ancien bloc soviétique) elles sont en mesure de peser directement sur le contenu de politiques publiques par la conditionnalité de l’aide en particulier, il est nécessaire de les considérer également par leur rôle au niveau cognitif.

Les institutions internationales peuvent être considérées comme des acteurs proposant des modèles de politiques publiques, des outils de politiques publiques et des argumentaires permettant de légitimer des décisions publiques. Ces trois aspects correspondent en quelque sorte à un pouvoir d’influence, cognitif, indirect. L’atelier vise à mieux connaître le contenu de ces prescriptions globalisées, avant de s’interroger sur leur pouvoir d’influence sur les réformes nationales.

Les institutions internationales sont tout d’abord des producteurs (et des diffuseurs) de modèles d’action correspondant à des propositions de réforme des systèmes de protection sociale. Ces modèles ne sont pas seulement théoriques, ils s’appuient le plus souvent sur un cas national qui devient, dans le discours de ces institutions, un modèle de référence dont il faudrait s’inspirer. On peut en donner deux exemples. Le premier est celui du modèle de système de retraite à trois piliers élaboré par la Banque Mondiale : un premier pilier public offrant une retraite de base ; un second pilier reposant sur des assurances collectives ; un troisième pilier individuel et privé. Le Chili, qui a mis en place ce modèle, a de ce fait fréquemment servi de cas de référence. Le deuxième exemple est celui des quasi-marchés dans la santé, système développé en particulier dans le cadre de travaux de l’OCDE. Dans ce cas c’est la réforme britannique qui a servi de modèle de référence et d’exemple proposé aux autres pays. Les principes néo-libéraux se traduisent donc dans le domaine de la protection sociale par des modèles de politiques à la fois élaborés et incarnés (par des cas nationaux). Ils se traduisent aussi par la promotion d’outils d’action concrets. Il s’agit avant tout d’outils de gestion publique, parfois très formalisés, qui permettent la mise en œuvre des modèles d’action. La diffusion des outils managériaux dans le domaine de la protection sociale en offre un exemple très net. C’est en particulier le cas pour les outils d’évaluation : ainsi les Diagnosis Related Groups pour évaluer l’activité (en termes de performance) hospitalière.

Enfin, les institutions internationales produisent des argumentaires permettant de légitimer l’adoption de mesures de protection sociale. On peut distinguer ici ce qui relève de la production de données qui permettent de justifier une mesure, de la rhétorique qui fonde les discours de légitimation. Sur le premier aspect, il convient de souligner que ces institutions sont de grandes productrices de données chiffrées qui permettent d’objectiver leurs propositions et leurs recommandations. Dans certains cas on assiste même à l’émergence de quasi-monopoles dans la production de données statistiques internationales (c’est par exemple le cas de l’OCDE). Ces institutions déploient aussi une rhétorique mettant l’accent sur l’absence d’alternative à la voie néo-libérale dans le cadre la mondialisation. Ce discours peut être analysé comme un véritable " catéchisme " du fait de son caractère hautement performatif, confinant au messianisme.

L’atelier visera à problématiser le possible rôle croissant des organisations internationales dans le cadre des réflexions actuelles sur les réformes de l’Etat-providence (intervention pressentie de Bruno Palier). Il permettra aussi de considérer les grandes lignes du nouveau référentiel de protection sociale élaboré au niveau international (Bruno Jobert). Il permettra enfin de lire les prescriptions des organisations internationales en matière de politique de retraite (Christelle Mandin) et de politiques de protection maladie (Marina Serrré).

Liste des intervenants : Bruno Jobert, Bruno Palier, Christelle Mandin, Marina Serré

Discutant : Yves Surel