Dans la littérature sur les évolutions des Etats-providence, un nombre croissant dauteurs sest intéressé à des logiques internationales, dépassant le cadre étatique, susceptibles davoir un impact sur les politiques de réformes. Ces logiques sont le plus souvent subsumées sous un terme : celui de globalisation (ou son synonyme français de "mondialisation"). La globalisation y apparaît dans cette littérature comme un facteur extérieur, isolable ; les études se demandant si ce facteur doit être pris en compte ou non pour comprendre les évolutions actuelles des systèmes de protection sociale.
Pour certains (comme Ramesh Mishra), la globalisation a pour conséquence majeure de réduire drastiquement lespace des possibles en matière de politique de protection sociale : seule la voie du retrait de lEtat-providence (retrenchment) serait possible car serait désormais la seule compatible avec les exigences dun marché devenu mondial. Cette perspective danalyse de limpact de la globalisation sur la protection sociale a entraîné un débat sur la portée de ces effets, un certain nombre dauteurs en contestant limportance. Relativisant la part prise par la globalisation, Paul Pierson fournit une des versions les plus élaborées de ce type danalyse. Il part de lidée que ce sont des facteurs endogènes qui forment les contraintes les plus fortes pesant sur les Etats-providence (ralentissement des gains de productivité résultant de la tertiarisation des économies, arrivée à maturité des systèmes de protection sociale, vieillissement démographique).
Depuis deux ou trois ans, les recherches empiriques menées sur les réformes des Etats-providence tendent donc à montrer, dune part que le contexte international a effectivement changé, en créant de nouveaux défis pour les Etats-providence, mais dautre part, que ceux-ci, dans leur manière de sajuster à ces défis, nont pas profondément bouleversé leurs structures, dans la mesure où les réformes sont marquées par des phénomènes de dépendance institutionnelle. Ces conclusions sont importantes, mais elles ne remettent pas en cause le schéma général danalyse qui veut que la globalisation ait (ou non) un impact exogène sur les systèmes de protection sociale, impact qui entraîne dune manière plus ou moins mécanique de nécessaires changements. La plupart des chercheurs associent à la notion de globalisation les termes de forces, pressions, et analysent les réformes des Etats-providence en termes dajustement ou dadaptation.
La dimension politique des processus est ici oubliée. Le rôle des acteurs "globalisés" (multinationales, organisations internationales) dans le travail de construction du diagnostic selon lequel les réformes sont nécessaires, ainsi que le travail dorientation et de légitimation de certains types de réformes ne devraient pas être négligé, et fera lobjet de latelier. La globalisation nest pas seulement une contrainte, dordre économique principalement, mais aussi (et surtout) un ensemble de représentations, de discours et de conceptions portés par des acteurs qui ont pour particularité de sinscrire dans des logiques daction supranationales. Dans la mesure où ces institutions (Banque mondiale, Fonds monétaire international, OCDE, Commission européenne, BIT ) nont pas (à lexception de lOMC) de pouvoir décisionnel direct, même si dans certains cas (pour les pays en voie de développement et de lancien bloc soviétique) elles sont en mesure de peser directement sur le contenu de politiques publiques par la conditionnalité de laide en particulier, il est nécessaire de les considérer également par leur rôle au niveau cognitif.
Les institutions internationales peuvent être considérées comme des acteurs proposant des modèles de politiques publiques, des outils de politiques publiques et des argumentaires permettant de légitimer des décisions publiques. Ces trois aspects correspondent en quelque sorte à un pouvoir dinfluence, cognitif, indirect. Latelier vise à mieux connaître le contenu de ces prescriptions globalisées, avant de sinterroger sur leur pouvoir dinfluence sur les réformes nationales.
Les institutions internationales sont tout dabord des producteurs (et des diffuseurs) de modèles daction correspondant à des propositions de réforme des systèmes de protection sociale. Ces modèles ne sont pas seulement théoriques, ils sappuient le plus souvent sur un cas national qui devient, dans le discours de ces institutions, un modèle de référence dont il faudrait sinspirer. On peut en donner deux exemples. Le premier est celui du modèle de système de retraite à trois piliers élaboré par la Banque Mondiale : un premier pilier public offrant une retraite de base ; un second pilier reposant sur des assurances collectives ; un troisième pilier individuel et privé. Le Chili, qui a mis en place ce modèle, a de ce fait fréquemment servi de cas de référence. Le deuxième exemple est celui des quasi-marchés dans la santé, système développé en particulier dans le cadre de travaux de lOCDE. Dans ce cas cest la réforme britannique qui a servi de modèle de référence et dexemple proposé aux autres pays. Les principes néo-libéraux se traduisent donc dans le domaine de la protection sociale par des modèles de politiques à la fois élaborés et incarnés (par des cas nationaux). Ils se traduisent aussi par la promotion doutils daction concrets. Il sagit avant tout doutils de gestion publique, parfois très formalisés, qui permettent la mise en uvre des modèles daction. La diffusion des outils managériaux dans le domaine de la protection sociale en offre un exemple très net. Cest en particulier le cas pour les outils dévaluation : ainsi les Diagnosis Related Groups pour évaluer lactivité (en termes de performance) hospitalière.
Enfin, les institutions internationales produisent des argumentaires permettant de légitimer ladoption de mesures de protection sociale. On peut distinguer ici ce qui relève de la production de données qui permettent de justifier une mesure, de la rhétorique qui fonde les discours de légitimation. Sur le premier aspect, il convient de souligner que ces institutions sont de grandes productrices de données chiffrées qui permettent dobjectiver leurs propositions et leurs recommandations. Dans certains cas on assiste même à lémergence de quasi-monopoles dans la production de données statistiques internationales (cest par exemple le cas de lOCDE). Ces institutions déploient aussi une rhétorique mettant laccent sur labsence dalternative à la voie néo-libérale dans le cadre la mondialisation. Ce discours peut être analysé comme un véritable " catéchisme " du fait de son caractère hautement performatif, confinant au messianisme.
Latelier visera à problématiser le possible rôle croissant des organisations internationales dans le cadre des réflexions actuelles sur les réformes de lEtat-providence (intervention pressentie de Bruno Palier). Il permettra aussi de considérer les grandes lignes du nouveau référentiel de protection sociale élaboré au niveau international (Bruno Jobert). Il permettra enfin de lire les prescriptions des organisations internationales en matière de politique de retraite (Christelle Mandin) et de politiques de protection maladie (Marina Serrré).
Liste des intervenants : Bruno Jobert, Bruno Palier, Christelle Mandin, Marina Serré
Discutant : Yves Surel