Atelier 7

Les acteurs de la politique transnationale

V. Guiraudon (CRAPS, Lille 2)
A. Smith (CERVL, IEP de Bordeaux)

 

Nombre d’ouvrages de science politique — et ce au moins depuis l’ouvrage de Thomas Risse (Bringing Transnational Relations Back in) de 1985 — constatent l’importance des "flux transnationaux" (Badie, Smouts, 1996), l’émergence de dispositifs institutionnels transnationaux (Union européennne, ALENA, ASEAN, Mercosur…), la rerèglementation du commerce international (GATT, OMC) la multiplication de campagnes transnationales de mobilisation ciblant ou se reposant sur le soutien d’organisations internationales (ONU, Banque mondiale…) ou contre des firmes transnationales (campagnes anti-OGM, contre les entreprises ayant spoliés les biens des Juifs, contre le travail des enfants). Ces phénomènes participent de ce que certains nomment les "nouvelles relations internationales" (Smouts, 1998) et ont généré des études qui participent à ce que l’on peut nommer succinctement comme "la politique transnationale" ("transnational politics").

Par delà ce constat et tout en reconnaissant l’apport des études antérieures, il nous semble aujourd’hui nécessaire de préciser l’objet de recherche mais aussi et surtout les outils conceptuels et méthodologiques les plus aptes à l’étudier. L’enjeu est de taille pour notre discipline puisque les développements empiriques sus-cités semblent remettre en cause l’étanchéité de nos sous disciplines : relations internationales, politiques publiques, sociologie des mouvements sociaux etc. Du moins, l’idée qu’il existe une politique transnationale les interpelle toutes et exige que nous repensions ou adaptions nos questions et nos méthodes de recherche. La science politique française, fortement ancrée dans la tradition sociologique et férue d’enquêtes de terrain minutieuses, est cependant à même de relever ce défi et plus avant de contribuer au dialogue scientifique international sur ces questions. Ce dialogue a déjà rapproché aussi bien les spécialistes de RI qui s’intéressaient à la question des normes internationales, que la littérature sur la contestation transnationale, ou les spécialistes de politique comparée qui étudient les effets des accords d’intégration régionale et de la globalisation sur la construction des politiques nationales ou locales.

Inspiré par quelques travaux pionniers (Bigo 1996, Cultures et conflits, 2000), l’objectif de cet atelier est de réunir des chercheurs qui ont entamé des analyses approfondies des acteurs de la politique transnationale. Partant de la question de "qui participe à ces arènes ?", il s’agira d’organiser un débat autour des motivations, des ressources, des contraintes et des défis que connaissent les sujets étudiés. Ainsi à partir de recherches conduites selon les règles de la méthode sociologique, l’atelier traitera de la question suivante : quelles stratégies de recherche pour étudier empiriquement la politique transnationale ?

Sur un plan plus théorique, il s’agira également de faire avancer le débat sur les rapports entre les différents acteurs de la scène transnationale (au sein des institutions internationales, des Etats, des ONGs) et ceci moins sous l’angle des interactions sporadiques et plus sous celui des médiations plus ou moins institutionnalisées. De cette façon, on pourra mettre en lumière l’apport respectif des jeux d’intérêts, de la socialisation normative et cognitive des acteurs, et des règles du jeu dans l’institutionnalisation des interactions transnationales. A ce titre, l’atelier se structura autour de communications de chercheurs à la croisée des chemins entre —inter alia- la sociologie politique des relations internationales, l’analyse comparée et l’anthropologie politique et qui mobilisent les outils de la sociologie politique (sociologie des élites ou des mobilisations, sociologie interactionniste et sociologie des champs), et l’analyse des politiques publiques.

Nota bene : un texte introductif plus élaboré peut être obtenu en contactant les organisateurs.

 

Références citées :

B. Badie, M-C. Smouts, Le retournement du monde. Sociologie de la scène internationale, Paris, Presses de la FNSP, 1992.

B. Bigo (1996), Police en réseaux, Paris, Presses de sciences po.

Cultures et conflits (2000), Sociologie de l’Europe, numéro spécial, n° 38-9.

M-C. Smouts, dir., (1998), Les nouvelles relations internationales, Paris, Presses de sciences-po.

T. Risse (dir.), (1985), Bringing Transnational Relations Back in, New York et Cambridge, RU: Cambridge University Press.

Discutants: Patrick Hassenteufel (CRAP, Rennes), Johanna Siméant (CRAPS, Lille).

 

Intervenants et résumés des communications:

Nathalie Berny (CERVL, Bordeaux et l'Université de Laval, Québec)
"Contentious politics ou interest groups politics : la mobilisation transnationale et l’Union européenne dans le domaine de l’environnement à partir de l’observatoire français"

La croissance du nombre d’organisations non gouvernementales (ONG) auprès des institutions internationales, marquante depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, semble accréditer l’hypothèse qui sous-tend le concept de structure des opportunités politiques développé dans la littérature sur les mouvements sociaux par le courant du processus politique : l’environnement politique d’un groupe mobilisé influence ses stratégies et les cibles politiques qu’il vise. Il n’est d’ailleurs pas surprenant de constater que des tenants de cette approche questionnent l’impact du niveau européen de décision sur les mobilisations des organisations de mouvements social au niveau des Etats membres. En effet, non seulement l’Union européenne peut être comparée à ces accords régionaux de libre-échange qui offrent en parallèle des forums de discussion pour les ONG, mais l’institutionnalisation poussée de la coopération entre les Etats et, par conséquent, le caractère transnational des institutions européennes y est plus marquant que dans une organisation internationale classique. Plus nombreuses et dotées de davantage de moyens matériels depuis les années 1990, les organisations environnementalistes présentes à Bruxelles sont un relais important de cette politique transnationale. Mais il paraît essentiel au préalable de s’interroger sur les concepts pertinents pour désigner ces acteurs. En effet, le concept d’organisation de mouvement social implique que les acteurs soient exclus du fonctionnement des institutions politiques et développent des stratégies d’action non conventionnelle. Au contraire, l’Union européenne encourage des pratiques de lobbying et reste une cible modeste de la politique protestataire en Europe. D’autre part, on peut noter au plan théorique une convergence entre concepts puisque les auteurs évoquant des organisations de mouvement social transnational (transnational social movement organizations) ont recours au concept de réseaux d’enjeux (issue networks) initialement utilisé pour évoquer des configurations de représentation d’intérêt ou dans le champ des politiques publiques. Cette communication a donc pour objectif de questionner deux approches concurrentes de l’action collective et leurs implications théoriques en ce qui concerne les relations de ces groupes avec les institutions politiques, et ceci dans un cadre qui n’est plus seulement étatique contrairement au contexte où ces approches ont été initialement développées.

Ariel Colonomos (CERI, Paris)
"Comment mesurer les effets de la transnationalité ?"

Cette réflexion part d’un double constat. D’une part, les acteurs transnationaux ont acquis une très forte visibilité en raison de leur nombre et de leur capacité de voice. De l’autre, l’évaluation de leur incidence sur le système international est toujours matière à débat. Pour amener des éléments de réponse à cette dernière question, je me propose à partir de recherches encours ainsi que depuis des travaux antérieurs de distinguer quatre volets : 1/ Comment dans une enquête reconstituer des réseaux de transnationalité et comment comprendre les effets d’agrégation au sein de ces réseaux, la diffusion d’un message, les effets d’entraînement, ce que Rosenau appelle aussi " cascading politics " ? Discuter ce terme. 2/ Comment mesurer les degrés d’interaction avec des logiques institutionnelles dans les relations internationales (les États, les organisations internationales, les bureaucraties hiérarchisées et verticales une dynamique en opposition au principe transnational et horizontal du réseau) ? 3/ Quels types d’espaces sociaux sont créés par ces interactions ? Plusieurs catégories existent d’ores et déjà dans la littérature. S’agit-il de communautés épistémiques, d’un espace public transnational…. ? Quel sont les termes les plus appropriés dans une série de cas (typologie de transnationalités à déterminer) et quel est le potentiel heuristique de ces concepts ? 4/ In fine, quels sont les effets sur le système international de ces interactions transnationales (entre les acteurs transnationaux eux-mêmes et entre acteurs transnationaux et institutions) ? La discussion de ces quatre points prendra comme point de départ la transnationalité de l’éthique dans le cadre de l’après-guerre froide. Deux disciplines sont donc directement concernées, la sociologie des normes et la sociologie des relations internationales, je souhaite montrer que ce type de dialogue mène bien souvent vers la prise en compte d’une troisième dimension, la philosophie politique et morale.

Sylvie Ollitrault, (CRAPS, Lille)
"La mobilisation contre les mines antipersonnel : créer une société civile transnationale ?"

La mobilisation contre les mines antipersonnel a été considérée dans les années 90 comme l’archétype d’une mobilisation faisant émerger une société civile mondiale sur la scène internationale, dominée par les relations inter-étatiques. Le mouvement a connu son apogée en 1997 : la signature de la convention d’Ottawa, l’obtention du prix Nobel. Depuis cette date, de manière routinisée dans de nombreuses villes européennes, des groupes locaux (en France, animés par Handicap International), continuent à faire pression sur les états qui n’ont pas signé ou ratifié la convention, à rappeler à l’opinion publique la gravité de la situation. Le processus de cette mobilisation est particulier puisque le réseau a rassemblé des ONG anglo-saxonnes et européennes, chacune faisant pression de manière interne dans leur état d’origine ou d’implantation et au niveau international. Ce réseau a réussi à représenter un intérêt transnational qui a été mis sur l’agenda international et notamment, s’imposer dans le secteur de l’armement régulé par les négociations inter-étatiques ( avec les lobbies militaires et des industries d’armement). Ces ONG, représentant des intérêts civils, ont décidé de former un réseau transnational d’action tout en se légitimant par un discours sur la mondialisation, génératrice de nouveaux acteurs transnationaux. C’est pourquoi nous analyserons autant ce processus de mise en réseau d’acteurs (ONG) pour créer un contre-pouvoir et des normes supranationales, que la rhétorique des acteurs sur leurs pratiques. L’apport des analyses de l’action collective pourra être utilement croisé à celui de la sociologie des relations internationales mais en ne négligeant pas le discours des acteurs qui développent une rhétorique de légitimation de nouveaux rôles (sortir de l’action humanitaire réparatrice pour faire de la prévention).

Andy Smith (CERVL, Bordeaux)
"Les acteurs transgouvernementaux : négociateurs européens et américains face au 'commerce extérieur'"

Si les multiples enjeux que recouvre le terme du 'commerce extérieur' commence à engendrer des recherches en science politique, force est de reconnaître que nous ne savons toujours peu de choses sur les acteurs gouvernementaux que participent à leurs définition et à leur régulation. Or, loin d'être un champ investi principalement par des diplomates, le commerce internationale est désormais un objet de négociation transgouvernemental auquel participe une variété d’acteurs nationaux et supranationaux. En développant un projet de recherche comparé sur les négociateurs de l'Union européenne et des Etats-Unis, cette hypothèse sera mise à l’épreuve de trois chantiers de recherche empiriques : une sociographie des instances communautaires et américians impliquées directement et indirectement dans la négociation des accords commerciaux internationaux ; une analyse de la décision dans deux secteurs impliqués de près par ces accords (la propriété intellectuelle et l'aeronautique) ; et une recherche spécifique consacrée au travail politique effectué par les commissaires européens et les "secretaries for trade" qui se sont occupés des dossiers de commerce international depuis la fin des années 1980.

Claire Visier (CRAP, Rennes)
"L’européanisation des groupes d’intérêt. Le travail de lobbying d’Amnesty International auprès du Conseil de l’Europe et de l’Union Européenne"

L’action d’Amnesty International en faveur des droits de l’homme se déploie selon deux axes : l’un oppositionnel, l’autre promotionnel. La dimension oppositionnelle constitue le volet le plus visible de cette entreprise : en ce basant sur la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, Amnesty entend dénoncer les violations de certains droits jugés particulièrement importants et choisis stratégiquement : liberté d’expression, droit à un procès équitable, droit au respect de l’intégrité physique et psychique. Dans sa dimension promotionnelle, l’organisation est également généraliste, travaillant au progrès de l’ensemble des droits de l’homme, universels et interdépendants. Elle exerce à ce titre un travail de groupe de pression auprès des organisations internationales, et bénéficie formellement du statut d’observateur (elle est l’une des rares ONG à être reconnues de manière permanente par l’ONU). La construction de l’Europe communautaire et au travers du Conseil de l’Europe —qui présente un intérêt évident pour Amnesty dans la mesure où sa mission est explicitement de veiller au respect des droits de l’homme- constitue un déplacement tendanciel du centre d’exercice du pouvoir politique que les groupes de pression doivent prendre en compte. Mais Amnesty ne saurait se résoudre à être un lobby "comme les autres" : influencer la rédaction de textes relatifs au respect et à la protection des droits humains n’est que formellement comparable au lobbying en matière d’informatique ou d’agriculture. Il convient d’envisager à sa juste mesure la dimension altruiste et morale du travail d’Amnesty. Par ailleurs, l’origine anglo-saxonne et pragmatique de l’organisation la rattache à une pratique du processus démocratique où la représentation des intérêts particuliers implique et légitime le lobbying. Les sections non anglo-saxonnes d’Amnesty sont-elles alors en mesure de reconnaître et d’accepter une pratique parfois très négativement connotée ? Amnesty est reconnue officiellement par le Conseil de l’Europe et par l’Union Européenne : en nous entretenant avec les permanents de l’association auprès des différentes institutions à Strasbourg et à Bruxelles, et en nous appuyant sur des cas emblématiques dans lesquels l’organisation s’est particulièrement investie, nous tâcherons de rendre compte des logiques à l’œuvre dans un tel travail de lobbying, des stratégies adoptées par les acteurs, et de la nécessaire adaptation des moyens aux fins poursuivis.