Atelier n° 1 : UN RENOUVEAU DES PARLEMENTS EN EUROPE ? COMPORTEMENT PARLEMENTAIRE ET CONTRAINTES D’ACTION

Olivier COSTA
Eric KERROUCHE
CNRS/CERVL — IEP de Bordeaux

Cet atelier avait pour but de lancer une réflexion collective sur le renouveau du parlementarisme et les transformations des Parlements en Europe. Il a permis de réunir une quinzaine de participants : doctorants (en majorité), docteurs, chercheurs et enseignants chercheurs (voir infra la liste de présence). D’autres politistes, retenus par d’autres ateliers ou absents du congrès, ont manifesté par courrier électronique leur intérêt pour cette thématique.

Dans la mesure où l’atelier n’avait pas pour objet de réunir les membres d’un réseau ou d’un projet de recherche préexistant, mais plutôt de recenser les politistes concernés par l’étude des Parlements (ou impliqués dans celle-ci), on peut considérer qu’il a été un succès. Le grand nombre de doctorants et jeunes docteurs est le signe encourageant d’un renouveau des études parlementaires en France. Cette réunion, véritable préliminaire à la constitution d’un réseau informel des spécialistes francophones du sujet, s’est articulée autour de six interventions.

1. En guise d’introduction, Olivier Costa a présenté un tour d’horizon de l’état thématique et méthodologique des recherches sur les parlements en Europe. Il ressort de cette présentation, qui s’est notamment appuyée sur le bilan d’un workshop récent de l’ECPR consacré au comportement parlementaire, que les études parlementaires sont aujourd’hui de trois types.

a/ Beaucoup de travaux portent sur des questions méthodologiques et envisagent les mérites comparés des différentes approches, du rational choice aux analyses historiques et sociologiques. Les approches de type rational choice, inspirées des études congressionnelles, tendent à être critiquées comme étant trop schématiques pour appréhender la situation des parlements en Europe. Les auteurs s’entendent sur la nécessité de désagréger les acteurs, en raison de l’existence de gouvernements de coalition ou/et d’un multipartisme très fragmenté. Ils soulignent aussi l’importance d’une prise en compte des dimensions idéologiques et culturelles.

b/ En second lieu, de nombreuses recherches portent sur les variables susceptibles d’influencer le comportement des parlementaires. On peut les regrouper sous trois catégories, selon le type de variables privilégié. La première rassemble les travaux qui mettent l’accent sur les intérêts, et s’inscrivent massivement dans une approche de rational choice. La seconde catégorie est constituée par les travaux qui insistent sur le poids des institutions, comprises comme les filtres à travers lesquels les députés évaluent leurs intérêts et définissent leurs stratégies. De nombreux mécanismes institutionnels sont examinés et forment une sorte de chaîne chronologique de contraintes, allant de la sélection des candidats, à l’architecture d’ensemble du système politique, en passant par les règles électorales et institutionnelles. Enfin, un dernier groupe est formé par les travaux qui soulignent l’importance des variables culturelles, qu’il s’agisse de la culture politique, de l’idéologie ou des conceptions du mandat et du parlement que développent les élus. De nombreuses recherches portent en particulier sur les effets de leur socialisation et sur les phénomènes de mimétisme institutionnel ou de rejet de modèles.

c/ Les recherches qui n’appartiennent pas aux deux précédentes catégories sont essentiellement des études de cas. Ces monographies visent à mieux évaluer le poids relatif des différentes variables du comportement parlementaire. Parallèlement aux études qui portent des objets " classiques ", de nombreux travaux sont désormais consacrés aux parlements des PECO et aux parlements subnationaux et supranationaux (Parlement européen). 

Ce tour d’horizon révèle le retard considérable et chronique de la recherche française en matière d’études parlementaires (au moins d’un point de vue quantitatif). Alors qu’elles constituent l’un des principaux courants de la science politique nord-américaine et qu’elles mobilisent un nombre impressionnant de chercheurs en Europe, le Parlement français et les parlements en général ne suscitent guère la curiosité des politistes hexagonaux. S’agissant du Parlement français, il existe certes une littérature de droit public consacrée au sujet, mais elle tend à dater ou à se focaliser sur des objets spécifiques en raison de l’approche adoptée. En ce qui concerne plus particulièrement la science politique, on est frappé de constater que les deux dernières monographies d’ampleur émanent d’un Américain (John D. Huber) et d’un anthropologue (Marc Abélès).

2. En forme de réponse à ce tableau assez noir, Eric Kerrouche a présenté un projet de recherche collectif relatif au comportement comparé des membres de l'Assemblée nationale et des élus français du Parlement européen. Cette étude vise à combler certaines des lacunes de la science politique française en la matière et veut apporter des réponses au caractère également insatisfaisant des études purement quantitatives (analyse des votes par appel nominal, approches sociographiques de la " représentativité " des assemblées...) et purement qualitatives (étude des motivations et du parcours des députés, suivi de dossiers...). Pour ce faire, il a insisté sur les vertus du recours au concept d'éligibilité et sur la nécessité de prendre en compte la double dimension, locale et nationale, de la représentation et les contradictions qui l’habitent.

3. Willy Beauvalet (GSPE - IEP Strasbourg) a présenté une contribution (dont une version écrite est disponible), intitulée : "Entre contrainte et opportunité, la construction d'un espace européen de représentation politique". En s’appuyant sur un cas particulier, Willy Beauvalet a montré de quelle manière les députés européens parviennent à construire et entretenir leur représentativité et leur légitimité, à la fois au sein de l’institution et dans l’espace local, auprès de leurs électeurs. Cette approche inédite s’agissant du Parlement européen permet de proposer un éclairage alternatif à celui suggéré par les nombreuses publications de langue anglaise consacrées à l’institution.

4. Jean-Pascal Daloz (CNRS/CERVL - IEP Bordeaux) a présenté une contribution sur le thème : " Représentation politique et modestie ostentatoire : de quelques codes contraignants au sein des parlements scandinaves ". Dans son exposé, il a souligné les vertus d’une approche culturaliste du comportement politique, en montrant de quelle manière celui des parlementaires scandinaves est conditionné par l’obligation de faire preuve de modestie. Cette analyse - qui s’inscrit dans une recherche plus large sur les élites scandinaves - souligne la pluralité des déterminants du comportement parlementaire. L’étude montre également que l’analyse ne saurait se réduire, comme l’affirment trop souvent les auteurs anglo-saxons, à la prise en compte des seuls objectifs de réélection, de re-sélection et de progression dans la hiérarchie de l’institution.

5. Julien Navarro (CERVL - IEP Bordeaux) a ensuite présenté une contribution intitulée " la faiblesse institutionnelle comme contrainte d'action: le cas du Parlement européen ". Il s’agit d’une étude du comportement parlementaire au PE qui se concentre notamment sur les réactions de l’institution au traité de Nice. À travers ce cas d’étude, l’ambition est d’éclairer les déterminants des rôles représentatifs des députés européens, en prenant garde à respecter la complexité qui s’attache à la notion de représentation, en particulier mise en oeuvre à l’échelle supranationale, et à se défier des excès de la réification institutionnelle.

6. Olivier Rozenberg (CERI - IEP Paris) a exposé sur le thème : " La projection des parlementaires nationaux dans l'espace européen ". Son travail de recherche porte sur " l’européanisation " des Parlements britannique et français, c’est-à-dire sur la manière dont ces institutions et leurs membres s’adaptent à l’intégration européenne. Celle-ci constitue désomrais une contrainte majeure de leur comportement et induit une double tension : d’une part, les députés ne sont pas compétents pour satisfaire les demandes des citoyens sur les questions européennes et, d’autre part, il existe une contradiction dans leur rapport à l’Union entre une logique unanimiste (défendre les intérêts nationaux) et une logique de différenciation (préserver le jeu partisan).

Les débats qui ont suivi ces présentations ont porté sur trois questions :

1/ la méthodologie de l’étude des parlements ;

2/ l’existence d’une spécificité française en la matière ;

3/ le choix des objets d’étude.

Il est difficile de tirer des conclusions d’ensemble de ce premier, et malheureusement trop bref, échange d’idées. On soulignera toutefois trois points.

1/ Il existe un consensus pour reconnaître une spécificité française de la recherche sur les Parlements. On peut l’exprimer comme une volonté de respecter la complexité de la notion de représentation et des déterminants du comportement parlementaire commune à toutes les approches, qu’elles soient institutionnelles, quantitatives ou plus sociologiques. L’accord se fait notamment sur la nécessité d’une prise en compte des dimensions culturelles du comportement parlementaire, des phénomènes de socialisation et de la manière dont les députés apprennent et perçoivent leur rôle. Ceci implique de ne pas " plaquer " sans nuance et sans préalable les grilles d’analyse congressionnelles les plus en vogue à d’autres objets, et de définir des approches adaptées à des situations particulières, des questionnements spécifiques et des objets nouveaux.

2/ Un consensus existe également pour souligner les vertus d’une analyse comparative, à la fois internationale et " inter-niveaux " (entre les assemblées infranationales, nationales et supranationales). Elle semble indispensable à l’identification des variables pertinentes pour l’explication du comportement parlementaire, et à l’étude des effets croisés des cultures politiques et des facteurs institutionnels sur les élus.

3/ Comme l’ont fait remarquer Richard Balme et Olivier Nay, les recherches présentées par les exposants, ainsi que celles menées par les autres participants à l’atelier, ont pour point commun d’être centrées sur le fonctionnement des assemblées et leur personnel. Elles envisagent peu d’autres questions essentielles telles que : la participation des Parlements à l’action publique, à l’élaboration des politiques publiques et des normes ; le fonctionnement du régime parlementaire en France ; le rôle du personnel administratif dans les activités du parlement français. Le caractère quelque peu " monomaniaque " des études proposées est un indice supplémentaire du retard accumulé par la science politique française dans ce champ d’étude, et de la nécessité de penser le développement des études parlementaires sur le long terme.

Ces trois points ne permettent pas d’identifier une éventuelle " école française " de l’étude des parlements. Il faut d’ailleurs se garder d’ériger la science politique française comme détentrice des solutions aux travers et carences des travaux effectués ailleurs, d’autant que la plupart sont d’une grande richesse - à laquelle l’étiquette attrape-tout de " rational choice " ne rend pas justice - et qu’une nette évolution se dessine partout en Europe quant à la manière d’aborder l’étude des Parlements et du comportement parlementaire.

En conclusion, on insistera sur le consensus qui s’est dégagé quant à la nécessité de poursuivre les recherches dans un domaine aujourd’hui délaissé par la science politique française, et de mettre fin à l’isolement des chercheurs - pour la plupart très jeunes - qui se consacrent aujourd’hui à l’étude des parlements dans notre pays. Les doctorants semblent en particulier souffrir du manque d’intérêt de leurs collègues pour leurs travaux, et sont très demandeurs de contacts avec des chercheurs partageant leurs préoccupations.

L’intuition des organisateurs de cet atelier a ainsi été confirmée : il est aujourd’hui indispensable de trouver une forme de substitut au défunt GETUPAR afin de soutenir et faciliter les travaux des chercheurs - jeunes et moins jeunes -, de permettre l’échange d’informations bibliographiques, de ressources et de données, d’envisager des recherches collectives de plus grande ampleur et, enfin, de donner une meilleure visibilité - nationale et internationale - à l’étude des parlements en France.

LISTE DE PRESENCE - ATELIER N° 1

Richard BALME, Professeur, IEP Paris

Willy BEAUVALLET, Doctorant, IEP Strasbourg - GSPE

Isabelle BOURBAO-GUIZIOU, Doctorante, IEP Bordeaux - CERVL

Stéphane CARRARA, Doctorant, Paris 1 - CRPS / ULB - IEE

Christophe CLERGEAU, Doctorant, Ecole nationale d’Agronomie de Rennes / IEP Paris

Olivier COSTA, Chercheur CNRS, CERVL - IEP Bordeaux

Jean-Pascal DALLOZ, Chercheur CNRS, CERVL - IEP Bordeaux

Saïd DARVICHE, Maître de conférences, Université de Montpellier - CEPEL

William GENIEYS, Chercheur CNRS, CEPEL (Montpellier)

Bastien IRONDELLE, Doctorant, IEP Paris - CERI

Eric KERROUCHE, Chercheur CNRS, CERVL - IEP Bordeaux

Virginie LE TORREC, Doctorante, Paris IX Dauphine - CREDEP

Olivier NAY, Professeur, Université de La Rochelle

Olivier ROZENBERG, Doctorant, IEP Paris - CEVIPOF

Stéphanie TORRANI-CHOISIT, Faculté de droit de Nice