Atelier 13 : La science politique à l’épreuve des risques

Responsable : Monika Steffen (Cerat-Iep de Grenoble)

 

Même à 8h45 le samedi matin, l’atelier a réuni une quinzaine de participants, autour de trois interventions. L’introduction de Monika Steffen visait à montrer l’intérêt pour la recherche du nouveau champ des ‘risques’, à définir les caractéristiques du nouvel objet de recherche et à préciser en quoi celui-ci interpelle la science politique. Les trois exposés ont traité la question de savoir dans quelle mesure les outils théoriques et cadres d’analyse de la discipline pouvaient servir et s’avéraient pertinents pour appréhender les risques ainsi que les politiques les concernant.

La première intervention, Cécile Blatrix et Yannick Barthe, portait sur les processus de mobilisation où les apports théoriques venant d’autres corpus disciplinaires sont particulièrement nombreux et fructueux. Trois points ont été relevés. Premièrement, la barrière de la mobilisation s’abaisse lorsqu’il s’agit de risques, en comparaison avec d’autres domaines ; le seuil est d’autant plus bas que le degré de " concernement " personnel ou collectif est élevé. Deuxièmement, l’implication des non-spécialistes et leur apprentissage à la fois technique, intellectuel et politique, sont particulièrement importants dans le domaine des risques. Troisièmement, il est important de travailler, pour chaque risque, sur son histoire technique car celle-ci conditionne la trajectoire de la mobilisation et vice-versa.

La deuxième intervention, Claude Gilbert et Yannick Rumpala, était consacrée à la mise sur l’agenda. Ici, l’héritage de la science politique est important. Son répertoire conceptuel s’est également enrichi à travers les travaux menés sur les risques, notamment via l’analyse des " transformations des alertes en affaires " où les apports de la sociologie des médias, de la sociologie critique et de la discipline juridique se sont avérés pertinents. L’exposé a recensé les caractéristiques de la mise sur agenda des risques, en particulier la pluralité des agendas, le rôle actif des médias, l’omniprésence des controverses et l’insertion des connaissances scientifiques dans les processus politiques. L’agenda ne reflète pas l’urgence des problèmes et la demande sociale s’avère finalement moins déterminante pour l’inscription que ne l’avait suggéré une première génération de travaux. En revanche, le rôle déterminant des ONG et des associations a été confirmé (associations de victimes, de riverains, de malades ou de défenseurs des consommateurs et de l’environnement). Selon le bilan établi, ni les spécificités des risques, qui sont toujours des cas singuliers, ni l’évocation de la responsabilité juridique n’ont substantiellement modifié l’économie générale des cadres d’analyses des politiques publiques, mais l’ont enrichie. La question reste ouverte quant à la forte présence des chercheurs dans l’arène et leur influence sur la construction des outils d’analyses qu’ils proposent.

La troisième intervention, Stéphane Cartier et Frédéric Caille, en collaboration avec Rachel Vanneuville, portait sur la concertation et le débat public. Ici les risques contribuent à activer la démocratie, face à des logiques bureaucratiques, par les concertations et débats dont ils occasionnent la multiplication et par la coordination opérationnelle et la définition concertée des objectifs qu’impose leur gestion concrète. Les risques interrogent ainsi le champ de la philosophie politique, notamment lorsque les objectifs se déclinent en termes de développement durable, d’équilibre international et de protection des générations futures.

Une première approche des exposants a consisté à proposer une classification pour ordonner le foisonnement des concertations et débats publics, aux formes et contenus extrêmement variables. Deux critères ont été proposés : d’une part la formalisation juridique (degré d’institutionnalisation et de validité juridique, par exemple du " référendum communal " de Chamonix sur la réouverture du Tunnel du Mont Blanc) ; d’autre part le degré d’ouverture et de confidentialité, sachant que les données sur les risques se situent le plus souvent dans une zone grise de secrets connus, dont la révélation potentielle constitue une ressource pour les acteurs impliqués. Le deuxième axe de l’analyse a porté sur les solidarités et dépendances croisées face aux risques : interdépendances locales, intergénérationnelles, trans-sectorielles et transnationales. Les facteurs temps et espace sont ici essentiels, comme l’illustre l’exemple de la transformation des rivières qui entraîne celle du travail des riverains, puis de leurs relations sociales et politiques. Si la solidarité, exprimée ici par la définition concertée d’objectifs légitimes, régit l’interdépendance entre acteurs " égaux " (entre riverains ou entre administrations locales), dans le cadre national la matrice est fournie par l’État-providence, qui fournit une réponse politique progressivement dominante face aux risques. En revanche, sur le plan international, prévalent des négociations entre " non égaux ", avec une concertation marquée, et souvent condamnée, par la multiplication des autorités légitimes (UE, OMS, accords de Kyoto…). Les perturbations politiques provoquées par les risques appellent une redéfinition des contraintes collectives acceptables.

Les exposés et les débats ont montré comment l’investissement systématique du champ des risques permettait de retrouver les problématiques classiques de la science politique, en particulier la question de la légitimité du politique.

Le discutant de l’atelier, Jacques Lagroye, a insisté dans ses conclusions sur ce retour, par les risques, à la philosophie et la morale politique. Les ‘risques’ se définissent par " l’arrachement d’un problème à l’ordre des choses " : en devenant un ‘risque ’, le problème sort de la catégorie du normal ou de l’inéluctable pour entrer dans celle de l’anormal, de l’inacceptable, du repérable et évitable, voire de l’indemnisable. Ce progrès est comparable à celui réalisé lors de l’interdiction du travail des enfants. Concernant les concertations, il se pose notamment la question de savoir quelle vérité, quelle morale sort des concertations ? La lutte contre des ‘risques’ ne devient réellement productive qu'à partir du moment où l’investissement (la mobilisation, les conflits) se consolide pour donner lieu à la construction d’institutions, porteuse d’une nouvelle vérité et morale politique.

Monika Steffen, Directeur de recherche, CNRS-CERAT-IEP de Grenoble

Monika.Steffen@upmf-grenoble.fr