Atelier 15 : Les reconfigurations des systèmes partisans européens : Vers une " cartellisation " ?

Responsables : Yohann Aucante (IEP de Paris/CERI/Princeton University) Alexandre Dézé (IEP de Paris/Université de Tours) Nicolas Sauger (IEP de Paris/CEVIPOF)

En 1995, dans un article désormais classique, Richard S. Katz et Peter Mair proposaient un nouveau modèle théorique pour appréhender le changement organisationnel des partis et des systèmes de partis, le parti-cartel. S’inscrivant dans une longue tradition d’essai de typologie des formes partisanes, cet article présentait également l’intérêt de lier ces transformations organisationnelles à un changement plus global du système de la démocratie représentative, qui intégrerait désormais de plus en plus les partis dans l’Etat, aux dépens directs de leur enracinement social.

Cette théorie, au caractère fortement polémique, a fait l’objet d'un grand nombre de commentaires et de critiques dans le monde anglo-saxon. En revanche, à l’exception de quelques rares spécialistes (Pierre Bréchon, Daniel-Louis Seiler), la science politique française est restée globalement indifférente à ces débats, confirmant par là son désintérêt traditionnel pour la chose partisane, en dehors de sa dimension sociologique et électorale.

Dans ce contexte, cet atelier avait un double objectif : tout d’abord, contribuer à la diffusion et à la discussion de ce modèle que l’on peut sans doute considérer, à la suite de Pierre Bréchon, comme l’une des seules vraies nouveautés conceptuelles apparue dans le champ de la recherche sur les partis au cours de ces dernières années ; ensuite, interroger la pertinence de ce modèle, comprendre son utilité et ses possibles utilisations dans l’analyse de l’évolution du phénomène partisan.

L’atelier s’est déroulé en trois temps. Les organisateurs ont tout d’abord présenté les grandes lignes de la thèse de la cartellisation ainsi que les principales critiques qui lui ont été adressées jusqu’à présent.

Par la suite, trois contributions empiriques ont été exposées par leurs auteurs. A partir d’une recherche portant notamment sur la droite dans la région Languedoc-Roussillon et plus particulièrement sur la figure de Jacques Blanc, Philippe Secondy a tout d’abord montré comment la dynamique locale d’un système partisan régional pouvait s’apparenter à une logique de cartellisation. A la lumière des hypothèses de R. Katz et P. Mair, Dominique Andolfatto a ensuite proposé une relecture de l’histoire récente du Parti communiste français. Cette étude a permis de montrer comment ce parti a pu passer d’une position " hors " ou " anti " système à un modèle d’organisation répondant à la plupart des attendus de la thèse de la cartellisation. Enfin, Emmanuelle Vignaux s’est intéressée au modèle du parti-cartel comme théorie scientifique et a proposé de le tester sur les systèmes scandinaves, considérés par R. Katz et P. Mair comme les plus susceptibles de connaître un processus de cartellisation. Contredisant cependant en grande partie cette thèse, E. Vignaux parvient à démontrer tous les décalages, voire parfois les contradictions, entre les hypothèses du modèle et les données empiriques.

La dernière partie de l’atelier a été consacrée à la discussion des contributions ainsi qu’à un débat plus général sur le thème de la cartellisation. Les interventions de P. Secondy, de D. Andolfatto et de E. Vignaux ont été saluées pour leur intérêt. En revanche, un certain scepticisme s’est manifesté à l’égard du modèle de R. Katz et P. Mair. L’ambition de ce modèle, qui est de proposer une interprétation générale de l’ensemble des évolutions des systèmes partisans européens, a paru trop importante pour être réellement convaincante d’un point de vue empirique, bien que beaucoup des indicateurs utilisés (notamment celui du financement public des partis) trouvent un écho certain dans le cas français, par exemple. Pour autant, le modèle a également été jugé intéressant, malgré (ou peut être en raison même de) ses faiblesses, parce qu’il suscite un nouvel engouement autour d’un sujet quelque peu délaissé, mais surtout parce qu’il se révèle un outil utile pour la comparaison internationale et pour l’interprétation de phénomènes à première vue disparates. De ce point de vue, la discussion s’est également focalisée sur les manières d’utiliser un tel modèle. Comme l’ont montré les différentes contributions, une opposition s’est cristallisée entre tenants d’une interprétation idéal-typique, où le parti-cartel n’est finalement qu’un artefact utilisé comme pierre de touche, et tenants d’une interprétation plus " dure ", où la question est alors celle de la validité empirique des hypothèses proposées.

Par le nombre de participants, par la qualité des contributions et des débats (que l’ensemble des intervenants et des participants soient ici remerciés), cet atelier a atteint un premier but : contribuer à entretenir les échanges entre chercheurs sur les partis politiques, initiés notamment lors des journées d’études qui se sont récemment tenues à Nancy (Université de Nancy II) et à Paris (IEP) — échanges d’ailleurs poursuivis par des discussions " inter-ateliers ", puisque trois d’entre eux étaient consacrés, lors du congrès, aux partis. Cet atelier, modestement, entend également avoir contribué à la discussion du modèle de la cartellisation, en montrant notamment tout l’intérêt de croiser les différentes échelles d’observation (régionale ou nationale, centrée sur un parti, un ensemble de partis ou à proprement parler, un système partisan) pour mieux comprendre la nature des dynamiques à l’œuvre dans les transformations contemporaines des systèmes partisans européens. De ce fait, cet atelier demande des prolongements, la multiplication des terrains d’observation permettant seule d’approfondir les comparaisons. Dans cette perspective, il est envisagé de diffuser un appel à contributions plus large en vue de l’élaboration d’un ouvrage collectif sur le sujet.

 

* Liste des contributions (disponibles auprès des organisateurs de cet atelier ou directement auprès des auteurs) :

* Liste des participants :