En 1995, dans un article désormais classique, Richard S. Katz et Peter Mair proposaient un nouveau modèle théorique pour appréhender le changement organisationnel des partis et des systèmes de partis, le parti-cartel. Sinscrivant dans une longue tradition dessai de typologie des formes partisanes, cet article présentait également lintérêt de lier ces transformations organisationnelles à un changement plus global du système de la démocratie représentative, qui intégrerait désormais de plus en plus les partis dans lEtat, aux dépens directs de leur enracinement social.
Cette théorie, au caractère fortement polémique, a fait lobjet d'un grand nombre de commentaires et de critiques dans le monde anglo-saxon. En revanche, à lexception de quelques rares spécialistes (Pierre Bréchon, Daniel-Louis Seiler), la science politique française est restée globalement indifférente à ces débats, confirmant par là son désintérêt traditionnel pour la chose partisane, en dehors de sa dimension sociologique et électorale.
Dans ce contexte, cet atelier avait un double objectif : tout dabord, contribuer à la diffusion et à la discussion de ce modèle que lon peut sans doute considérer, à la suite de Pierre Bréchon, comme lune des seules vraies nouveautés conceptuelles apparue dans le champ de la recherche sur les partis au cours de ces dernières années ; ensuite, interroger la pertinence de ce modèle, comprendre son utilité et ses possibles utilisations dans lanalyse de lévolution du phénomène partisan.
Latelier sest déroulé en trois temps. Les organisateurs ont tout dabord présenté les grandes lignes de la thèse de la cartellisation ainsi que les principales critiques qui lui ont été adressées jusquà présent.
Par la suite, trois contributions empiriques ont été exposées par leurs auteurs. A partir dune recherche portant notamment sur la droite dans la région Languedoc-Roussillon et plus particulièrement sur la figure de Jacques Blanc, Philippe Secondy a tout dabord montré comment la dynamique locale dun système partisan régional pouvait sapparenter à une logique de cartellisation. A la lumière des hypothèses de R. Katz et P. Mair, Dominique Andolfatto a ensuite proposé une relecture de lhistoire récente du Parti communiste français. Cette étude a permis de montrer comment ce parti a pu passer dune position " hors " ou " anti " système à un modèle dorganisation répondant à la plupart des attendus de la thèse de la cartellisation. Enfin, Emmanuelle Vignaux sest intéressée au modèle du parti-cartel comme théorie scientifique et a proposé de le tester sur les systèmes scandinaves, considérés par R. Katz et P. Mair comme les plus susceptibles de connaître un processus de cartellisation. Contredisant cependant en grande partie cette thèse, E. Vignaux parvient à démontrer tous les décalages, voire parfois les contradictions, entre les hypothèses du modèle et les données empiriques.
La dernière partie de latelier a été consacrée à la discussion des contributions ainsi quà un débat plus général sur le thème de la cartellisation. Les interventions de P. Secondy, de D. Andolfatto et de E. Vignaux ont été saluées pour leur intérêt. En revanche, un certain scepticisme sest manifesté à légard du modèle de R. Katz et P. Mair. Lambition de ce modèle, qui est de proposer une interprétation générale de lensemble des évolutions des systèmes partisans européens, a paru trop importante pour être réellement convaincante dun point de vue empirique, bien que beaucoup des indicateurs utilisés (notamment celui du financement public des partis) trouvent un écho certain dans le cas français, par exemple. Pour autant, le modèle a également été jugé intéressant, malgré (ou peut être en raison même de) ses faiblesses, parce quil suscite un nouvel engouement autour dun sujet quelque peu délaissé, mais surtout parce quil se révèle un outil utile pour la comparaison internationale et pour linterprétation de phénomènes à première vue disparates. De ce point de vue, la discussion sest également focalisée sur les manières dutiliser un tel modèle. Comme lont montré les différentes contributions, une opposition sest cristallisée entre tenants dune interprétation idéal-typique, où le parti-cartel nest finalement quun artefact utilisé comme pierre de touche, et tenants dune interprétation plus " dure ", où la question est alors celle de la validité empirique des hypothèses proposées.
Par le nombre de participants, par la qualité des contributions et des débats (que lensemble des intervenants et des participants soient ici remerciés), cet atelier a atteint un premier but : contribuer à entretenir les échanges entre chercheurs sur les partis politiques, initiés notamment lors des journées détudes qui se sont récemment tenues à Nancy (Université de Nancy II) et à Paris (IEP) échanges dailleurs poursuivis par des discussions " inter-ateliers ", puisque trois dentre eux étaient consacrés, lors du congrès, aux partis. Cet atelier, modestement, entend également avoir contribué à la discussion du modèle de la cartellisation, en montrant notamment tout lintérêt de croiser les différentes échelles dobservation (régionale ou nationale, centrée sur un parti, un ensemble de partis ou à proprement parler, un système partisan) pour mieux comprendre la nature des dynamiques à luvre dans les transformations contemporaines des systèmes partisans européens. De ce fait, cet atelier demande des prolongements, la multiplication des terrains dobservation permettant seule dapprofondir les comparaisons. Dans cette perspective, il est envisagé de diffuser un appel à contributions plus large en vue de lélaboration dun ouvrage collectif sur le sujet.
* Liste des contributions (disponibles auprès des organisateurs de cet atelier ou directement auprès des auteurs) :
* Liste des participants :