Atelier : PUBLIER EN ANGLAIS
Responsables : Jean Leca et Yves Schemeil
Nombre didées ont été émises dans cet atelier dun genre particulier, auquel ont participé des membres de lassociation qui ont fait lexpérience de publier en anglais et en ont tiré des leçons pour eux-mêmes et pour leurs collègues. La disposition des lieux et lorganisation des repas nont pas permis de réunir tous ceux et celles qui lauraient souhaité, mais la discussion a été riche et les différents points de vue possible ont été exprimés. Les organisateurs tiennent tout particulièrement à remercier Jean Laponce, ancien président de lIPSA et directeur de sa revue jusquà lan dernier, qui avait fait le déplacement depuis Vancouver.
Introduction dYves Schemeil :
Depuis plusieurs années déjà, lAFSP (et aussi lAESCP) se préoccupent de cette question. Le Conseil de lAFSP a dabord organisé une première séance de travail avec Patrick le Galès, Bruno Cautrès et Patrick Weil. Il ma ensuite été demandé de constituer un comité (le COPINT) pour analyser la situation et faire des suggestions. Enfin, un projet de journée commune AFSP-AESCP, avec Jean Laponce, a été formé par Pierre Muller et Olivier Ihl, mais les circonstances nont pas permis de la tenir.
Je voudrais rapidement résumer les conclusions de ces précédents épisodes.
Tout dabord, " publier en anglais " est un impératif. Il ne peut être entendu comme suivi dun point dinterrogation. Langlais est devenu comme le latin médiéval la langue véhiculaire des savants de tous pays. Je sais bien que Pierre Favre prédit avec beaucoup de conviction linvention de logiciels de traduction automatique, mais leur généralisation ne résoudra que les problèmes décriture ; à loral, cela ne changera que les exposés faits en congrès (pour lesquels la traduction simultanée, voire consécutive, existe déjà). Les séances plus interactives resteront anglophones. Pourtant, on ne peut pas laisser les collègues venant de pays anglophones accaparer la production scientifique générale (textes " séminaux ") et même la couverture de notre propre pays. On ne peut pas non plus seffacer derrière les collègues venant de pays où la communauté nationale est moins forte, et qui doivent par conséquent se faire reconnaître et recruter dans des universités anglophones.
En revanche, une politique de publication en anglais doit être assortie dune présence accrue dans les éditions en dautres langues, notamment les langues des pays sur lesquels chacun travaille (arabe, russe, chinois, japonais, allemand, espagnol, portugais, italien, turc, etc.). Il est compréhensible quun spécialiste daire dite culturelle connaisse mieux la langue de sa zone que la langue internationale. Ce nest pas le seul motif de publier en dautres langues : nos relations avec les associations hispanophones, italophones, germanophones, etc. nous conduisent à multiplier les traductions dans leurs revues et actes de colloque. Lidée dassociations " régionales " ou " linguistiques " (évoquée à lAISP) est une bonne idée.
Enfin, publier en anglais nécessite des moyens, inégalement répartis entre les générations, les universités, les spécialités. Il faudrait avoir une politique équitable et efficace de soutien à ces entreprises.
Exposé de Jean Laponce :
A partir de ma propre expérience, jobserve que quatre stratégies sont praticables.
La première stratégie est de soumettre un texte écrit en français a une revue de langue anglaise, en promettant une traduction si le texte est jugé valable par le comité éditorial. La direction de la revue ne pourrait, bien sûr, que donner son accord de principe sous réserve de voir la traduction.
La deuxième stratégie consiste à soumettre des articles écrits en français à des revues bilingues telles que l'IPSR et Information sur les sciences sociales, ce qui est tout à fait possible. Cette stratégie est en déclin. Lorsque jai pris mes fonctions de directeur de lIPSR, 10% des articles soumis à son comité de rédaction étaient rédigés en français. Aujourdhui, on nen compte plus que 5% (je parle des articles soumis et publiés en français par des auteurs qui pensaient vraisemblablement qu'ils seraient lus par des " anglophones francophones " - il y en a bon nombre parmi les lecteurs de l'IPSR). Autrefois, la plupart de ces propositions venaient dauteurs français, ce qui nest plus le cas (il y a désormais davantage de Français qui écrivent directement leurs textes en anglais). Un autre indicateur commode est la langue dans laquelle les résumés darticles sont rédigés (voir les notices de la Documentation Internationale en Sciences sociales), on observe que 73% sont en anglais et 8% seulement en français ; on compte aussi 8% dabstracts en espagnol, 5% en allemand, 2% en italien.
La troisième stratégie consiste à rédiger un projet darticle en anglais moyen. Certes, des textes trop mal écrits ne peuvent être envoyés tels quels aux lecteurs critiques, ce qui dissuade certains auteurs potentiels français de le faire. Il y donc un seuil à franchir pour quun texte soit recevable. Mais ce problème se pose aussi aux anglophones ! Bien rédiger nest dailleurs pas une question de style : il suffit que le texte soit compréhensible et sans ambiguïté, car la forme sera de toute façon corrigée par les éditeurs à leurs frais, pour une somme allant de 100 à 500 euros par article. Il faut savoir quil est encore plus cher de traduire un texte français en anglais (10 centimes le mot, pour des contributions allant de 8000 à 12000 mots).
Quatrième stratégie, celle que je privilégierais. Il y a en effet dautres solutions que la traduction au coup par coup. La revue de lInstitut Pasteur publie désormais tous ses articles en anglais, elle sest organisée à cette fin. La revue spécialisée dans les questions japonaises est publiée à Cambridge (Japanese Politics). Il pourrait être judicieux pour des Français de prendre le contrôle dun périodique édité en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis : cela permettrait de mieux trancher les problèmes linguistiques et analytiques, à un moindre coût, mais aussi déviter que des article jugés publiables en France soient déclarés non publiables à létranger (comme cela arrive parfois).
Commentaires de Jean Leca :
Nous sommes face à un dilemme. Dune part, la communauté française de science politique a du mal à exister en France même face aux autres disciplines établies (comme lhistoire, la sociologie, léconomie): il lui faut donc écrire en français.
Dautre part, elle a encore plus de mal à se faire connaître à létranger, compte tenu de la nature spécifique de certaines de ses préoccupations et objets de recherche (très intéressants, mais souvent en marge de la science politique internationale comme les travaux de socio histoire ou dethnologie, ou encore les travaux portant sur la cuisine, la musique, etc.). Il lui faut aussi publier directement en anglais.
Discussion à laquelle prennent part C. Coulon, V. Dimier, V. Guiraudon, B. Palier, E. Page, V. Pujas, S. Saurugger, M. Steffen :
Les participants à latelier soulèvent plusieurs questions.
1) Quelle est la doctrine dominante dans la communauté des politistes au CNU ou au CNRS ? Existe-t-il en France des incitations à publier en anglais ? Est-ce un critère de qualité reconnu par les évaluateurs et recruteurs potentiels ? Ne sont-ils pas au contraire effrayés ou dissuadés dembaucher des expatriés ? Publie-t-on dans les revues françaises des comptes-rendus douvrages rédigés en anglais par des auteurs français ? Quelle est la visibilité de textes publiés dans des ouvrages collectifs à couverture cartonnée donc très chers et peu diffusés ?
2) Rédiger en anglais nest pas simplement un problème de choix linguistique. Cest aussi un problème de conceptions scientifiques. Il faut connaître et accepter les formats intellectuels anglo-américains. Se familiariser avec les critères de rédaction légitimes en science politique (voire dans chaque sous-discipline) nécessite de passer du temps dans un pays de langue anglaise. Une fois que lon y est parvenu, on peut avoir des difficultés à publier en français, compte tenu des habitudes de rédaction acquises à létranger ! Il faut également que les traducteurs éventuels connaissent les différences de format, et aussi la matière dans laquelle sinscrit larticle proposé : comment choisir ces experts forcément rares ?
3) Il y a évidemment un problème de ressources : non seulement les capacités linguistiques, mais aussi le financement nécessaire, par exemple lorsque lon soumet un ouvrage collectif à un éditeur et quil faut traduire en anglais certaines contributions. Comment payer les traducteurs ? Comment aider léditeur intellectuel à réviser des textes et les résumés de ces textes mal rédigés en anglais ? Faut-il sadresser à des officines privées qui partent dune première mouture malhabile pour en faire un document acceptable, et comment les rétribuer ? Comment remédier aux obstacles linguistiques (par des cours de langue y compris obligatoire dans les troisièmes cycles, et des ateliers décriture pour les enseignants et les chercheurs) ?
4) La réciprocité existe-t-elle ? Par exemple, rend-on assez compte douvrages écrits en anglais ? Ne pourrait-on établir la liste des auteurs français qui pourraient le faire aisément et devenir des reviewers habituels de grandes revues anglo-américaines ? Pourquoi nenregistre-t-on pas de candidatures françaises lors des appels à constituer des boards of editors (comme pour la Revue de lECPR) ? Pourquoi la France ne constituerait-t-elle pas des réseaux dauteurs anglophones comme la Belgique ou les Pays-Bas ? Combien de Français organisent-ils des panels en anglais dans des congrès internationaux ?
En conclusion, quelques mesures suggérées :
*prendre collectivement le contrôle dun périodique édité en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis ;
*sinscrire sur les listes de lecteurs auteurs de comptes rendus, voire infiltrer les comités éditoriaux des revues anglophones ou même en prendre la direction ;
*émettre un message fort de lAssociation à lintention des recruteurs et évaluateurs (commissions de spécialistes, jurys dagrégation, CNU, CNRS) en insistant sur limportance des publications en anglais.
*envoyer à des revues internationales des articles français déjà publiés, remaniés pour traduction en vue dune nouvelle publication en anglais cette fois.
Yves Schemeil, 27 février 2003