Responsable : Josepha Laroche, Université Paris I Panthéon-Sorbonne, Département de Science Politique
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Conclusion générale des travaux de la Table Ronde par Josepha Laroche.
Pour aborder cette conclusion, nous tenterons de synthétiser les lignes de force qui se sont dégagées des travaux à partir des deux points déjà évoqués dans notre introduction et qui ont constitués laxe de réflexion de ces deux journées, à savoir la question de lautorité politique et celle de la gouvernance mondiale.
I/ Repenser lautorité politique
Vers une réévaluation du rôle de lÉtat ?
La mondialisation accélère-t-elle un phénomène dérosion étatique face aux nouveaux acteurs et à la logique du marché ou bien est-elle directement à lorigine dune reconversion de lacteur étatique ? Sur ce point les contributeurs ne produisent pas tous la même analyse. Deux types de conclusion assez radicalement opposée se dégagent de ces travaux.
Réhabilitation du rôle de lÉtat, retour de lÉtat
Tout en soulignant que dans le cadre du processus de mondialisation, lÉtat a perdu de sa souveraineté, B. Montaville sest interrogé sur un éventuel retour de lÉtat, un " État stratège ", " arbitre ", instance dintermédiation entre le global et le local. Un État en quelque sorte redimensionné, désormais réduit à " un périmètre daction régalien ".
De même, en soulignant que le " fondamentalisme libéral ", lhégémonie du marché sont révolus, Jean Coussy montre que, contre toute attente, les politiques publiques ne sopposaient pas à la poursuite de la mondialisation libérale.
Au contraire, lexistence de biens publics mondiaux, la nécessité de mettre en place une gouvernance mondiale (quelles que soient ses modalités de mise en uvre), induisent bien plutôt un retour des politiques publiques. Retour limité certes, mais retour.
Ce retour, qui est dû en grande partie aux défaillances mêmes du marché, traduit en fait un " besoin dÉtat " qui nest pas seulement un besoin de keynésianisme, mais plus profondément un besoin de reconstruction sociale au plan mondial.
En étudiant le processus dinternationalisation des ONG humanitaires, et plus particulièrement la mobilisation de leurs ressources financières dans linternational, J. Siméant conclut que rien ne permet actuellement de " prédire le dépassement des États " dans la mesure où le champ de lhumanitaire aujourdhui largement mondialisé reste avant tout encore très structuré par les États.
En effet, ces derniers demeurent les principaux bailleurs de fonds qui, à ce titre, sont en mesure de discriminer entre les ONG et de leur imposer en grande partie leurs choix. Enfin, pour J. Siméant, il ny a pas dans le cadre de la mondialisation " dépassement des États " parce que le champ humanitaire se caractérise toujours par un fort " compartimentage étatique " qui permet aux acteurs associatifs et aux opérateurs économiques de jouer des rivalités étatiques pour optimiser leurs objectifs.
Quant à P. Boniface, en définissant le football comme un sport mondialisé par excellence, comme " le stade suprême de la mondialisation ", comme le phénomène culturel probablement le plus mondialisé, il nous dit que le football " vecteur et reflet de la mondialisation " nefface pas le rôle de lÉtat-nation.
En effet, selon P. Boniface, dans le temps même où la mondialisation bouscule les repères identitaires, le football crée, voire recréé du lien social.
En tant que " facteur de résistance identitaire ", il tient lieu de " marquage ", de signe dappartenance, dexpression du sentiment national. Comme " symbole dunité nationale " " porte-drapeau des valeurs nationales ", il permet de réactiver les liens dallégeance citoyenne envers linstance étatique.
Autre mise en valeur du rôle des États que celle dA. Cartapanis, qui en traitant de la gouvernance des crises financières internationales, conclut quelle " est du ressort des États ", quelle relève par excellence de leur compétence.
A propos du phénomène emblématique de la mondialisation, que constitue le crime organisé transnational, G. Favarel-Guarrigues souligne combien la lutte anti-blanchiment reste pour lheure, fondamentalement interétatique, mais, plus encore, il avance que " ce sont les États, leurs rapports de force " qui définissent et construisent les priorités en matière de lutte anti-blanchiment.
En analysant la restructuration stratégique des firmes multinationales, W. Andreff semble même aller plus loin encore, puisquil pose comme hypothèse que le processus de mondialisation suscite lémergence de ce quil appelle " lÉtat mondialisateur ". A savoir que, contre toute attente, les États faciliteraient la mondialisation.
En dautres termes, un État qui accompagnerait, développerait et contribuerait même à accélérer la mondialisation en intervenant unilatéralement pour promouvoir lIDE et faciliter lentrée des firmes multinationales sur son territoire national.
Selon lui, la mondialisation procéderait ainsi dune " surenchère " entre États. Autrement dit, pour W. Andreff, si lÉtat nest certes pas " responsable " de la mondialisation, il nen est pas pour autant exclu, loin sen faut.
A contrario, pour C. A. Michalet, " au fractionnement de lespace mondial par des frontières nationales est en train de se substituer un maillage complexe de réseaux déterritorialisés ". Dans la mesure où " la rationalité économique heurte de plein fouet la conception de lÉtat-nation ", les États-nations ne peuvent que sorienter inéluctablement vers un " dépérissement progressif sous les coups de boutoir des nouvelles configurations multinationales " induites par la mondialisation.
A partir dun objet de recherche bien différent, C. Wihtol de Wenden en arrive au même constat car la mondialisation des migrations lui apparaît dune ampleur telle que les politiques étatiques de maîtrise des flux et dintégration engagées par les pays daccueil nont que peu de prise sur ce bouleversement migratoire.
La reconnaissance dun droit mondialisé à la mobilité, les micro-stratégies mêmes des migrants, " acteurs anonymes de la mondialisation ", aussi bien que les réseaux transnationaux de migrations constituent donc autant de défis auxquels les États doivent faire face.
Or, pour C. Wihtol de Wenden, léchelon étatique a irrémédiablement perdu de son importance, de sa pertinence. La souveraineté étatique est désormais mise à mal par quantité dacteurs non-étatiques, des stratégies infra-étatiques.
De même, pour S. Boisseau du Rocher " la mondialisation est un facteur de décomposition des structures classiques ". En étudiant les processus de régionalisation, elle observe que les États cèdent du terrain au profit des acteurs non-étatiques au point que lespace régional résulte de logiques contradictoires et fait figure de " configuration hybride, instable ", la mondialisation ayant en quelque sorte accentué " la désagrégation des liens sociaux ".
Enfin pour leur part, G. Devin et C. Gautier considèrent quen matière de création normative, on assiste aujourdhui à une " véritable dépossession des États " au profit des ONG et des OI.
Erosion étatique ou reconversion ?
LÉtat apparaît-il détenteur dune autorité politique disqualifiée, lÉtat se trouve-t-il affaibli par le processus de mondialisation ou au contraire réhabilité, doté dun surcroît de ressources ? Sur cette question cruciale, il y a donc divergences danalyse et débat ; même si, une majorité dintervenants semble conclure que nous assistons à une reconfiguration des fonctions de lÉtat.
En revanche, lensemble des contributeurs saccordent pour reconnaître et souligner que le processus de mondialisation a pour effet de brouiller le clivage public/privé, dencastrer, dimbriquer davantage le privé et le public (" bien souvent, on ne sait plus si on est dans le privé ou dans le public "). Au point quil faille évoquer la privatisation de lordre public, et la publicisation de certaines fonctions privées.
Tous les intervenants ont ainsi mis en lumière de nouveaux types de partenariat associant les autorités étatiques et les acteurs privés par des maillages privé/public de plus en plus étroits, des connivences, des collusions, P. Musso évoquant par exemple lÉtat et ses " entreprises-champions ".
II/ Débattre de la gouvernance mondiale
Nous naborderons pas ici la question des types de régulation que lon pourrait envisager et qui sont dores et déjà tentées pour la mettre en uvre, mais je mettrai plutôt en relief ce qui fait obstacle à toute tentative de gouvernance mondiale, à savoir le problème de léquité et donc des inégalités, cest-à-dire celui des disparités entre acteurs dans lordre de la puissance.
Même si, comme le montre le papier de P.N. Giraud, le rapport entre inégalités et mondialisation est beaucoup plus complexe que le proclament les mouvements antimondialisation et que les liens entre inégalités et croissance économique, par exemple, doivent faire lobjet de vérification empiriques.
Ce point mapparaît fondamental et il a été souligné par plusieurs contributeurs. A lexception de M. Rainelli qui, en examinant la contribution de lOMC à la régulation de la mondialisation, considère que lon ne peut pas analyser lOMC comme une forme particulière de défense des intérêts des acteurs les plus puissants, et singulièrement des Etats-Unis.
Ainsi, après avoir posé la question essentielle suivante : " quel type de nature la mondialisation engendre-t-elle ? " M. C. Smouts a bien montré que devant les crises écologiques, tous les acteurs, notamment les États, ne sont pas égaux (cf. " failed states ") devant " les maux publics mondiaux ", quils sont plus ou moins vulnérables.
Autrement dit, lorsque lon aborde la question de la mondialisation, il convient nous dit M. C. Smouts, de ne pas escamoter celle de léquité, de la responsabilité et de la justice.
F. Constantin arrive aux mêmes conclusions, car noublions nous dit-il, quen matière de biens publics mondiaux, seule lhégémonie des puissants est déterminante. Par exemple dans les négociations quil a étudiées (TGM), il ny a pas de véritable mondialisation des discussions, ce qui signifie quen la matière la production normative internationale reflète directement les rapports de force entre acteurs et que léchelon local a bien du mal a être véritablement pris en compte et partie prenante.
Bref, la dialectique mondialisation/localisation pour aussi incontournable quelle soit, demeure incertaine face à lhégémonie des puissants et à leur capacité dimposition normative.
En dautres termes, si la mondialisation saccompagne bien dune inflexion des valeurs et dune certaine juridicisation de valeurs dites universelles et de plus en plus juridiquement reconnues, comme la rappelé P. Baudouin avec la protection internationale des droits de lhomme et la lutte contre limpunité,
G. Devin et C. Gautier ont cependant montré que le nouveau droit international favorise " le droit des puissants " ce qui indique bien, ajoutent-ils " le caractère ambigu de lautonomisation du nouveau DIP : " on peut se demander si la réalité dune telle autonomie ne reste pas tributaire de la volonté des États, entre autres les plus puissants, à se soumettre aux règles du jeu ".
Cette question de linégalité, pose en creux le problème crucial de la domination ou si lon préfère de lhégémonie de certains acteurs, a été également mise en relief par P. Musso pour qui la mondialisation de la communication traduit avant tout lhégémonie nord-américaine, voire " un américanisme des régulations ".
De même, pour P. Vennesson, la mondialisation renforce les inégalités en " mettant en relation des acteurs hétérogènes pour des conflits asymétriques ".
P. Lascoumes, nous rappelle quen matière de stigmatisation et de normalisation des places off-shore, tous les acteurs ne font pas lobjet du même traitement, le degré dexamen concret varie dun État à lautre et que " lon assiste en fait à une stigmatisation réductrice qui laisse dans lombre les pratiques dun grand nombre dopérateurs économiques, parmi les plus puissants ".
Face aux nouveaux acteurs ? Quil sagisse dévaluer le rôle et la place occupées à présent par lÉtat dans la politique internationale ou quil faille traiter de léquité, de la responsabilité et de la justice, cette table ronde consacrée à la mondialisation a bien souligné :