La dialectique mondialisation/régionalisation :
acteurs et trajectoires

Sophie Boisseau du Rocher
Chercheur associé au CERI

 

La mondialisation constitue un processus polymorphe particulièrement décapant pour les politistes tant elle suscite "des enchaînements d’interactions" aux effets inédits et complexes à déchiffrer.

L’espace régional n’est évidemment pas épargné par les déstructurations/ recompositions induites par la libéralisation des échanges comme des flux, et les logiques d’efficacité qui les sous-tendent. Invention récente, la région est d’abord une construction stato-nationale avant d’être de plus en plus investie sous la double pression des rapprochements engagés (institutionnels ou pas) et des décloisonnements accélérés par la mondialisation, par les acteurs non-étatiques. Le jeu politique intègre dorénavant quatre dimensions : locale, nationale, régionale et mondiale, étant entendu que les interpénétrations et les possibilités d’alliances restent multiples, complexes, voire inattendues.

La mondialisation, en transformant la donne socio-politique, induit de nouveaux équilibres et de nouvelles règles du jeu entre les acteurs qui occupent l’espace interne et l’espace régional et revendiquent plusieurs appartenances. On s’intéressera donc aux régions comme constructions sociales, animées par des acteurs publics et privés producteurs de normes, et donc de sens politique, susceptibles à la fois d’infléchir les trajectoires nationales et de poser leur éventuelle identité commune dans le champ mondial.

Que la région apparaisse comme une opportunité économique pour mieux valoriser la mondialisation et comme une nouvelle "communauté imaginaire" pour agir dans l’espace pertinent est accepté en Europe, comme en Asie orientale ou en Amérique latine. Le bénéfice fonctionnel de la réorganisation économique s’impose ; en un sens, la mondialisation est donc accélérateur de régionalisation. Ce qui paraît moins évident en revanche, ce sont les conséquences politiques de ces ajustements.

À ce stade, deux pistes de réflexion sont proposées. La première insiste sur les effets fédérateurs de la mondialisation : même hybride et insuffisant, l’espace régional devient le plus représentatif des nouvelles interactions d’acteurs, espace porteur d’une conscience exprimée et véhiculée par des normes qui poseront la région dans l’ensemble mondial. À ce titre, la région devient un lieu de pouvoir de la mondialisation et un diffuseur de puissance. La deuxième piste s’interroge à l’inverse sur les effets centrifuges de cette mondialisation. La régionalisation n’est pas un mécanisme inévitable ("un passage obligé"), pas plus qu’elle fait systématiquement fonction de panacée ; ainsi, certains États —Singapour par exemple— choisissent même de se distancier de leur environnement régional pour mieux se rapprocher du monde. En outre, les acteurs non-étatiques peuvent aussi opter pour un contournement des États et de la région, jugés de moins en moins opérationnels afin de régler certains de leurs problèmes ; ils préfèrent se rallier directement aux nouvelles médiations d’une "société mondiale" en formation.

On l’aura compris, le binôme mondialisation/régionalisation produit simultanément plusieurs opportunités politiques, souvent utilitaires et inclusives. Celles-ci traduisent différentes visions du monde qui constituent autant d’organisations spatiales du politique. Espace revendiqué ou espace négligé, la région reflète donc aussi les nouveaux rapports de force induits par la mondialisation.

Retourner au programme…