Mondialisation de la finance et gouvernance des crises

André Cartapanis
Professeur de Sciences Economiques,
Directeur du CEFI (Centre d’Economie et de Finances Internationales)
UMR 6126, CNRS et Université Aix-Marseille, carta@univ-aix.fr

 

Depuis le déclenchement des crises systémiques, au Mexique en 1994, en Asie fin 1997, en Russie en août 1998, puis au Brésil, en Turquie, en Argentine…, la question de la régulation monétaire et financière internationale est à l’ordre du jour. Les membres du G 7 se sont mis d'accord sur les principes de nature à consolider l’architecture financière internationale. Mais s’agissant des formes institutionnelles, du cadre politique et des délégations de responsabilités permettant de mettre en application la nouvelle architecture, ils ont expressément affiché le principe du statu quo. Il paraît donc exclu, à ce jour, que la nouvelle architecture prenne la forme d’un nouveau système, déclinant un ensemble de règles du jeu qui s'imposeraient à l’ensemble des acteurs au plan international, à l'image de la création du FMI en 1944.

Ici, les théoriciens de l’économie politique internationale apportent un éclairage réellement pertinent sur la nature de cette régulation financière internationale puisqu’ils abordent les questions de gouvernance économique et, donc, les modes de coordination, discrétionnaires ou bien issus de l’application de règles plus impératives, permettant de réguler les différends, voire de résoudre les conflits à l’échelle internationale. Initialement limitées aux relations inter-étatiques, ces approches associent désormais les marchés et caractérisent les divers modes de gouvernance à partir de la notion de régime international. Selon la définition classique de Krasner, un régime international recouvre l’ensemble des règles, des normes et des procédures qui orientent et assurent la cohésion des décisions des acteurs internationaux. Dès lors, si l’on écarte les régulations discrétionnaires soumises à l’action hégémonique d’un pays leader ou d’une Institution internationale supranationale, les théoriciens des régimes internationaux, Kahler en particulier, retiennent une distinction entre deux types de règles, de nature à régir les relations qui se nouent entre les États, voire entre les États et les marchés : d'un côté, les règles substantives définissent précisément les normes de comportement qu'impose la participation au jeu international ; d'un autre côté, les règles procédurales spécifient des principes directeurs, des incitations, dont l'application n'est plus impérative mais incitative, ainsi que des bonnes pratiques qui s'apparentent à des standards de comportement jugés souhaitables dans l'intérêt de tous. Dès lors, le projet de nouvelle architecture financière internationale s’apparente à un compromis néo-libéral privilégiant les règles procédurales.

Mais en même temps, ces régulations financières internationales répondent à des externalités totalement absentes des schémas théoriques associés au principe de libéralisation des mouvements internationaux de capitaux : comportements moutonniers, placements à très court terme, contagions spéculatives, crises systémiques… Du coup, quand les institutions internationales, le FMI ou la BRI par exemple, visent la prévention ou la gestion des crises, elles doivent mettre en œuvre des dispositifs de conciliation ou d’intervention, et elles sont tenues d’ériger des règles, voire des réglementations, qui ne peuvent pas s’inspirer des schémas théoriques justifiant la libéralisation des flux financiers internationaux puisque ces référentiels théoriques excluent les situations auxquelles elles doivent remédier. Ce sont des compromis pragmatiques et discrétionnaires qui tiennent alors lieu de régulations internationales, et qui s’appuient sur des règles de droit, des codes de bonne pratique, et plus encore sur des arbitrages purement politiques. La comparaison de l’attitude du FMI envers la Turquie et l’Argentine, en 2001, constitue d’ailleurs un très bon exemple du poids des facteurs politiques dans les décisions de refinancement, ou non, des pays en crise.

C’est à l’explicitation d’une telle interprétation que sera consacrée cette communication, tout d’abord en examinant les principaux caractères du projet de consolidation de l’architecture financière internationale, ensuite en soulignant l’emprise des règles de droit et du politique dans ce mode de gouvernance financière à l’échelle mondiale. Enfin, nous nous poserons la question de savoir si cette politique incitative des petits pas et des avancées procédurales apparaît à la hauteur des défis du risque systémique et de la globalisation financière.

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