responsable
: Josepha Laroche
Professeur de science
politique, Université Paris 1
La mondialisation nest pas un état une espèce d'ensemble de données naturalisées et irréversibles mais un processus, c'est-à-dire un ensemble de phénomènes qui évoluent et se modifient dans le temps. À ce titre, il donne lieu à des configurations d'acteurs et de flux instables quil nest pas toujours aisé didentifier, ni danalyser.
Pour autant, constatons tout dabord que le thème de la mondialisation a récemment connu une irrésistible ascension, et que le terme même de mondialisation a été repris par tous les champs lexicaux. Un grand nombre de disciplines à commencer par la science économique y consacrent dimportants travaux. Curieusement pourtant, la science politique les internationalistes ny accorde pas, nous semble-t-il, toute lattention quil conviendrait [1]. Ce projet de table ronde a donc pour ambition de lancer une réflexion collective sur cette question fondamentale qui transforme aujourdhui profondément et durablement les relations internationales (aussi bien en tant que réalité empirique que savoir constitué).
Loin de tous jugements de valeur et de tout esprit polémique, nous voudrions entreprendre lanalyse de ce processus en menant une recherche résolument ancrée sur le territoire de la science politique, tout en y associant également les représentants dautres disciplines (science juridique, sociologie, et bien entendu science économique). Naturellement lobjet sy prête, mais ce parti pris correspond également à la conviction quun tel échange inter-disciplinaire ne pourra quenrichir et clarifier lapproche des politistes.
I Mondialisation et érosion du cadre étatique
La première contribution aura pour objet dappréhender ce processus comme un fait social et den retracer la socio-genèse (I, 1 Pierre-Albert Michalet). Puis nous mènerons au croisement de la science politique et de la science économique une évaluation portant sur la contribution de lÉconomie Politique internationale à une meilleure connaissance de la mondialisation (I, 2, Jean Coussy). En effet, cette nouvelle discipline sest précisément constituée ces dernières années à partir des difficultés quun grand nombre de chercheurs (politistes, économistes, historiens) rencontraient lorsquils tentaient de rendre compte de la complexité du processus de mondialisation.
Deux communications sont ensuite prévues (I, 3 et 4 Catherine Wihtol de Wenden, Pierre Musso) qui aborderont la mondialisation de deux types de flux communicationnels et migratoires revêtant une dimension globale : tout à la fois politique, économique, sociale et culturelle. Cest dailleurs la raison pour laquelle ils doivent être, nous semble-t-il, traités dès la première partie. Enfin, partant dun objet le football qui pourrait paraître à tort et a priori très éloigné dun colloque académique, nous montrerons combien cette pratique sociale transnationalisée constitue au contraire un bon indicateur (tant culturel que politico-économique) du processus de mondialisation et plus encore de lérosion du cadre étatique (I, 5 Pascal Boniface).
II Déterritorialisation de léconomie mondiale
Les indicateurs qui témoignent de la déterritorialisation de léconomie mondiale sont les suivants :
Une internationalisation des firmes qui se caractérise par un nouveau mode de gestion des entreprises, au point que ces dernières se démarquent désormais sensiblement du fonctionnement des entreprises multinationales traditionnelles. Un nouveau type de firme est apparu : "la firme globale", dont il conviendra de mettre en évidence les caractéristiques pour mieux appréhender leurs effets sur le politique (II, 1, Wladimir Andreff).
La globalisation financière et laccélération des mouvements internationaux de capitaux montrent que nous sommes en présence dune nouvelle donne financière mondiale qui semble en grande partie indépendante des États, même si, initialement et paradoxalement, ce sont eux qui ont impulsé le mouvement en s'engageant dans un processus de déréglementation et de décloisonnement des marchés boursiers. En lespèce, il sagira surtout de déterminer les conséquences politiques de cette autonomisation (II, 2, André Cartapanis).
Après avoir mis en relief : * le développement considérable des échanges commerciaux, * la croissance du taux d'ouverture commerciale des économies nationales, * la concurrence des pays émergents dans le commerce mondial, * le développement des IDE, * lextension de la concurrence internationale à de nouveaux secteurs (II, 3, Michel Rainelli), nous envisagerons les enseignements quil y a lieu den tirer quant au politique.
Soulignons un paradoxe : dans un même mouvement, le processus de mondialisation homogénéise et accentue les disparités, il uniformise, tout en hiérarchisant et excluant. Autrement dit, la mondialisation est à la fois créatrice et destructrice : cest un processus inégal et inégalitaire qui produit des gagnants et des perdants. Ainsi, au plan des rapports Nord/Sud, contribue-t-il à renforcer lasymétrie des échanges, à aggraver "linégalité du monde" (II, 4, Pierre-Noël Giraud).
III Mondialisation et recompositions socio-politiques
S'agissant de la dimension socio-politique, la mondialisation de léconomie de marché induit une disjonction État/territoire et une redistribution de l'autorité politique au plan mondial. Le marché, exerçant désormais une forme de suprématie sur lorganisation des sociétés, nest pas sans provoquer une certaine exacerbation des corporatismes et lémergence de mouvements nationaux et transnationaux de résistance, voire de refus (III, 1, Jacques Capdevielle).
Elle pose aussi la question de la gouvernance et plus encore celle des zones de non-gouvernance (paradis fiscaux, par exemple), favorisant par là même, lessor mondial dune criminalité transnationale (III, 2, Gilles Favarel-Guarrigues).
Par ailleurs, elle bouleverse le jeu de la diplomatie traditionnelle, fragilisant les diplomaties étatiques et facilitant, en revanche, l'émergence, voire la montée en puissance, de diplomaties non-étatiques (III, 3, Johanna Siméant).
Enfin, force est de constater que les recompositions régionales tendent aujourdhui à se multiplier et parfois même à sinterpénétrer, certains États appartenant simultanément à plusieurs ensembles régionaux. Ceci nous démontre que, contrairement à ce que lon aurait pu imaginer, les intégrations régionales ne contredisent pas le mouvement général de libéralisation multilatérale des échanges, au contraire même. En fait, la formation de blocs régionaux procède du processus de mondialisation et en constitue une étape décisive : dans une approche résolument comparatiste, ce sont les modalités de ce passage obligé que nous proposons dexposer (III, 4, Sophie Boisseau Du Rocher).
IV La mondialisation en perspective
Mettant la mondialisation en perspective, la quatrième et dernière partie aura pour objet dapporter des réponses à un ensemble de questionnement. En loccurrence, nous examinerons si lattention accordée aujourdhui à la protection des biens communs (environnement, santé publique) peut véritablement se concilier avec la logique dun marché mondialisé fondé sur la recherche du profit et de la croissance (IV, 1, 2 et 3, Marie-Claude Smouts, François Constantin, Bernard Montaville).
Si la mondialisation se traduit bien par une intrication de léconomique et du politique et une érosion de la dichotomie interne/international, elle saccompagne également de limposition de règles communes de plus en plus contraignantes qui traduisent une inflexion des valeurs de plus en plus souvent juridiquement reconnues et politiquement sanctionnées. Cette observation vaut particulièrement en matière de protection internationale des droits de lHomme où lon assiste à une régression substantielle de la culture de limpunité et corrélativement à la juridicisation dune loyauté internationale qui joue comme principe dordre. À cet égard, en menant une réflexion approfondie sur lévolution des représentations sociales actuelles de la notion dimpunité, nous tenterons de déceler les corrélations qui peuvent exister entre laccentuation du processus de mondialisation et la pénalisation internationale de violations des droits de lHomme (IV, 4, Patrick Baudouin).
Rappelons que le processus de mondialisation sest historiquement accentué dans le temps même où lUnion soviétique seffondrait et la Guerre Froide prenait fin. Il sagira donc détudier au plus près le croisement de ces deux logiques pour comprendre comment la disparition de la bipolarité conjuguée à laccélération du processus de mondialisation ont pu modifier en profondeur la dialectique guerre paix (multiplication des guerres infra-étatiques dues à lexacerbation des particularismes identitaires, prise en compte de nouveaux acteurs parties prenantes des conflits, comme les entreprises transnationales de mercenaires par exemple) et les représentations que sen font les acteurs (IV, 5, Pascal Vennesson).
Enfin, soulignons que la mondialisation s'accompagne d'une explosion normative et d'une restructuration de l'ordre juridique international telles quil faille se demander si nous nassistons pas à lémergence dun droit de la mondialisation. Des dysfonctionnements voire parfois un certain chaos souvent imputés au processus de mondialisation ont conduit certains à préconiser "une humanisation de la mondialisation" et par conséquent la nécessité dune régulation qui passerait par le renforcement du droit. Dans ce cas de figure, il convient alors denvisager la question de leffectivité du droit et de voir comment ladhésion à une communauté de valeurs pose celle de savoir à quelles conditions et selon quelles modalités les États peuvent se soumettre à un "droit global" (IV, 6, Guillaume Devin, Claude Gautier) ?
Josepha
Laroche
Professeur
de science politique, Université Paris 1
[1] À lexception de quelques publications comme Senarclens Pierre de (Éd.) Maîtriser la mondialisation, Paris, Presses de Science Po, 2000.
La mondialisation
Introduction : Josepha Laroche (Professeur de science politique, Université Paris 1)
1. Érosion du cadre étatique et mondialisation
Président : Pierre de Senarclens (Université de Lausanne)
Mondialisation et souveraineté nationale
Charles-Albert Michalet (Université Paris IX)
résuméLes politiques économiques publiques dans la mondialisation
Jean Coussy (Chercheur associé, CERI)
résuméImmigration et mondialisation
Catherine Wihtol de Wenden (CNRS/CERI)
résuméMondialisation de la communication ou de ses entreprises ?
Pierre Musso (Université de Rennes II)
résuméLe football : stade ultime de la mondialisation ?
Pascal Boniface (IEP de Lille)
résumé
Discutants : Virginie Guiraudon (CRAPS/CNRS), Ronen Palan (University of Sussex)
2. Déterritorialisation de léconomie mondiale
Président : Philippe Hugon (Université Paris X Nanterre)
La restructuration stratégique des firmes multinationales
Wladimir Andreff (Université Paris I Panthéon-Sorbonne)
résuméMondialisation de la finance et gouvernance des crises
André Cartapanis (CNRS/CEFI)
résuméLOMC : une organisation de régulation de léconomie mondiale ?
Michel Rainelli (Université de Nice, LATAPSES)
résuméMondialisation et dynamique des inégalités
Pierre-Noël Giraud (École des Mines)
résumé
Discutants : Christian Chavagneux (Rédacteur en chef de la revue LÉconomie politique), Frank Petiteville (Université Paris V)
3. Mondialisation et recompositions sociopolitiques
Président : Bertrand Badie (IEP, Paris)
La réponse à une légitimité en crise : une nouvelle dialectique du particulier et de luniversel
Jacques Capdevielle (FNSP/CEVIPOF)
résumé"Crime organisé transnational" et lutte anti-blanchiment
Gilles Favarel-Garrigues (CNRS/CERI)
résuméUne mondialisation du sans-frontiérisme humanitaire ?
Johanna Siméant (Université de Lille II)
résuméLa dialectique mondialisation/régionalisation : acteurs et trajectoires
Sophie Boisseau Du Rocher (Chercheur associé au CERI)
résumé
Discutants : Frédéric Charillon (Université de Clermond-Ferrand), Richard Banégas (Université Paris I Panthéon-Sorbonne)
4. La mondialisation en perspective
Président : Jean Leca (Président de lAFSP)
Les trajectoires du risque environnemental global
Marie-Claude Smouts (CNRS/CERI)
résuméGlocaliser les biens communs ? La conservation de la grande faune sauvage : entre mondialisation et localisme
François Constantin (Université de Pau)
résuméLa mondialisation de la santé publique : entre exigences éthiques et marchandisation
Docteur Bernard Montaville (Conseiller aux Affaires Étrangères, M.A.E., Assistance Publique-Hôpitaux de Paris)
résuméLa mondialisation : avancée ou régression pour les droits de lHomme ?
Patrick Baudouin (Avocat, Président dHonneur de la FIDH)
résuméForce armée et mondialisation
Pascal Vennesson (Université Paris II Panthéon-Assas)
résuméDroit international et universalisme des valeurs ? Lectures juridiques de la mondialisation
Guillaume Devin (IEP, Paris), Claude Gautier (Université dAmiens)
résumé
Discutants : Pascal Boniface (IEP de Lille) Daniel Compagnon (IEP de Bordeaux), Pierre Mazet (Université de La Rochelle), Philippe Ryfman (Université Paris I Panthéon-Sorbonne)
Débat
Conclusion générale : Josepha Laroche (Professeur de science politique, Université Paris 1)