Table ronde n° 3
Pour une science politique de l’administration :
retour vers le futur

19 et 20 septembre 2002

Rapporteurs généraux : Françoise DREYFUS et Jean-Michel EYMERI

 

Programme

 

L’idée d’organiser cette table ronde est née d’un quadruple constat dont les éléments se contredisent terme à terme, formant un paradoxe qu’il nous semble opportun d’interroger aujourd’hui pour en permettre le dépassement :

1. La plupart des définitions "matérielles" que donnent de la science politique les ouvrages généraux de référence affirment qu’elle se compose de quatre branches ou sous-disciplines : la sociologie politique, la théorie politique et l’histoire des idées, les relations internationales, et la science administrative ou l’étude des institutions administratives.

2. Ceci une fois posé, la plupart de ces mêmes ouvrages consacrent tous d’importants développements au long processus de sociogenèse de l’Etat occidental moderne, du Moyen-Age au XIX ème siècle. Puis, pour ceux qui sont les plus en phase avec l’époque, ils sautent directement à un exposé des recherches et des acquis de l’analyse des politiques publiques. Mais de l’Etat "au concret" et, plus largement, des institutions administratives appréhendées dans la complexité de leur organisation et l’épaisseur de leur fonctionnement, c’est-à-dire tout uniment des fonctionnaires qui les peuplent et les animent, il est bien rare que l’on propose une analyse fouillée.

Ce constat est révélateur du statut accordé en France aux travaux que désigne l’étiquette souvent dépréciative de "science administrative": étouffée quelque part entre le droit public, l’histoire, la sociologie des organisations, et l’analyse des politiques publiques, l’étude du monde, des mondes administratifs, pourtant centrale pour la compréhension des mécanismes de pouvoir et des processus de gouvernement au sein de toute société contemporaine, ne se voit reconnaître à l’heure actuelle qu’une place marginale dans notre pays. Le flux des travaux français dans ce domaine, important durant les années soixante-dix et au début des années quatre-vingts, s’est d’ailleurs sensiblement réduit depuis lors : cette évolution n’est peut-être pas sans rapport avec l’esprit général d’une époque où la figure étatique a été fortement attaquée, ce qui a pu inciter les chercheurs à s’en détourner comme d’un "vieil objet".

3. Cet état de fait contraste du tout au tout avec la situation qui prévaut au plan international. C’est ainsi que, dans le monde anglo-saxon, la discipline simplement intitulée "Public Administration" rassemble sous sa bannière des communautés d’universitaires nombreux dont les activités alimentent des courants de recherches vivaces dont témoignent maintes revues (cf. la revue britannique Public Administration), ouvrages collectifs, et autres congrès ou workshops. Il en va de même chez nos voisins européens, que ce soit en Allemagne, aux Pays-Bas, en Italie ou dans les Etats scandinaves, où l’étude des institutions administratives bénéficie d’un fort rayonnement.

Les collègues européens ne laissent d’ailleurs d’être surpris de la paradoxale faiblesse d’une telle spécialisation de recherches sur les institutions et l’action administratives dans une France réputée marcher "à l’Etat" et qui, même si elle a pour partie rompu avec le traditionnel "dirigisme" qui faisait sa spécificité, n’en reste pas moins l’un des pays développés où le rôle de l’Etat dans la société et la taille du secteur public demeurent les plus importants. Sans doute

4. Or, dans les toutes dernières années, est apparu un groupe de jeunes chercheurs dont les thèses ont été achevées il y a peu ou viennent prochainement en soutenance. Par leur formation intellectuelle, par leur ancrage universitaire, par les méthodes de recherche, les cadres d’analyse, les références et les perspectives qui sont les leurs, ils appartiennent sans conteste à la science politique. Leurs travaux manifestent précisément le souci commun de réinvestir en politistes le champ de l’institutionnel, et au premier chef dans le cas français l’institution-majuscule (ou le conglomérat d’institutions) qu’est l’Etat. Ils opèrent ce retour à et sur l’Etat par l’étude empirique des groupes d’individus et des institutions qui peuplent l’univers étatique, et lui donnent vie par leur activité quotidienne. Il s’agit donc d’une étude des institutions administratives fondée sur une connaissance, souvent historique, de leurs dynamiques de structuration, et sur une connaissance, de nature sociologique, des agents publics et de l’action publique. Elle s’insère très directement dans un intérêt plus large pour les processus de gouvernement (au sens de governing) des sociétés contemporaines qui, comme tels, sont indissociablement politiques et administratifs. Au travers de ces recherches, les institutions administratives apparaissent d’ailleurs comme un cadre privilégié des interactions gouvernantes, et les fonctionnaires comme des "joueurs principaux" dont le rôle demeure peut-être plus spécifique et plus décisif que les théories de la gouvernance multi-niveaux et l’analyse désormais dominante en termes de réseaux de politiques publiques le donnent à penser.

Dès lors, le pari intellectuel et humain de la table ronde proposée est de réunir les chercheurs de toutes générations et de tous horizons dont les travaux manifestent une attention aux institutions administratives, pour l’heure dépourvus de forums d’échange dans notre pays, afin de leur permettre de confronter leurs expériences et de poser ensemble les questions de recherche qui les animent, offrant ainsi à l’ensemble de la communauté politiste française l’occasion d’aller à la rencontre de cette science politique des institutions administratives qui ne demande qu’à se développer, avec l’aide de tous. Le pari complémentaire de ces deux journées d’échanges sera celui de l’ouverture internationale et du comparatisme européen, qui s’imposent évidemment en l’espèce pour deux raisons au moins. La première est la richesse du corpus de travaux universitaires de Public Administration en langue anglaise, avec et contre lequel une science politique francophone de l’administration a tout intérêt à penser. La seconde raison est bien sûr, dans un contexte d’européanisation qui voit les administrations nationales participer ensemble aux dynamiques institutionnelles bruxelloises et acquérir un rôle grandissant de mise en oeuvre des politiques de l’Union européenne, tout l’intérêt de pratiquer l’administration européenne comparée. L’étude croisée des administrations nationales constitue en effet une des entrées privilégiées pour analyser les dynamiques complexes et non-univoques d’homogénéisation partielle et/mais de différenciation maintenue, voire renouvelée, entre les styles de gouvernement respectifs des divers Etats européens.

Dans ce cadre, quatre entrées complémentaires, à la fois en termes d’objets et de problématiques, sont proposées :

- Une première demi-journée sera consacrée à porter un regard européen croisé sur la sociologie des hauts fonctionnaires (au sens large) qui assurent l’encadrement des appareils administratifs. Les origines sociales, régionales (dans certains pays) et scolaires des hauts fonctionnaires, leur socialisation initiale mais aussi continue par les métiers et les tâches, leur statut à la fois social et juridique, en particulier les perspectives de carrière qui s’offrent à eux, leur appartenance à des corps ou à des " maisons " administratives qui ont leur propre culture institutionnelle sont autant de dimensions de la sociologie des fonctionnaires dont l’étude est nécessaire à une compréhension de la manière dont ils tiennent leur(s) rôles(s) et, ipso facto, exercent du pouvoir.

-La deuxième demi-journée sera justement consacrée à une analyse sociologique des administrations et des administrateurs au travail, à partir d’une problématique de l’action publique qui se distingue de l’analyse de tel ou tel cas ou secteur de politique publique pour s’attacher tant aux activités routinières et au fonctionnement quotidien de la machinerie administrative qu’aux logiques et aux conflits institutionnels – souvent intersectoriels ou proprement bureaucratiques - qui animent la sphère publique, sans oublier de faire retour sur le constant problème de l’articulation entre le politique et l’administratif.

-La troisième séance abordera, dans une perspective de comparatisme européen, cette autre articulation problématique majeure qu’est celle de l’action publique et du ou des territoires. Il s’agira de porter un éclairage sur les jeux de conflit et de coopération qui se nouent entre les niveaux et les types de pouvoir autour de l’administration de l’espace régional et local, dont les acteurs principaux sont les fonctionnaires nationaux affectés sur le terrain (quand il y en a, comme en France), les élus à la tête des collectivités territoriales et les fonctionnaires territoriaux de ces collectivités. Ces acteurs aux logiques hétérogènes concourent à une gouverne locale qui ne saurait être pensée comme distincte du gouvernement de la société dans son ensemble, pas plus dans les Etats fédéraux voisins qu’en France.

-La quatrième séance enfin, prenant acte de la diffusion généralisée parmi les démocraties occidentales d’un néo-managérialisme public qui a transformé l’Etat en objet à réformer, posera le problème de ce qui se joue dans les politiques de réforme administrative partout à l’ordre du jour : assiste-t-on oui ou non à une convergence des types d’administration et, à terme, des " styles de gouvernement " nationaux ? Une (re)conceptualisation du rôle de l’Etat dans nos sociétés est-elle oui ou non en train de se produire au motif et sous couvert d’en améliorer la gestion ?

La correspondance concernant cette Table ronde est à adresser à :

Françoise DREYFUS
Département de science politique, Université Paris I
14, rue Cujas 75231 PARIS Cedex 05
Tél : (00.33.).1.40.46.27.98. Fax : (00.33.).1.40.46.31.65.
Mél : fdreyfus@univ-paris1.fr

Jean-Michel EYMERI
Département de science politique, Université Paris I
14, rue Cujas 75231 PARIS Cedex 05
Tél/Fax : (00.33.).1.42.37.83.92.
Mél : eymeri@univ-paris1.fr, eymeri@wanadoo.fr

 

Programme provisoire de la Table ronde

 

Françoise Dreyfus (Université Paris I-CACSP)
Introduction générale : l’état de la discipline.

jeudi 19 septembre, matinée

La sociologie des hauts fonctionnaires : regards croisés

Présidente-discutante : Marie-Christine Kessler (CNRS-Université Paris II)

Luc Rouban (CNRS-FNSP)
Comment étudier les hauts fonctionnaires ? Réflexions méthodologiques.

Anne Stevens (Aston University)
Les hauts fonctionnaires européens : entre profil standardisé et hétérogénéité renouvelée.

Jean-Michel Eymeri (Université Paris I-CACSP)
Eléments pour une comparaison européenne de la sociologie des hautes fonctions publiques nationales.

Bénédicte Bertin-Mourot (CNRS)
Une nouvelle gestion des hauts fonctionnaires comme levier de modernisation de l’Etat : regards comparés sur le Royaume-Uni, l’Italie et la France.

Jean-Yves Dormagen (Université Paris 1-CACSP)
titre encore à définir.

 

Jeudi 19 septembre, après-midi) :

Sociologie de l’action publique

Président-discutant : Daniel Gaxie (CRPS-Université Paris I)

Daniel Sabbagh (CNRS-CERI)
Réflexions sur le rôle des hauts fonctionnaires fédéraux américains à partir de l’exemple des politiques d’affirmative action (titre encore à préciser).

Alexandre Siné (CNRS-ENS de Cachan)
Au coeur de la machinerie administrative : la Direction du Budget.

Pierre Mathiot (Université de Lille II-CRAPS)
La logique des acteurs administratifs du social (encore à préciser).

Yves Buchet de Neuilly (Université Paris I-CRPS)
Quel rôle pour les fonctionnaires nationaux dans la fabrication des politiques à Bruxelles ?

Bruno Jobert (CNRS-IEP de Grenoble)
Action publique et activité politique : réflexions transversales sur une articulation problématique (titre encore à préciser).

 

Vendredi 20 septembre

Des fonctionnaires et des territoires – perspectives comparées

Président-discutant : Jacques Lagroye (Université Paris I-CRPS)

Arthur Benz et Jörg Bogumil (FernUniversität Hagen)
Quel pouvoir pour les fonctionnaires régionaux et locaux dans un système fédéral ? Le cas de l’Allemagne.

Alistair Cole (University of Cardiff)
Le Civil Service et la dévolution : quels administrateurs pour le Pays de Galles ?

Jon Pierre (Université de Göteborg)
Une administration locale et régionale acteur principal de la mise en œuvre des politiques nationales : le cas de la Suède.

Nicole de Montricher (CNRS)
Concurrence ou complémentarité ? Fonctionnaires déconcentrés et fonctionnaires territoriaux en France.

Pierre Sadran (IEP de Bordeaux)
Les pouvoirs locaux, entre administration du territoire et politique (titre encore à préciser). 

 

Vendredi 20 septembre

Néo-managérialisme et réformes administratives : vers quel modèle d’Etat ?

Président-discutant : Jacques Chevallier (Université Paris II)

Walter Kickert (Université Erasmus, Rotterdam)
Les modèles de réforme administrative comme " reconstructions sociales ".

Jean-Michel Saussois (Ecole supérieure de commerce de Paris)
NPM, best practices et benchmarking : l’action diffusionniste de l’OCDE.

Jacky Richard (délégué interministériel à la réforme de l’Etat, directeur général de l’administration et de la fonction publique)
Quelle réforme pour quel Etat : y a-t-il une voie française vers la modernité administrative ? (titre encore à préciser).

Philippe Bezes (IEP de Paris-CSO)
Les politiques de réforme de l’Etat des années soixante à Jospin : longue durée ou innovation, exception française ou alignement ?(titre encore à préciser).

Jean-Marc Weller (CNRS- LATTS-Ecole des Ponts et Chaussées)
Les réformes vues du terrain : quels effets sur le face-à-face quotidien de l’usager et du fonctionnaire ? (titre encore à préciser).

 

Jean-Michel Eymeri (Université Paris I-CACSP)
Synthèse générale des travaux de la table ronde.