Lidée dorganiser cette table ronde est née dun quadruple constat dont les éléments se contredisent terme à terme, formant un paradoxe quil nous semble opportun dinterroger aujourdhui pour en permettre le dépassement :
1. La plupart des définitions "matérielles" que donnent de la science politique les ouvrages généraux de référence affirment quelle se compose de quatre branches ou sous-disciplines : la sociologie politique, la théorie politique et lhistoire des idées, les relations internationales, et la science administrative ou létude des institutions administratives.
2. Ceci une fois posé, la plupart de ces mêmes ouvrages consacrent tous dimportants développements au long processus de sociogenèse de lEtat occidental moderne, du Moyen-Age au XIX ème siècle. Puis, pour ceux qui sont les plus en phase avec lépoque, ils sautent directement à un exposé des recherches et des acquis de lanalyse des politiques publiques. Mais de lEtat "au concret" et, plus largement, des institutions administratives appréhendées dans la complexité de leur organisation et lépaisseur de leur fonctionnement, cest-à-dire tout uniment des fonctionnaires qui les peuplent et les animent, il est bien rare que lon propose une analyse fouillée.
Ce constat est révélateur du statut accordé en France aux travaux que désigne létiquette souvent dépréciative de "science administrative": étouffée quelque part entre le droit public, lhistoire, la sociologie des organisations, et lanalyse des politiques publiques, létude du monde, des mondes administratifs, pourtant centrale pour la compréhension des mécanismes de pouvoir et des processus de gouvernement au sein de toute société contemporaine, ne se voit reconnaître à lheure actuelle quune place marginale dans notre pays. Le flux des travaux français dans ce domaine, important durant les années soixante-dix et au début des années quatre-vingts, sest dailleurs sensiblement réduit depuis lors : cette évolution nest peut-être pas sans rapport avec lesprit général dune époque où la figure étatique a été fortement attaquée, ce qui a pu inciter les chercheurs à sen détourner comme dun "vieil objet".
3. Cet état de fait contraste du tout au tout avec la situation qui prévaut au plan international. Cest ainsi que, dans le monde anglo-saxon, la discipline simplement intitulée "Public Administration" rassemble sous sa bannière des communautés duniversitaires nombreux dont les activités alimentent des courants de recherches vivaces dont témoignent maintes revues (cf. la revue britannique Public Administration), ouvrages collectifs, et autres congrès ou workshops. Il en va de même chez nos voisins européens, que ce soit en Allemagne, aux Pays-Bas, en Italie ou dans les Etats scandinaves, où létude des institutions administratives bénéficie dun fort rayonnement.
Les collègues européens ne laissent dailleurs dêtre surpris de la paradoxale faiblesse dune telle spécialisation de recherches sur les institutions et laction administratives dans une France réputée marcher "à lEtat" et qui, même si elle a pour partie rompu avec le traditionnel "dirigisme" qui faisait sa spécificité, nen reste pas moins lun des pays développés où le rôle de lEtat dans la société et la taille du secteur public demeurent les plus importants. Sans doute
4. Or, dans les toutes dernières années, est apparu un groupe de jeunes chercheurs dont les thèses ont été achevées il y a peu ou viennent prochainement en soutenance. Par leur formation intellectuelle, par leur ancrage universitaire, par les méthodes de recherche, les cadres danalyse, les références et les perspectives qui sont les leurs, ils appartiennent sans conteste à la science politique. Leurs travaux manifestent précisément le souci commun de réinvestir en politistes le champ de linstitutionnel, et au premier chef dans le cas français linstitution-majuscule (ou le conglomérat dinstitutions) quest lEtat. Ils opèrent ce retour à et sur lEtat par létude empirique des groupes dindividus et des institutions qui peuplent lunivers étatique, et lui donnent vie par leur activité quotidienne. Il sagit donc dune étude des institutions administratives fondée sur une connaissance, souvent historique, de leurs dynamiques de structuration, et sur une connaissance, de nature sociologique, des agents publics et de laction publique. Elle sinsère très directement dans un intérêt plus large pour les processus de gouvernement (au sens de governing) des sociétés contemporaines qui, comme tels, sont indissociablement politiques et administratifs. Au travers de ces recherches, les institutions administratives apparaissent dailleurs comme un cadre privilégié des interactions gouvernantes, et les fonctionnaires comme des "joueurs principaux" dont le rôle demeure peut-être plus spécifique et plus décisif que les théories de la gouvernance multi-niveaux et lanalyse désormais dominante en termes de réseaux de politiques publiques le donnent à penser.
Dès lors, le pari intellectuel et humain de la table ronde proposée est de réunir les chercheurs de toutes générations et de tous horizons dont les travaux manifestent une attention aux institutions administratives, pour lheure dépourvus de forums déchange dans notre pays, afin de leur permettre de confronter leurs expériences et de poser ensemble les questions de recherche qui les animent, offrant ainsi à lensemble de la communauté politiste française loccasion daller à la rencontre de cette science politique des institutions administratives qui ne demande quà se développer, avec laide de tous. Le pari complémentaire de ces deux journées déchanges sera celui de louverture internationale et du comparatisme européen, qui simposent évidemment en lespèce pour deux raisons au moins. La première est la richesse du corpus de travaux universitaires de Public Administration en langue anglaise, avec et contre lequel une science politique francophone de ladministration a tout intérêt à penser. La seconde raison est bien sûr, dans un contexte deuropéanisation qui voit les administrations nationales participer ensemble aux dynamiques institutionnelles bruxelloises et acquérir un rôle grandissant de mise en oeuvre des politiques de lUnion européenne, tout lintérêt de pratiquer ladministration européenne comparée. Létude croisée des administrations nationales constitue en effet une des entrées privilégiées pour analyser les dynamiques complexes et non-univoques dhomogénéisation partielle et/mais de différenciation maintenue, voire renouvelée, entre les styles de gouvernement respectifs des divers Etats européens.
Dans ce cadre, quatre entrées complémentaires, à la fois en termes dobjets et de problématiques, sont proposées :
- Une première demi-journée sera consacrée à porter un regard européen croisé sur la sociologie des hauts fonctionnaires (au sens large) qui assurent lencadrement des appareils administratifs. Les origines sociales, régionales (dans certains pays) et scolaires des hauts fonctionnaires, leur socialisation initiale mais aussi continue par les métiers et les tâches, leur statut à la fois social et juridique, en particulier les perspectives de carrière qui soffrent à eux, leur appartenance à des corps ou à des " maisons " administratives qui ont leur propre culture institutionnelle sont autant de dimensions de la sociologie des fonctionnaires dont létude est nécessaire à une compréhension de la manière dont ils tiennent leur(s) rôles(s) et, ipso facto, exercent du pouvoir.
-La deuxième demi-journée sera justement consacrée à une analyse sociologique des administrations et des administrateurs au travail, à partir dune problématique de laction publique qui se distingue de lanalyse de tel ou tel cas ou secteur de politique publique pour sattacher tant aux activités routinières et au fonctionnement quotidien de la machinerie administrative quaux logiques et aux conflits institutionnels souvent intersectoriels ou proprement bureaucratiques - qui animent la sphère publique, sans oublier de faire retour sur le constant problème de larticulation entre le politique et ladministratif.
-La troisième séance abordera, dans une perspective de comparatisme européen, cette autre articulation problématique majeure quest celle de laction publique et du ou des territoires. Il sagira de porter un éclairage sur les jeux de conflit et de coopération qui se nouent entre les niveaux et les types de pouvoir autour de ladministration de lespace régional et local, dont les acteurs principaux sont les fonctionnaires nationaux affectés sur le terrain (quand il y en a, comme en France), les élus à la tête des collectivités territoriales et les fonctionnaires territoriaux de ces collectivités. Ces acteurs aux logiques hétérogènes concourent à une gouverne locale qui ne saurait être pensée comme distincte du gouvernement de la société dans son ensemble, pas plus dans les Etats fédéraux voisins quen France.
-La quatrième séance enfin, prenant acte de la diffusion généralisée parmi les démocraties occidentales dun néo-managérialisme public qui a transformé lEtat en objet à réformer, posera le problème de ce qui se joue dans les politiques de réforme administrative partout à lordre du jour : assiste-t-on oui ou non à une convergence des types dadministration et, à terme, des " styles de gouvernement " nationaux ? Une (re)conceptualisation du rôle de lEtat dans nos sociétés est-elle oui ou non en train de se produire au motif et sous couvert den améliorer la gestion ?
La correspondance concernant cette Table ronde est à adresser à :
Françoise
DREYFUS
Département de science politique, Université Paris
I
14,
rue Cujas 75231 PARIS Cedex 05
Tél :
(00.33.).1.40.46.27.98. Fax : (00.33.).1.40.46.31.65.
Mél :
fdreyfus@univ-paris1.fr
Jean-Michel
EYMERI
Département de science politique, Université Paris
I
14,
rue Cujas 75231 PARIS Cedex 05
Tél/Fax :
(00.33.).1.42.37.83.92.
Mél :
eymeri@univ-paris1.fr, eymeri@wanadoo.fr
Françoise
Dreyfus
(Université
Paris I-CACSP)
Introduction générale : létat de
la discipline.
jeudi 19 septembre, matinée
La sociologie des hauts fonctionnaires : regards croisés
Présidente-discutante : Marie-Christine Kessler (CNRS-Université Paris II)
Luc
Rouban (CNRS-FNSP)
Comment étudier les hauts fonctionnaires ?
Réflexions méthodologiques.
Anne
Stevens (Aston University)
Les hauts fonctionnaires européens : entre profil standardisé
et hétérogénéité renouvelée.
Jean-Michel
Eymeri (Université Paris I-CACSP)
Eléments pour une
comparaison européenne de la sociologie des hautes fonctions
publiques nationales.
Bénédicte
Bertin-Mourot (CNRS)
Une nouvelle gestion des hauts fonctionnaires
comme levier de modernisation de lEtat : regards comparés
sur le Royaume-Uni, lItalie et la France.
Jean-Yves
Dormagen (Université Paris 1-CACSP)
titre encore à définir.
Jeudi 19 septembre, après-midi) :
Sociologie de laction publique
Président-discutant : Daniel Gaxie (CRPS-Université Paris I)
Daniel
Sabbagh (CNRS-CERI)
Réflexions sur le rôle des hauts
fonctionnaires fédéraux américains à partir
de lexemple des politiques daffirmative action (titre
encore à préciser).
Alexandre
Siné (CNRS-ENS de Cachan)
Au coeur de la machinerie administrative :
la Direction du Budget.
Pierre
Mathiot (Université de Lille II-CRAPS)
La
logique des acteurs administratifs du social (encore à préciser).
Yves
Buchet de Neuilly (Université Paris I-CRPS)
Quel rôle
pour les fonctionnaires nationaux dans la fabrication des politiques
à Bruxelles ?
Bruno
Jobert (CNRS-IEP de Grenoble)
Action publique et activité politique :
réflexions transversales sur une articulation problématique
(titre encore à préciser).
Vendredi 20 septembre
Des fonctionnaires et des territoires perspectives comparées
Président-discutant : Jacques Lagroye (Université Paris I-CRPS)
Arthur
Benz et Jörg Bogumil (FernUniversität Hagen)
Quel pouvoir pour les fonctionnaires régionaux et locaux dans
un système fédéral ? Le cas de lAllemagne.
Alistair Cole (University of Cardiff)
Le Civil Service et la
dévolution : quels administrateurs pour le Pays de Galles ?
Jon
Pierre (Université de Göteborg)
Une administration locale
et régionale acteur principal de la mise en uvre des politiques
nationales : le cas de la Suède.
Nicole
de Montricher (CNRS)
Concurrence ou complémentarité ?
Fonctionnaires déconcentrés et fonctionnaires territoriaux
en France.
Pierre
Sadran (IEP de Bordeaux)
Les pouvoirs locaux, entre administration
du territoire et politique (titre encore à préciser).
Vendredi 20 septembre
Néo-managérialisme et réformes administratives : vers quel modèle dEtat ?
Président-discutant : Jacques Chevallier (Université Paris II)
Walter
Kickert (Université Erasmus, Rotterdam)
Les modèles
de réforme administrative comme " reconstructions sociales ".
Jean-Michel
Saussois (Ecole supérieure de commerce de Paris)
NPM, best practices et benchmarking :
laction diffusionniste de lOCDE.
Jacky
Richard (délégué interministériel à
la réforme de lEtat, directeur général de
ladministration et de la fonction publique)
Quelle réforme
pour quel Etat : y a-t-il une voie française vers la modernité
administrative ? (titre encore à préciser).
Philippe
Bezes (IEP de Paris-CSO)
Les politiques de réforme de lEtat
des années soixante à Jospin : longue durée
ou innovation, exception française ou alignement ?(titre
encore à préciser).
Jean-Marc
Weller (CNRS- LATTS-Ecole des Ponts et Chaussées)
Les réformes vues du terrain : quels effets sur le face-à-face
quotidien de lusager et du fonctionnaire ? (titre encore
à préciser).
Jean-Michel
Eymeri (Université Paris I-CACSP)
Synthèse générale des travaux de la table ronde.