Table Ronde n° 4

La radicalisation politique

Rapporteuses générales : Annie Collovald, Brigitte Gaïti

Nous proposons une table ronde sur la radicalisation politique : il s’agit de repérer et d’analyser des processus singuliers qui ont pour premier point commun de contrarier un certain nombre de prévisions sur la pacification et la démocratisation des sociétés.

Dans cette perspective, comment intégrer alors certains faits donnés comme marquant l’actualité récente : par exemple la montée en puissance à l’Est comme à l’Ouest de mouvements xénophobes, l’installation de régimes qualifiés de " terroristes ", le développement de la criminalité politique organisée à l’Est ou celui des illégalismes à l’Ouest ? Ou encore la récurrence de coups d’Etat " corrigeant " les verdicts électoraux, l’usage de la violence et de la menace comme modes de règlement des conflits ? Le modèle de la " bonne gouvernance " diffusé par les agences internationales qui avait donné une seconde vie aux problématiques développementalistes des années 1960-1970 semble voué à connaître de nouvelles déconvenues. Comment comprendre encore jusque dans les démocraties les plus installées, le développement de mobilisations " non-conventionnelles ", la persistance et le renouvellement de répertoires d’action violente le surgissement de critiques extrêmes et de thèmes de débats inédits ignorant les cadres institutionnels de la représentation, de la négociation ou de la légalité politiques ? Comment analyser enfin l’adoption de répertoires d’action ultraviolents (attentats kamikazes) et les soutiens que ces actes peuvent rencontrer, sans les rejeter dans le domaine du pathologique (le fanatisme démoniaque de quelques uns) ou du résiduel (les " poches " de terrorisme à éradiquer)

Quelle que soit la validité empirique de ces évaluations d’une transformation des pratiques et des rapports à la politique, la question de la radicalisation affronte d’emblée certaines hypothèses constituées en science politique et en histoire : celles de la civilisation et de la pacification des règles du jeu politiques, celle encore de la monopolisation par l’Etat de la violence physique légitime.

Des travaux, nombreux mais dispersés, ont déjà défriché le terrain : le renouvellement est d’abord venu des études consacrées aux société dites " en voie de démocratisation " ; comme si ce que certains ont appelé " l’irruption de l’histoire réelle " avait obligé à revisiter une histoire devenue soudainement idéaliste, linéaire, qui faisait de la démocratie stabilisée l’horizon indépassable de toute société. Ces travaux ont de même remis en cause l’universalité de l’hypothèse de la monopolisation étatique de la violence physique légitime : les investigations sur les soubresauts des processus de " transition " démocratique, sur l’indistinction entre " guerre et paix ", la criminalisation de l’Etat ou sur l’extension transnationale du crime organisé en sont des illustrations exemplaires. Mais le renouvellement va plus loin puisque ces recherches ont favorisé un retour analytique sur ce qui fait " tenir " et sur ce qui ébranle les démocraties les plus anciennes : l’analyse des crises politiques ou encore des actions collectives hors des circuits institutionnels de représentation en témoigne.

La conception habituelle d’une démocratie dans laquelle la compétition politique s’apparente à un jeu de discours, à un affrontement de projets, dans laquelle encore les conflits sont réglés et se règlent dans la négociation et le compromis grâce à l’intériorisation de multiples censures, ne peut que rejeter dans le pathologique, l’exceptionnel ou l’archaïsme, la radicalité politique sous toutes ces formes, renvoyant alors l’analyse à des explications ad hoc ou régressives (la " culture " de l’affrontement et de la violence, les ratés de la socialisation ou la psychologie des foules et des leaders) qui en font la conséquence " naturelle " de dispositions individuelles ou collectives (sociales, culturelles et politiques) au refus des formes de régulation démocratique. On le voit, la vigilance est de mise tant le terme de " radicalisation ", investi de connotations politiques normatives fortement négatives dans les versions démocratiques dominantes peut favoriser l’importation sauvage de thématiques politiques dans le travail d’analyse.

Ce premier problème se double d’un second touchant à la consistance du phénomène analysé. La radicalisation caractérise-t-elle (seulement) des transformations objectives des pratiques et des opinions politiques observables empiriquement ou bien représente-t-elle (seulement) un résultat des jeux de concurrence politique et de labellisations croisées (stigmatisation de l’adversaire ou revendication d’une identité intransigeante).

On voudrait ici, pour sortir de ce dilemme, tenir une idée : ni destin, ni choix, la radicalisation des pratiques et des rapports au politique découle de processus qui trouvent leur origine dans le jeu politique existant, c’est-à-dire dans les rapports de force constitués mais aussi dans les luttes de représentation qui produisent les identités politiques. Dans cette table ronde, il s’agira de retrouver la rationalité de ces processus et d’en suivre les dynamiques, dans la diversité de leurs formes et de leurs significations. On choisira des terrains contrastés (démocraties occidentales et pays en voie de démocratisation à l’Est ou au Sud). On privilégiera également un échange interdisciplinaire mobilisant des historiens et des sociologues aux côtés des politistes

On a retenu quatre axes de réflexion :