Atelier 1

Regards multiples sur les actions et dispositifs visant à politiser la consommation
Actions and devices of politicization of consumption

Responsables scientifiques :
Philip Balsiger (IEPI, Université de Lausanne)
philip.balsiger@unil.ch

Pauline Barraud de Lagerie (Centre de Sociologie des Organisations, Sciences-po/CNRS) p.barraud@cso.cnrs.fr

 

Résumés /Abstracts

PAUTARD Eric (CERTOP-CNRS, Université de Toulouse-Le Mirail)

Consommer moins : consommer mieux ? La sobriété des usages énergétiques en question

Depuis 1973, suite au premier choc pétrolier, la question de la maîtrise de l’énergie s’est imposée dans l’agenda politique français, obligeant l’Etat à faire preuve d’un interventionnisme mesuré en direction des ménages pour les encourager à économiser l’énergie. Par la suite, face à l’émergence d’enjeux environnementaux nouveaux, d’autres politiques publiques ont été mises en œuvre pour tenter d’influer sur les pratiques quotidiennes des individus afin de limiter l’impact de celles-ci sur l’Environnement. Dès lors, qu’il s’agisse de tri des déchets, d’économies d’énergie ou de protection des ressources naturelles, on a vu fleurir de nombreuses campagnes de communication encourageant à l’adoption de gestes qualifiés d’éco-citoyens. Si l’idée d’une consommation engagée est bien au centre de ces campagnes de sensibilisation, au travers d’une incitation à l’achat d’équipements énergétiquement performants ou propres, la question de la sobriété des usages n’en reste pas moins un aspect crucial. C’est pourquoi il ne s’agira pas tant ici d’évoquer les formes de consumérisme vert ou d’éco-consommation, mais plutôt les formes d’encouragement politique mises en œuvre pour inviter les citoyens à consommer moins et mieux, dans une perspective environnementale. Dans ce cadre, la question n’est donc pas tant d’acheter un produit plutôt qu’un autre au regard d’exigences éthiques, mais plutôt d’interroger l’idée même de ce que l’on va consommer.
Pour étudier cette question, nous nous sommes donc penchés sur les recommandations écologiques conçues à destination des usagers domestiques de l’énergie pour que ceux-ci rompent avec leurs pratiques énergivores et adoptent des comportements sobres. Pour ce faire, il nous a fallu varier les échelles d’observation pour s’attacher à la fois aux prescripteurs, aux médiateurs (qu’ils soient humains —les communicants- ou non-humains —les dispositifs informatifs-) et aux destinataires du message éthique. Dans une perspective historique, on a ainsi pu remarquer que la mise en scène du message et les modes de captation des publics avaient nettement changé.
Pour autant, le message éco-citoyen est loin d’être une catégorie homogène. Portées par des acteurs très différents (acteurs politiques nationaux ou locaux, militants écologistes ou individus isolés, …) et mises en forme (voire légitimées) par le biais de professionnels aux logiques diverses (consultants en communication, psychologues sociaux, énergéticiens, administratifs, ou écologues), les recommandations formulées se révèlent plurielles et doivent être étudiées isolément afin d’appréhender la spécificité de leur dimension morale sous-jacente.

Since the 1973 Oil Crisis, many Energy Management policies have been implemented in France in order to reduce national consumption. With this intention, some public campaigns were designed to promote Energy Saving at home. Thereafter, new policies have been initiated in the same way because of emergent environmental stakes. Even if one of the principal issue is to incite people to buy energy-efficient products, sober energy practices play a crucial role too. Thus the goal is to diffuse widely an "ecological citizenship" to avoid climate change consequences. But, for a lot of reasons, households consume always more energy. This paper draws upon the PhD research the author is currentlyy working on. It seeks to identify the different patterns and levels of "hypo-consumption" (both as trends and as standards) more than the alternative ways for consuming energy. But, what remains unclear are the ways in which vertical and horizontal interactions may be a key lever for Saving Energy policy. That’s why this paper focuses on promoters, on intermediaries (human & non-human actors) and on recipients of these measures to encourage a sustainable energy consumption.


RUMPALA Yannick (ERMES, Université de Nice)

La " consommation durable " comme nouvelle phase d’une gouvernementalisation de la consommation

Avec la montée de la thématique environnementale et la mise en avant de l’objectif d’un " développement durable ", un intérêt renouvelé pour la sphère de la consommation s’est manifesté de plus en plus nettement du côté des institutions publiques. Cet intérêt, devenu de plus en plus perceptible au fil des années 1990, a prolongé et crédibilisé des mises en cause de plus en plus fréquentes qui se sont exercées à l’encontre des activités liées à la consommation, précisément en les incriminant pour un large ensemble de pressions sur l'environnement.
Les préoccupations écologiques ont ainsi nourri la constitution d’une nouvelle dimension du travail de régulation publique, visant en l’occurrence la partie la plus en aval des circuits économiques. Avec cette impulsion, la consommation est prise comme objet d’intervention. Un objectif vient s’ajouter : celui de la faire évoluer pour en éliminer les effets jugés négatifs et pouvoir la soumettre à des critères de " durabilité ". Les initiatives engagées ont en fait pris une orientation qui vise principalement la population, essentiellement considérée en tant qu’ensemble d’individus consommateurs. Il est attendu de ces derniers qu’ils prennent conscience de leur part de responsabilité dans les pressions exercées sur les ressources et les milieux naturels et donc de la nécessité d’adapter leurs habitudes de consommation pour pouvoir améliorer la situation.
Pour saisir la dynamique qui semble engagée, nous examinerons le processus socio-discursif qui vient dans un même mouvement redéfinir à la fois les figures du consommateur et du citoyen pour parvenir à un individu pouvant être intéressé et mobilisé en faveur de prescriptions nouvelles. Nous analyserons les logiques à partir desquelles s’est installé dans ce sillage un travail tentant de conformer les actes de consommation à des exigences renouvelées. Ceci permettra de mieux saisir les dispositifs institutionnels privilégiés, notamment dans la mesure où ils apparaissent comme le résultat d’un espace des possibles contraint. Nous terminerons en pointant les ambiguïtés et impensés qui apparaissent dès lors que les démarches entreprises sont resituées dans des interdépendances plus larges et reliées à des questions et difficultés refoulées.

"Sustainable consumption" as a new phase in a governmentalisation of consumption

The ascent of environmental themes and the increasing support to the objective of a "sustainable development" have been more and more clearly accompanied by a renewed interest from public institutions in the sphere of consumption. This interest, which has become increasingly perceptible during the 1990s, has prolonged and made credible the more and more frequent voices calling into question activities related to consumption, precisely by accusing them of a broad set of pressures on the environment.
Ecological concerns have thus nourished the constitution of a new dimension in public regulation, aiming in fact at the more downstream part of economic circuits. Through this impulse, consumption has been taken as object of intervention. An objective has come to be added: that of making consumption evolve in order to eliminate its negative effects and to be able to subject it to criteria of "sustainability". Initiatives that have been started have in fact taken an orientation which mainly aims at the population, primarily considered as a collection of consuming individuals. They are expected to become aware of their share of responsibility in the pressures exerted on resources and natural environments and thus of the need for adapting their spending patterns in order to be able to improve the situation.
With a view to seize the dynamics which seems to expand, we will examine the socio-discursive process which comes in the same movement to redefine at the same time the figures of the consumer and of the citizen to arrive at an individual who can be interested and mobilized in favour of new recommendations. We will analyze the logics from which an effort trying to conform acts of consumption to renewed requirements has been established in this wake. This will make it possible to better seize the institutional devices that have been favoured, in particular insofar as they seem to be the result of a constrained space of possibilities. We will finish by indicating ambiguities and omissions which appear when the chosen initiatives are put in perspective and in relation with broader interdependences linked to repressed questions and difficulties.


SALLES Pierre-Olivier (CSPC / IEP Aix — UB Buenos Aires)

"S.E.L. and the City". Action collective et dispositifs d’échange parallèles

Les Systèmes d'Echanges Locaux (SEL), apparus en 1995 sous l'impulsion de groupes écologistes, sont des cercles parallèles d'échange, constitués par les adhérents de l'organisation, et organisés autour d'une monnaie qui leur est propre. Ces micro espaces sont néanmoins différents du marché "formel" dans la mesure où l'intentionnalité militante qui est à leur fondation entend faire de ces pratiques de production et de consommation de biens et services des pratiques exemplaires, reflet d’un autre modèle de société. Ces groupes manifestent donc une volonté de "politiser" les relations économiques en s'écartant des règles marchandes dominantes.
Il s'agira dans cette communication d'analyser les processus par lesquels s'opèrent la construction et le ralliement à la cause du SEL :
- Dans un premier temps, nous procéderons au repérage de l'ensemble des dispositifs, formels et informels, qui ont pour objectifs explicites de constituer des échanges classiques de biens et services en actes exemplaires au regard de la cause défendue. Nous verrons notamment que ce dispositifs tentent d'agir à la fois au niveau de la régulation concrète des interactions d'échange, mais aussi sur la constitution d'économies affectives gratifiantes pour les publics insérés dans l'organisation.
- Dans un second temps, il s'agira de s'interroger sur la résonance de ces dispositifs par rapport aux trajectoires des adhérents. En effet, si nombre de participants aux SEL retirent de cette participation des émotions positives et donnent du sens au strict respect des règles internes au groupe, il convient de s'interroger sur les raisons de l'efficacité de ces dispositifs. Nous serons donc attentifs :
- aux histoires militantes des individus et les actualisations d'engagements anciens.
- aux trajectoires professionnelles.
- aux trajectoires de mobilité géographique.
- enfin aux histoires de vie, et notamment le poids des accidents biographiques.

The " Systèmes d'Echanges Locaux (SEL) ", created in 1995 under the impetus of ecologist groups, are parallel trading systems, only composed of the organisation’s members, and organised around the use of their own specific currency.
These micro areas are nevertheless different from the "official" market because they are inspired by an activist project, which tries to constitute these trading practices into another society model, where the values of solidarity, brotherhood, equality… would be dominant. Then, these groups show a will to "politicise" the economic relations in opposition to the dominant rules.
In this communication, we will analyse the processes which shape the construction and the support to the cause of the SEL:
- First, we will identify all the mechanisms which aim is to change the logic of classical trading acts into exemplary practices in relation to the normative project. We will see that these mechanisms try to impact both on the regulation of economic interactions, and the constitution of positive emotional economies for the members.
- Then, we will work on the reasons of the efficiency of the mechanisms, in relation to the trajectories of the individuals, and the contexts in which they are inserted. That means we will study:
- the militant histories of the activists
- their professional experiences
- their geographical trajectories
- and all important events in their lives (particularly biographic accidents)


GATEAU Matthieu (Département de sociologie, Université de Bourgogne)

Le commerce équitable comme dispositif de politisation de la consommation 

Depuis plus de trente ans, le mouvement Artisans du Monde, pionnier du commerce équitable en France, travaille à la sensibilisation et à la politisation des consommateurs.
En s’appuyant sur une recherche en cours, cette communication s’attachera à montrer quels sont les dispositifs mis en place par les associations de commerce équitable pour politiser le comportement des consommateurs. Quel est le rôle du travail militant des bénévoles ? Sur quels outils s’appuient-ils ?
Pour répondre à ces questions, une première partie de ce travail sera consacré à une présentation documentée du mouvement Artisans du Monde, qui fonde son action militante sur trois activités considérées comme complémentaires : la vente, l’éducation au développement et le plaidoyer politique.
Dans une seconde partie, nous verrons que ce réseau associatif, à travers sa politique et le travail de ses bénévoles, tente de créer un mouvement de consommateurs avertis, parfois appelés " consom’acteurs ". Ainsi, nous montrerons concrètement comment, en promouvant les principes du commerce équitable, en intervenant auprès des élèves des écoles, collèges et lycées, et des publics adultes et en relayant des campagnes de lobbying, les militants d’une association locale Artisans du Monde entrent en interaction avec le public. L’objectif de ces militants consiste à sensibiliser les consommateurs à la nécessité de changer les modes de consommation en partant du postulat que " sans consommation responsable dans la durée, il n’y a pas de commerce équitable ". En résumé, cette communication tentera de montrer que le commerce équitable peut être appréhendé comme un dispositif pragmatique de politisation de la consommation par la responsabilisation collective des consommateurs.

Fair trade as a device of raising consumer political awareness

For over thirty years, the "Artisans du Monde" movement, pioneer in fair trade in France, has been working on raising awareness among consumers as well as awakening their political conscience. Based on current research, this communication will attempt to show the devices which were set up by fair trade associations in order to make consumers more politically aware through their behaviors. What is the role of the volunteers’ militant action ? What kind of tools do they use?
To answer these questions, a first part of this work will be devoted to a documented presentation of Artisans du Monde, which divides its militant action into three kinds of activities, regarded as complementary: selling, education on development, and political pleading.
In a second part, we will see that this network of associations, through its policy and the work of its volunteers, tries to create a movement of informed consumers, sometimes called "consom' acteurs" (active consumers). Thus, we will show how, in practical terms, by promoting the principles of fair trade, by intervening with the children and students of various school levels, as well as adult audiences and by relaying lobbying campaigns, the militants of a local Artisans du Monde association interact with the public. The objective of these militants consists in making consumers aware of the need for changing the modes of consumption, starting from the premise that "without long-term responsible consumption, there can be no fair trade". In short, this communication will try to show that fair trade can be apprehended as a practical device for making consumption a political act and consumers collectively responsible.