Atelier 12

La politisation pratique
Practical politicization

Responsables scientifiques :
Erik Neveu (IEP de Rennes) erik.leteure@wanadoo.fr
Olivier Philippe (IEP de Toulouse) olivier.philippe@univ-tlse1.fr

 

Résumés /Abstracts

RENOU Gildas

Affiliation et appartenance. La " connaissance politique par corps " dans une organisation syndicale

Cette contribution à l'analyse de " politisation pratique " prendra la forme d'une exploration des médiations par lesquelles les agents sociaux élaborent des schèmes cognitifs que leur permettent de situer leurs actions dans leur environnement et d'en rendre compte verbalement. Ces schèmes opèrent à un double niveau : a) dans l'adaptation aux situations d'interactions sociales quotidiennes, b) dans la construction de repères et dans l'appropriation de vocables permettant un discours sur la société et de ses transformations, établissant par là des structures de signification relativement indépendantes des situations.
Nous développons, dans cette optique, la distinction de  deux concepts rendant compte de deux modalités d'intégration aux groupes : l'affiliation et l'appartenance.
En vue d'éprouver la fécondité de cette hypothèse, notre communication aura recours à un certain nombre d'observations réalisées au cours d'enquête ethnographique réalisée dans une organisation syndicale de salariés des postes et des télécommunications (la fédération SUD des PTT).
Deux aspects de la vie syndicale seront privilégiés. D'abord, les moments de sociabilité ordinaire seront analysés, de façon à saisir leurs effets sur les modalités empiriques d'affiliation des adhérents à des collectifs. Ensuite, nous mettrons en évidence les effets sociaux des réunions locales de conseil syndical dans les processus d'entretien,  de confrontation et d'homogénéisation des schèmes cognitifs qui sont utilisés par les adhérents et les militants syndicaux au sein de l'organisation politique étudiée.


LE RAY Marie

Sortie de conflit et redéfinitions au quotidien du rapport aux institutions politiques. Le cas de Tunceli, province kurde alévie de Turquie

En observant un processus de sortie de conflit (un conflit dont l’Etat turc était partie prenante) à l’échelle d’une province, nous souhaitons ici interroger les transformations qui affectent le rapport des habitants à l’Etat, ses représentants locaux, ainsi qu’aux autres acteurs politiques et associatifs présents localement. La conception du politique adoptée ici est ‘classique’ au sens où elle se concentre sur les acteurs institutionnels, mais elle ne s’intéresse pas tant à la politisation des acteurs via élections ou adhésion partisane qu’à un processus continu de politisation se nourrissant de situations concrètes, parfois quotidiennes d’interaction. Trois cadres d’interaction seront plus particulièrement considérés ici : la récupération et l’inhumation des corps des militants armés ; la politique de dédommagement des victimes et d’accompagnement des retours aux villages et, enfin, les points de contrôle policiers ou militaires sur les axes de circulation. Il s’agira notamment d’analyser la façon dont les expériences sociales et mémoires de violences se trouvent mobilisées, incarnées et éventuellement retraduite dans un contexte où l’Etat n’est plus seulement Etat d’exception et policier mais aussi Etat reconstructeur, distributeur et éventuellement susceptible de rendre des comptes, et où les autres entrepreneurs politiques sont amenés à se repositionner pour prétendre pouvoir dire et faire l’identité locale.


ZAKI Lamia

La légitimation du piratage électrique dans les bidonvilles casablancais : entre politisation de la souffrance quotidienne et intégration des règles du jeu autoritaire

Le développement du piratage électrique dans les bidonvilles casablancais durant les années 1990 a finalement abouti à l’électrification formelle de ces espaces, malgré la réticence des pouvoirs publics (qui craignaient que l’introduction d’infrastructures collectives ne soit perçue par les habitants comme une reconnaissance du droit à l’existence des bidonvilles).
La légitimation du braconnage par les bidonvillois s’appuie sur la dénonciation d’une souffrance quotidienne jugée intolérable. L’argumentaire se base sur des registres sentimentaux qui expriment l’ambivalence d’une identité vécue le plus souvent comme disqualifiante, mais qui peut aussi être assumée et revendiquée comme motif de dignité. L’épreuve de la vie précaire et instable du bidonville est acceptée dans la durée parce qu’elle prend sens politiquement et ouvre des droits sur l’avenir (droit à l’électricité, mais surtout au relogement). L’argument du vécu amène ainsi à court-circuiter la raison d’Etat, puisque quelle que soit l’illégitimité (ou plutôt le caractère illégal) de l’implantation bidonvilloise, elle ne justifie pas le traitement infligé.
Mais si la politisation de l’expérience ordinaire (celle de la vie sans lumière) est efficace, c’est surtout parce qu’elle repose sur une bonne intégration des marges de manœuvre et des contraintes du contexte politique. Les sentiments (d’injustice, d’aspiration à la dignité…) exprimés par les bidonvillois passent par une réappropriation du lexique de la démocratie et des droits de l’Homme, largement utilisé par les acteurs de la politique institutionnelle depuis les années 1990 : les motifs invoqués sont ainsi adaptés au contexte de la " libéralisation politique " du pays. Mais le contexte autoritaire impose aussi l’expression d’affects politiquement corrects, avec en particulier la réaffirmation de l’amour éprouvé pour le roi (même si ces émotions obligées peuvent être réinterprétées par les bidonvillois pour légitimer le braconnage).


BARRAULT Lorenzo

Les politisations différentielles de jeunes des milieux populaires : mobilisation des expériences pratiques et influences des conditions quotidiennes d’existence

Les rapports au politique des jeunes des milieux populaires sont pluriels et non sans lien avec certaines configurations de propriétés sociales. Vingt six entretiens approfondis semi directifs ont été réalisés auprès de jeunes des catégories populaires scolarisés dans l’enseignement professionnel, ainsi qu’un travail d’observation ethnographique au lycée. De manière générale, on peut souligner le poids des expériences sociales quotidiennes en matière de politisation.
Certains jeunes des milieux populaires sont impliqués politiquement : ils disposent notamment d’un certain capital culturel autodidacte et évoluent dans des milieux où la politique n’est que peu mise à distance. D’autres, particulièrement favorisés au sein des catégories populaires et peu confrontés aux difficultés sociales, ne s’intéressent pour le moment pas à la politique et préfèrent " se distraire ". Certains jeunes plus démunis et relégués socialement sont particulièrement désespérés : leurs conditions quotidiennes d’existence sont au principe de leur scepticisme politique. Ils s’expriment cependant parfois politiquement de manière peu commune (lettre au Président …) et mettent en œuvre certaines compétences pratiques sur des enjeux considérés comme les concernant directement (racisme, contrôles d’identité…). Enfin, les plus marginaux encore scolarisés, défavorisés socialement et issus de l’immigration, sont indifférents politiquement : les spécificités de leurs expériences sociales sont au principe de leur défaut de sentiment d’appartenance nationale qui explique pour une large part leur distance au politique.


SALLES Pierre Olivier

La politisation par l'échange. Montées en généralité et "insertion équilibrante" dans les clubs de troc argentins

La notion de politisation tend fréquemment à être interrogée en référence à un espace conventionnellement défini, construit et différencié comme politique. Dans cette communication, nous nous proposons de l'envisager de manière plus diffuse en nous intéressant aux opérations plurielles de montées en généralité qui se donnent à voir dans des configurations particulières non explicitement connectées aux catégories traditionnellement associées à la sphère politique.
A travers l'exemple des "clubs de troc" argentins, nous verrons autour de quels dispositifs pratiques, orientés vers des situations d'échanges parallèles de biens et services, se nouent des opérations de prise de parole de la part des acteurs engagés dans ces transactions. Nous rapporterons la genèse de ces processus à l'analyse des modalités d'"insertion équilibrante" en terme d'identité sociale de ces acteurs au sein de l'espace du troc, au regard de leurs trajectoires sociales et des évolutions contextuelles touchant leur environnement.