Atelier 14
Les
enjeux politiques des émeutes urbaines
The
political stakes of urban riots
Responsables
scientifiques :
Valérie Sala Pala (INED/CRAPE) vsalapala@aol.com
Lionel
Arnaud (CRAPE) Lionelarno@aol.com
Résumés /Abstracts
BACOT Paul (IEP
de Lyon, UMR 5206 Triangle)
Désignations et représentations des événements de novembre 2005 en France
Plusieurs
expressions ont été utilisées, avec des fréquences
très inégales, pour désigner les événements
survenus dans les banlieues populaires françaises en novembre 2005, notamment :
émeutes ou violences urbaines ; crise, révolte, révolution
ou soulèvement des banlieues. Partant du principe que la façon
dont une réalité est dénommée par celui qui en parle
est révélatrice de la représentation quil sen
fait en même temps quelle contribue à la diffusion de cette
représentation, on sintéresse aux différentes modalités
selon lesquelles ces faits ont été appelés. Au-delà
de leur listage, les différentes formes de désignation font lobjet
de plusieurs classements selon les mots utilisés en distinguant
par exemple celles qui réfèrent au lieu (banlieue, urbain), aux
acteurs (jeunes), au modus operandi (émeute, violence), à la date
(novembre, automne) ou encore aux motivations (révolte). Le mode de désignation
de tels événements est à mettre en relation avec les propriétés
sociales de leurs acteurs et les stratégies des entreprises dinformation
et de représentation.
Une approche
comparative est esquissée dans une perspective diachronique, en mobilisant
les façons dont dautres événements, partageant des
caractéristiques communes avec ceux de novembre 2005, ont été
désignés (Mai 68, les grèves insurrectionnelles de 1947,
le mouvement de novembre 1995, le mouvement anti-CPE, les Émeutes de
Constantine
).
Cette étude
de politologie lexicale tente également dexpliquer labsence
de construction dun chrononyme, i.e. dun nom propre (nom simple
ou groupe nominal figé prenant la forme dun désignateur
rigide, écrit avec une capitale initiale, ayant un référent
unique et bénéficiant dune certaine exclusivité).
On sinterroge sur ce qui est sans doute un stigmate particulièrement
délégitimant : ces événements nont tout
simplement pas de nom !
Designations and representations of the November 2005 events in France
Several
terms have been used, with very unequal frequency, to refer to the events which
occurred in the French suburbs in November 2005, such as : émeutes
or violences urbaines (urban riots or unrest) ; crise
(crisis), révolte, revolution ou soulèvement
des banlieues (revolt, revolution or suburban uprisings).
Working on the assumption that the way a phenomenon is named by the speaker
reveals the representation he uses, while at the same time contributing to the
diffusion of this very representation, this paper will aim at showing the various
modes these events have been referred to. Beyond their listing, different ways
of naming are subject to different modes of classification according to the
words used distinguishing for instance those which refer to the place
(banlieue, urbain), to the actors (les jeunes young
people), to the modus operandi (émeute, violence),
to the dates (novembre, automne November, autumn)
or again to the motivations (révolte). The designation mode of
such events is to be related to the actors social properties and to the
information and representation groups strategies.
We
will sketch a comparative approach in a diachronic viewpoint, analysing the
ways other events, similar to those of November 2005, have been referred to
(May 68, the1947 insurrectionary strikes, the November 1995 movement, the anti
CPE movement, the Constantine riots
). This essay in lexical politology
will attempt as well to explain the lack of construction of any chrononym,
that is to say a proper noun (simple name or set nominal group shaped like a
rigid designator written with an initial capital, with a unique referent and
having quite an exclusivity. We will question what is probably a stigma depriving
events of their legitimacy: those events have simply no name!
LAFARGUE DE
GRANGENEUVE Loïc (Institut des Sciences sociales du Politique, ENS de Cachan)
Les ambiguïtés dune émeute vocale. Le rap français face aux violences urbaines
Lors
des émeutes urbaines de lautomne 2005, le rap a été
mis à lindex par des parlementaires de droite au nom de lidée
selon laquelle les textes des rappeurs contribueraient à produire de
la délinquance et à attiser la haine de la police. Pourtant, à
la suite de ces événements, les médias ont également
mis en avant lengagement politique de certains rappeurs en raison de leur
participation à la campagne dinscription sur les listes électorales
dans les banlieues.
Cette oscillation
du regard porté sur le rap français nest pas nouvelle. Incontestablement,
beaucoup de rappeurs cherchent en effet à susciter une prise de conscience.
Or, contrairement à ce que lon pourrait imaginer au premier abord,
en dehors de leur pratique artistique, les rappeurs sont peu nombreux à
sengager publiquement en faveur dune cause. Ce contraste entre le
potentiel protestataire du rap et la faiblesse de lengagement politique
de ses acteurs est à lorigine de bien des désillusions.
Il sagit
danalyser le rôle du rap comme vecteur éventuel de politisation,
et plus largement détudier ce que les rappeurs disent des émeutes
et de la politique. La violence est-elle considérée comme une
forme daction légitime pour se faire entendre ? La participation
politique est-elle valorisée, et sous quelle forme ? Les textes
de rap se situent de fait dans un continuum qui va de lincitation à
la révolte à lappel au vote, en passant par la compréhension
des émeutiers et la déploration des conséquences négatives
de ces événements et des luttes internes aux jeunes de banlieue.
Les rappeurs expriment un rejet massif de loffre politique existante et
dénoncent la politique telle quelle est, à limage
de ce que pensent les jeunes des quartiers populaires. Les paroles des rappeurs
doivent donc être mises en relation avec lensemble des politiques
publiques qui concernent cette catégorie de la population.
An Ambiguous Vocal Riot. French Rap Music About Urban Riots
During
the urban riots that occurred in autumn 2005, members of Parliament (on the
right) criticized rap music in the name of this idea: rap lyrics might produce
delinquency and hate against the police. Nevertheless, after these events, the
media have insisted on the political commitment of some rappers because of their
involvement with voter registration campaigns in poor suburbs.
French rap has always produced controversies. Most rappers do try hard to make
people more conscious of social issues. But behind their artistic production,
only a few of them have a classical political commitment. This contrast between
the protest potential of rap and the weakness of the rappers political
commitment produces disillusion.
This communication deals with rap as a politization vector: what do rappers
say about riots and politics? Do they consider violence as a normal way to be
heard by government? Is political participation supported, and in what way?
Rap lyrics support all kind of positions: incitation to revolt, call to vote,
understanding for rioters, and regret about negative consequences of these events
and of internal fights in poor suburbs. Rappers make claims about the current
state of political offer and denounce politics as it is, just like young people
in poor neighborhoods do. Rap lyrics must then be related to all public policies
concerning this population.
MAZOUZ Sarah
(Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux, IRIS)
Entre classe, race et genre ? Retour sur la participation ou la non participation des jeunes de banlieue aux émeutes de lautomne 2005
Dans cette communication, jaimerais revenir sur la manière dont certain-e-s de mes enquêté-e-s ont décrit les émeutes de lautomne 2005 et leur positionnement par rapport à cet événement certains y ont participé, dautres ont adopté davantage une position dobservateur approuvant ou non le mouvement afin danalyser dans leurs discours et leurs pratiques les modalités prises par les rapports de classe, de race et de genre au sein de cette mobilisation. Il sagira, donc, de voir comment est conçu par ces enquêté-e-s le sens des émeutes de lautomne 2005 et de tenter de reconstituer à partir de là des pratiques. Il est en effet frappant de voir comment la plupart dentre eux définissent ces émeutes comme non politiques afin de disqualifier, non pas les émeutes, mais le politique entendu comme politique politicienne et partisane alors même quils en analysent le déclenchement en termes moraux et politiques. Ces enquêté-e-s mêlent aussi dans lexplication quils donnent de cet événement et de leur participation ou de leur non-participation des analyses en termes de classes, de race et de genre. En ce sens lexpérience individuelle de la stigmatisation et des discriminations raciales constitue une communauté de destin en même temps quelle révèle limbrication des rapports de classe et de race. La participation ou non aux émeutes exprime et renforce, quant à elle, la manière dont se construisent les rapports de genre. Il sagirait donc davantage dimbrication ou dintersectionnalité des rapports de classe et de race que de fragmentation alors que les rapports de genre, dans certains cas quil faudra préciser, introduisent une forme de diversification dans la manière quont ces enquêté-e-s de penser leur rapport à ce mouvement.
Race, Class, or Gender? Looking Back at Who Did and Who Did not Participate in the Riots in the Suburbs of Paris in Autumn / Fall 2005
My contribution will examine the ways in which the young people I interviewed in june and july 2006 describe the riots in autumn / fall 2005 and how they explain their attitudes towards and their participation or non-participation in the events. Analysis of the interviews will show how issues of class, race and gender played a role in determining the positions that the young people interviewed adopted. My paper examines meanings that young people living in the suburbs have subsequently assigned to the riots and tries to reconstruct their behavior at the time from their recollections. It is striking that most of them conceive of the riots as non-political so as to distance themselves from the government and from politics. And yet they use words and concepts with both political and moral connotations in their assessment of how the riots started. What is more, they justify their participation (or non-participation) in the riots by appealing to issues of class, race and gender. Their common experience of racial discrimination reveals the degree to which issues of class and issues of race are interrelated, while gender emerges as a determining factor in whether the young people I spoke to participated. Thus it seems that intersectionality, rather than fragmentation is a more helpful concept for thinking about the ways in which race and class issues were linked in the riots, while gender plays a key role in determining how the interviewees rationalize their stance and their (non-)participation.
LONCLE Patricia
(Ecole nationale de la santé publique, ENSP/Centre de recherche sur laction
politique en Europe, CRAPE) et MUNIGLIA Virginie (CRAPE/ENSP)
Le modèle rennais de politiques jeunesse aux prises avec les émeutes urbaines
Cette communication vise à présenter un projet de recherche en cours dun groupe de chercheurs rennais sur les émeutes urbaines (Lionel Arnaud, Gwen Hamdi, Patricia Loncle, Virginie Muniglia, Sylvie Ollitrault, Marc Rouzeau, Valérie Sala Pala). Etant donné la littérature déjà abondante autour des émeutes de novembre 2005, lun des objectifs de ce projet est dapprofondir un terrain local en multipliant les angles de recherche sur ce territoire (en loccurrence, Rennes). Simultanément, lobjectif est de sinterroger concrètement sur limpact des émeutes, ce qui suppose danalyser 1) dans quelle mesure les émeutes de novembre 2005 ont engendré des changements et 2) comment on peut spécifier ces changements dans le rapport des " jeunes " à " la politique " et dans le rapport de " la politique " (au double sens de personnel politique et de politiques publiques) aux " jeunes ". Autrement dit, il sagit dêtre attentif à un " moment politique " fort (et pas toujours reconnu en tant que tel par les politiques) et à ses conséquences politiques. Les différents membres du groupe se sont répartis le travail autour des axes suivants : limpact des émeutes sur les formes d" auto-organisation " dans les quartiers (associations de jeunes, médiateurs religieux, etc.) ; limpact des émeutes sur le rapport subjectif des jeunes des quartiers populaires à la " politique " ; limpact des émeutes sur laction publique locale (dans le champ de la police, de la justice, de la jeunesse et de la politique de la ville). Le matériau de recherche sera recueilli par le biais dentretiens semi-directifs auprès des jeunes, des habitants, des élus, des personnels administratifs et des militants associatifs. La présentation lors de latelier sattachera à livrer les résultats intermédiaires des investigations des différents membres du groupe.
The "Rennais" Model of Youth Policies Battling with Urban Riots
This communication aims at presenting a collective work carried out by a "rennais" research group on urban riots (Lionel Arnaud, Gwen Hamdi, Patricia Loncle, Virginie Muniglia, Sylvie Ollitrault, Marc Rouzeau, Valérie Sala Pala). Considering the already extensive literature about the urban riots of November 2005, one of the objectives of this project is to scrutinise their local dimension, bringing in various analyses and points of view on a single territory (in this case, Rennes). Simultaneously, the aim is understand the impact of the riots, which implies to analyse 1) to what extent the riots of November 2005 have generated changes and 2) how changes can be specified considering young peoples relationships with politics and policies and with regard to politics and policies relationships with young people. In other words, it is a matter of being attentive to a strong "political moment" (and not always recognized as such by politicians) and to its political consequences. The different members of the group have shared the work out according to the following axes: the impact of the riots in shaping forms of "self-organisation" in the area; the impact of the riots on the subjective relationships of the young people of deprived areas with politics; the impact of the riots on the local decision-making process (in the field of police, justice, youth policy and urban policy). The research material will be collected by means of semi-directive interviews with young people, inhabitants, elected staff, civil servants and NGOs militants. The presentation during the workshop will consist of a feedback on the intermediate results of the investigations of the different members of the group.
LOCH Dietmar
(Université Pierre Mendès France/Grenoble 2 et PACTE/CNRS, IEP
de Grenoble)
Jeunes issus de limmigration et émeutes urbaines. Une comparaison entre la France et lAllemagne
Les
émeutes urbaines de 2005 dans les banlieues françaises ont eu
des effets dimitation sur le comportement de jeunes marginalisés
dans les villes allemandes. Toutefois, contrairement à la France ou encore
à lAngleterre, lAllemagne ne connaît pas cette forme
de manifestations violentes. Pour comprendre cette différence, nous nous
concentrerons sur la comparaison entre les marginalités urbaines vécues
par les jeunes issus de limmigration maghrébine en France et celles
vécues par les jeunes issus de limmigration turque en Allemagne.
Dans cette analyse, nous distinguerons trois niveaux.
Premièrement,
nous comparerons les processus dexclusion et dintégration
de ces jeunes au niveau individuel à travers leur parcours de socialisation.
Deuxièmement, les différents " modèles dintégration "
des deux pays nous permettront détudier au niveau institutionnel
les politiques publiques menées à légard de ces populations
et leurs effets respectifs. Et troisièmement, cest au niveau intermédiaire
se situant entre les jeunes et lEtat que nous analyserons les ressemblances
et les différences dans la conflictualisation des demandes sociales,
dans les médiations et dans les représentations politiques.
Dans ces
comparaisons, nous pouvons observer plusieurs ressemblances socio-structurelles
(parcours scolaires, chômage, exclusion, etc.) qui constituent un potentiel
de protestation dans les deux pays. Nous supposons cependant que ce sont les
facteurs politico-culturels (la dimension postcoloniale, les cultures politiques,
les systèmes de représentation et de médiation, etc.) qui
expliquent le plus la différence concernant ces émeutes. Cette
hypothèse nous permettra également de réfléchir
sur les " nouveaux conflits de reconnaissance " qui émergent
dans les quartiers marginalisés des villes européennes. Ces conflits
pourraient avoir une fonction socialisatrice et ainsi des effets positifs sur
la cohésion de la société urbaine.
Immigrant Youth and Urban Riots. A Comparison of France and Germany
The
recent urban riots in French suburbs had a copycat effect on the behaviour of
marginalized youth in German cities. Nonetheless, unlike France or England,
Germany has not traditionally witnessed this form of violent protest. In order
to understand why, this contribution will compare the urban marginalization
lived by youths of North African descent in France with that lived by youths
of Turkish descent in Germany. This analysis will focus on three levels.
First, we will compare processes of youth exclusion and integration at the individual
level through the examination of youth socialization. Second, the different
"integration models" of the two countries will permit an institutional
study of public policies aimed at these populations as well as their impacts
on them. Third, we will discuss an intermediary level found between individuals
and the State that identifies similarities and differences in both the "conflictualization"
of social demands and mediation through interest representation.
Through these comparisons, it will be possible to observe numerous socio-structural
similarities concerning migrant youths in France and Germany (i.e. education
paths, unemployment, exclusion, etc.) that construct the potential for protest
in the two countries. We assume that political-cultural factors (post-colonial
dimensions, political culture, interest representation systems, etc.) explain
the differences in rioting between France and Germany despite the similarities
between excluded youth populations cited above. The development of this hypothesis
will allow us to reflect on a "new conflict for recognition" that
has emerged in the marginalized neighbourhoods of numerous European cities,
which acts as a socializing agent and actually has positive effects on cohesion
in urban society.