Atelier 15

Analyser les (dis)continuités de la conflictualité au travail : un objet délaissé par la sociologie de l’action collective
Rethinking the present of industrial conflicts within the study of contentious politics

Responsables scientifiques :
Baptiste Giraud (ATER en science politique, Université Paris 1/CRPS - UMR 8057) baptistegiraud@hotmail.com
Sophie Béroud (MCF en science politique, Université Lyon 2/TRIANGLE - UMR 5206) sophie.beroud@unvi-lyon2.fr

 

Résumés /Abstracts

BEROUD Sophie (Université Lyon 2, TRIANGLE) et GIRAUD Baptiste (Université Paris 1, CRPS)

Faire discuter la sociologie des grèves et la sociologie des mobilisations : les conditions et les contours d’une analyse dynamique de la conflictualité au travail

Cette communication se propose, en guise d’introduction à la discussion de l’atelier, de revenir sur les raisons du désintérêt scientifique pour les conflits du travail au cours de ces dernières années. Le déclin massif du nombre de jours de grève conjugué aux logiques de cloisonnement entre les disciplines scientifiques a puissamment contribué à évacuer cet objet d’étude du champ des paradigmes dominants de la sociologie du travail, de la sociologie du syndicalisme, comme de la sociologie des mobilisations collectives. Dans cette dernière, la focalisation de nombreux travaux sur les " nouveaux " mouvements sociaux a semblé se fonder sur l’hypothèse d’une marginalisation du monde du travail dans l’espace des mobilisations. Loin de souscrire à cette vision, l’enquête REPONSE 2005, réalisée par la DARES du ministère du travail, fait au contraire état d’une intensification de la conflictualité au travail, mais sous des formes privilégiant le recours à des mouvements de grève plus sporadiques ou des formes d’action collective sans arrêt de travail. Moins visibles, ces mobilisations n’en demeurent pas moins centrales dans l’espace de la contestation sociale, ne serait-ce que par leur fréquence et le nombre d’individus qu’elles concernent. Dans cette optique, la revalorisation de l’objet d’étude des conflits du travail au cœur des préoccupations de la sociologie de l’action collective ouvre des voies d’investigation fertiles. Elle est tout d’abord une manière de valoriser les apports heuristiques de ses outils et de ses concepts pour penser les logiques structurelles et interactionnelles par lesquelles s’adaptent les modes de gestion du répertoire d’action syndical. En retour, l’examen de ces dynamiques constitue une manière originale de prolonger les réflexions sur les transformations du répertoire de l’action collective, en cernant moins son renouveau, que les difficultés qui pèsent sur l’activation de registres de protestation traditionnels.

Connecting industrial relations and the study of contentious politics around the industrial conflicts

As an introduction of the debates of the workshop, this paper aims at highlighting the factors that have led to exclude the industial conflicts from the main topics invested by the French scientists for the last two decades. One main reason of this disinterest may be linked to the dynamics of division within the french scientific field. Indeed, they can help us to understand why the study of contentious has been developped and institutionnalized in a way that has contribute to abandonne the topics of industrial relations and of trade-unionism to other academic eras. Moreover, the decline of the number of strikes and of trade unionists that have been registered since the end of the 1970’s has certainly encouraged to focus the analysis of protest on the "new" social movements. But, far from concluding to the disappearing of industrial disputes, the last investigation ("Enquête Réponse"), directed by the French Minister of Work in 2005, reveals their number has increased since the previous edition in 1998. It’s true that these mobilizations seem to have been somewhat changed in substance — fewer strikes that last more than two days, and, on the contrary more forms of action without stoppage of work. But, conflict at work still represent a major part of the french social movements. Then, we would like to consider the interest to bring the industrial conflicts back in the study of these social movements. At first, it can be an opportunity to understand the transformations of the forms of collective action invested by the workforce, thanks to the toolskit provided by the sociology of collective action. In turn, these examination can be considered as manner to highlight a dimension in the transformations of the repertoire of action invested by the activists : the obstacles that make the activation of some traditionnal mode of action more difficult.


DENIS Jean-Michel (Université Marne La Vallée, CEE)

Les salariés, la représentation et l’action collective : de la distance à l’engagement

Dans le prolongement d’une réflexion menée depuis plusieurs années sur l’évolution de la conflictualité au travail, cette communication vise à comprendre les logiques a priori paradoxales que fait ressurgir l’enquête Reponse quant aux rapports qu’entretiennent les salariés avec l’action collective. Elle révèle en effet la faible disponibilité des salariés à considérer les représentants syndicaux comme des porte-parole efficaces de leurs problèmes. De telles attitudes semblent alors souscrire à l’idée d’une dynamique de désaffection à l’égard du syndicalisme. Pourtant, dans le même temps, on assiste à un redéploiement des conflits du travail qui s’exprime de façon très privilégiée dans les établissements où les délégués syndicaux sont présents et en capacité, par leurs savoir-faire militants et leurs ressources organisationnelles, de déclencher ou d’encadrer les conflits collectifs. Dès lors, l’objet de notre réflexion sera précisément de cerner comment s’articulent les rapports des salariés à leurs représentants et à l’engagement collectif. De ce point de vue, l’exploitation de l’enquête Reponse pourra nous aider à repérer dans quelles conditions l’encadrement syndical et les formes d’action investies (avec arrêt de travail, sans arrêt de travail, etc…) contribuent à façonner l’inclination différenciée des salariés à participer à un conflit collectif. Dans cette perspective, plusieurs pistes, qu’il nous faudra creuser, valider ou infirmer, peuvent déjà être spontanément énoncées : celle de la désarticulation syndicats/salariés, de l’instrumentalisation des seconds par les premiers, de l’engagement plus distancé et maîtrisé des salariés dans les conflits collectifs - déjà souligné lors de la précédente édition de l’enquête.

The Workforce, its Representation and Collective Action : From Stand-Off to Engagement

The results provided by the 2003-2004 edition of the Réponse inquiry show that industrial disputes have developed from a state of affairs that is a priori a paradox: that is, a marked disaffection by the workforce vis-à-vis their representatives. This is shown both by the fact that the rate of unionisation, which had stabilised during the 1990s, has fallen again, and also that the workers now express a very ambivalent attitude to collective representation — the workforce deciding in the majority of cases not to approach them when problems arise, and being sceptical as to their effectiveness. But, this inquiry also reveals that industrial disputes are more numerous in the establishments where workers’ representatives and above all trade union officials are present. The coverage in the section concerning employees in the Réponse inquiry should let us know if they also further participated and if their engagement was modulated according to the type of dispute (with or without stoppage of work). Further lines of inquiry which we must explore, either to validate or invalidate our ideas, can already be discerned without further ado: that of the disconnection between the unions and the workers, of the exploitation of the second of these by the first, of the engagement more remote and controlled by the workforce in general disputes, already emphasised from the previous edition of the inquiry.


PÉLISSE Jérôme (Université Reims, AEP/IDHE)

Juridicisation n’est pas judiciarisation : usages et réappropriation du droit dans la conflictualité au travail

 Fondé sur des données diverses (statistiques et qualitatives), cette communication explorera comment les conflits du travail contribuent à redéfinir la légalité quotidienne au travail. On entend par là le régime de normativité propre à une branche, une entreprise ou un établissement, voire un atelier ou un service qui encadre ce qui apparaît légitime ou non, et s’apparente au droit en actes tel qu’il est construit par les acteurs en situation ordinaire de travail. En quoi le conflit — les formes qu’il prend, les thèmes sur lesquels il se déploie, les acteurs qu’il engage — rebat ou non les cartes de ces formes quotidiennes de légalité ?  Cette question générale, s’inscrivant dans une perspective constitutive du droit alimentée par des travaux américains, sera explorée plus précisément dans deux directions empiriques dans cette communication. La première cherchera à montrer, à l’inverse, en quoi la juridicisation et la formalisation des relations sociales intervenues ces dernières années — que documentent aussi bien les enquêtes REPONSE que des travaux plus qualitatifs autour des 35 heures (qui ont été un puissant moteur de cette formalisation) — ne débouchent pas forcément sur une judiciarisation des conflits du travail, pourtant décriée par certains. Outre le fait que ce dernier constat n’est pas globalement étayé statistiquement, il s’agit de casser la superposition entre deux processus dont l’un est peut-être une condition nécessaire mais en rien suffisante du second, tant la mobilisation (ou l’inactivation) du droit comme cadre public et extérieur à la relation de travail fait écran entre eux deux. Une seconde direction sera alors empruntée pour faire le lien entre l’approche constitutive du droit présentée initialement, et les vertus instrumentales du droit - comme arme et ressource et pas seulement comme cadre - dans les conflits du travail. Il s’agira ici d’étudier les conditions et les formes contemporaines d’usages et de réappropriation du droit dans des conflits du travail localisés, à travers un ou des exemples empiriques sociologiquement significatifs.

Rethinking the diversity of the modes of activation and appropriation of the law in industrial disputes

Based on statiscal data and qualitative fields, this paper aims at studying how conflicts at workplace redefine the social construction of legality at work. As legality, we refer to the works on legal consciousness studies (and notably to Ewick et Silbey work, 1998), which pattern the ways ordinary people contribute to the commonplace of law with their representations, actions and uses (or not uses) of law in everyday life. In what ways the conflict at workplace — with its forms, topics, actors — reshuffles or not the ordinary legality of work ? Two empirical and more precisely directions could be raised to deepen this interrogation. First, the question could be reversed, by examining how the process of juridicization and formalization of industrial relations at workplace is not a litigation process by itself, as many criticize it. In addition to the fact that this litigation process is not statically demonstrated, juridicization is only a necessary and non sufficient condition to the release and increase of litigation. Indeed, the mobilization of law as a public framework of the labour relation is a theoretical and empirical node between these two processes. Second, we don’t let the instrumental perspective on law by analyzing how it could be too a resource and a weapon (and not only a frame) in conflicts at workplace. Empirical evidence based on monograph(s) and local conflicts studies would be developed here.


MICHEL Hélène (Université Lille 2, CERAPS)

Les conflits du travail à l'aune des prud'hommes : usages et enjeux du registre judiciaire par les syndicalistes

Lieu de règlement judiciaire des conflits individuels du travail, les conseils de prud’hommes offrent un observatoire privilégié d’un registre particulier de défense des salariés. S’appuyant sur une vaste enquête relative à la sociologie des conseillers prud’hommes et à leurs pratiques au sein de l’institution, cette communication se propose de rendre compte des différents investissements que les conseillers salariés font du registre judiciaire en fonction de leurs dispositions juridiques et de leurs conceptions du syndicalisme. Elle entend montrer que ce qui se joue aux prud’hommes dans les règlements des conflits du travail, c’est à la fois la place du registre judiciaire dans l’action collective syndicale et le rôle des syndicalistes dans la justice et en particulier la justice du travail.

Industrial Tribunals and Labour Conflicts : the Judicial Register in Unionism

Industrial tribunals, as forums for the resolution of individual labour conflicts, present a good opportunity to observe the use of judicial register by trade-unions. Based on a wide enquiry related to the sociology of labour judges and their practice within the tribunals, this communication proposes to show how theses judges use labour jurisdictions in relation to their competences, their social background and their conceptions of unionism. It also points out the main conditions that favour the recourse to such a register among others by unionists and it reveals what is at stake in the adoption of a judicial register as far as collective action is concerned.