Atelier 17

" Porter les Évangiles au monde " : les logiques religieuses d’engagements politiques des catholiques au XXème siècle.
" Bring the Gospel to the World " : Religious logic of Catholics political commitment during the 20th Century

Responsables scientifiques :
Magali Della Sudda (doctorante en histoire ETT-CMH, EHESS / Université La Sapienza de Rome, ATER à Lille II) magali_ds@hotmail.com
Yann Raison du Cleuziou (doctorant en science politique CRPS / Paris I, ATER à Paris I) raison_du_cleuziou@yahoo.fr

 

Résumés /Abstracts

DELLA SUDDA Magali (ETT-CMH, EHESS, associée au CERAPS, Lille II)

Résoudre la question sociale l’évangile à la main ". Itinéraires religieux et politiques à la Ligue patriotique des Françaises et à l’Unione fra le donne cattoliche d’Italia (1900-1930)

L’atelier sera l’occasion de mettre au jour les trajectoires de militantes d’action catholique en France et en Italie durant les premières décennies du XXe siècle.
Nous souhaitons à travers ces exemples, analyser les modalités d’engagement féminin conservateur avant le droit de suffrage pour mieux comprendre, à l’aune de ces trajectoires, le rôle joué par certaines crises politiques du début du siècle et par les transformations du champ politique — création des partis politiques modernes, passage du parti de notable aux partis de masse dans les années 1920 -, du champ religieux — poursuite de la féminisation de la pratique religieuse, promotion de l’apostolat des laïques, spécialisation de l’action catholique — mais aussi des évolutions sociales et économiques conduisant non seulement à des remises en cause des rapports sociaux de classe mais aussi de sexe dans l’Eglise et dans la société.
Les associations d’action catholique féminine que nous étudions ont été fondées durant la première partie du XXe siècle.
La Ligue patriotique des Françaises voit le jour en 1902 et a pour but principal de reconquérir le pays en proie à la laïcisation et à la sécularisation. Fondée par des aristocrates - des " héritières en politiques " et des Filles de Marie — elle se développe rapidement pour atteindre 545 000 membres en 1914 et près de deux millions en 1938. Négligée par les historiens comme par les politistes, la plus grande association féminine du XXe siècle a été un lieu de définition des pratiques politiques féminines conservatrices, de redéfinition des rapports de genre — sans jamais contester ouvertement leur économie hiérarchique — et d’innovation dans les modalités de l’engagement religieux féminin.
A travers les parcours des cadres que nous avons pu retracer, nous mettrons en lumière les tensions, les conflits et les processus d’imposition d’une définition des pratiques politiques et religieuses légitimes pour des femmes qui se voulaient avant tout des conservatrices de la vertu, des défenseuses de la patrie, de l’ordre, et de l’Eglise.
La comparaison avec l’Union entre les femmes catholiques d’Italie (UDCI) fondée en réaction au congrès des féministes italiennes de 1908, s’inscrit dans une ligne similaire de reconquête. Mais les Italiennes n’ont pas utilisé les mêmes moyens que les Françaises pour parvenir à leurs fins. La quête électorale ne s’exporte par en Italie, l’action sociale reste circonscrite à certains comités du nord de la péninsule, tandis que l’action religieuse et culturelle devient le principal moyen d’apostolat des femmes par les femmes. L’action politique n’est pas conçue comme le prolongement nécessaire de l’action religieuse comme ce fut le cas en France.
Nous verrons ainsi comment s’imposent de part et d’autre des Alpes des définitions différentes de l’action politique légitime pour les catholiques françaises et italiennes durant les premières décennies du XXe siècle.

The workshop will focus on the religious and political involvement of French and Italian Women’s Catholic Action. Thanks to few example of Catholic women activists we will analyse the ways in which conservative female activism has been set up during the first decades of the 20th century. We will try to understand the role played by major political and social crisis, such as the 1901 law on associations in France or the 1908 feminist congress in Italy, in the evolution of religious commitment for these women. How political changes — the apparition of modern political parties, the evolution toward mass parties during the twenties -, religious changes — the ongoing feminisation of religious practice, the lay apostolate, the evolution of Catholic Action — have reshaped the ways of being a catholic women conceives their role in the society and were committed into it. How these evolutions have questioned class and gender hierarchies within society and within the Catholic Church?
The French Ligue patriotique des Françaises (LPDF) founded in 1902 to raise funds for catholic candidates in the 1902 elections rapidly grew and reached about 2 millions members in 1938. Through the case of some leaders of the league we will analyse the ways in which legitimate women’s political practice has been define within the association. Because they refuse the vote for women, these ladies couldn’t use the same repertory of action than the feminists, though they claim playing a part in the political fate of the country.
The comparison with the Italian case will provide a more complex understanding of this process. In Italy, the Union of Catholic Women of Italy (UDCI) set up in 1908 in reaction to the feminist congress of 1908, clearly refused any direct involvement in political competition, considering that the re-conquest of the country is mainly a strictly religious one.
Confronting these two perspectives, we will put the light on different processes of redefinition of the boundaries between religious and political commitment for catholic women and the imposition of a legitimate political action, seen as an extension of the religious one — in France and in Italy.


DURIEZ Bruno (CLERSE, Lille I)

La différenciation des engagements : l’Action catholique ouvrière entre radicalisme politique et conformisme religieux

" Nous referons chrétiens nos frères " proclamaient les jocistes de l’entre-deux-guerres. A cette perspective, la JOC et l’Action catholique spécialisée liaient la transformation du monde social. Dans une même visée intégrale, le Mouvement populaire des familles, mouvement d’Eglise, entendait bien unir action politique, action familiale, action de service et projet apostolique. Mais, progressivement, le projet social devint premier et c’est sous la forme du témoignage que les militants furent invités à communiquer le sens religieux de leur action. La dissociation entre le projet général du mouvement et sa visée religieuse, la tendance à la spécialisation de ses activités et la radicalisation de ses positions politiques conduisirent à la crise du mouvement et notamment, en 1949, à la rupture du mandat d’Action catholique confié jusqu’alors par les évêques au Mouvement populaire des familles.
En créant en 1950 un nouveau mouvement, l’Action catholique ouvrière (ACO), l’épiscopat entendait éviter les risques d’une dérive vers l’action politique d’un mouvement religieux. Le nouveau mouvement doit se cantonner au " spirituel " et les militants sont alors invités à mener leur action " temporelle " en dehors de l’Eglise, dans des associations, des syndicats ou des partis. La condition mise à la participation des individus au mouvement est l’engagement dans une organisation extérieure ; les équipes doivent faire place à la diversité des orientations politiques. Il n’en sera pas tout à fait ainsi et l’histoire de l’ACO dans la seconde partie du XXe siècle sera marquée par la tension entre l’affirmation de sa solidarité avec les ouvriers qu’elle souhaite atteindre et sa neutralité politique.
" L’ACO doit [en effet] représenter l’Eglise dans la classe ouvrière et la classe ouvrière dans l’Eglise. " Pour que l’Eglise soit reconnue par les ouvriers l’ACO sera conduite, localement ou nationalement, à prendre, en tant que telle, des positions politiques et à affirmer sa solidarité avec le mouvement ouvrier. Mais, toujours, la nécessité de maintenir le lien avec l’Eglise, notamment avec les évêques, la conduira à une certaine conformité dans sa doctrine et ses pratiques religieuses.
C’est ainsi qu’en 1974, l’ACO prend position pour le socialisme et affirme son soutien à la candidature Mitterrand à l’élection présidentielle. Au même moment, elle se tient à distance de Chrétiens pour le socialisme, mouvement qui entend porter la critique des rapports de domination dans l’Eglise elle-même.
Les positions de l’ACO se transformeront au fil des ans, en fonction de la conjoncture politique et de l’évolution des autres organisations ouvrières, en fonction aussi de l’évolution de l’Eglise et de son rapport au monde social. Durant ces cinq décennies plusieurs périodes peuvent être distinguées entre lesquelles change la façon dont l’ACO affirme sa " double fidélité au mouvement ouvrier et à l’Eglise ".


VIET-DEPAULE Nathalie (CEMS, EHESS) et Charles Suaud (Université de Nantes)

Prêtres-ouvriers et syndicat


RAULT Michèle (Conservatrice en chef du patrimoine aux Archives municipales d'Ivry-sur-Seine)

L’engagement syndical de catholiques laïques engagées auprès des milieux populaires à Marseille dans les années 1940


RAISON DU CLEUZIOU Yann (CRPS, Paris I)

De la contemplation à la contestation, socio-histoire de la politisation des dominicains de la Province de France (1954-1975)

Lors du Chapitre Provincial de 1969 et à rebours de l’injonction répétée par les autorités de l’Ordre dominicain de ne pas dépasser les limites des activités spirituelles, les frères de la Province de France affirment la nécessité " évangélique " de s’engager en politique. A partir d’une thèse en cours, cette communication propose à l’aide des archives de la Province de France et d’entretiens, d’élucider les conditions de possibilité de cette politisation. Nous nous attacherons particulièrement à montrer comment depuis la fin des années cinquante l’institution dominicaine a été traversé par des conflits successifs portant sur la définition d’une identité dominicaine légitime dans la monde moderne et opposant des frères conduit par des carrières militantes divergentes à une appréhension différente de la " mission ". C’est donc tout le rapport conflictuel entre certaines cultures politiques et sociales dont les frères font l’expérience par leurs engagements apostoliques, et la culture de leur ordre religieux, dont témoignent ces enjeux institutionnels.
L’intérêt de la restitution des enjeux institutionnels de la politisation à la croisée de trajectoires sociales, religieuses et politiques diverses, est de comprendre qu’elle n’est ni un basculement, ni une reconversion ou encore une sécularisation. La politique apparaît au contraire comme une poursuite de la mission par d’autres moyens, rendus nécessaires par des expériences personnelles, des innovations théologiques et des événements spécifiques. La politisation ne manifeste alors plus une " sortie du religieux ", mais un déplacement de la norme de l’activité religieuse légitime et par conséquent du plein accomplissement de la foi et de la vocation. In fine, c’est l’ensemble des normes constitutives de l’ethos dominicain (vie conventuelle, habit, architecture, missions, relations d’autorité dans l’ordre, vie intérieure) qui sont contestées et réinventées selon une grammaire nouvelle qui valorise de nouvelles formes de religiosité dont le militantisme politique est une exigence.

From contemplation to contestation, history of the French Black Friars political involvement (1954-1975).

This lecture intends to explain the process that led the French Black Friars to involve in politics, conceived as an apostolic necessity. Our research highlights the identity conflicts, the social construction of religious activities and the institutional struggles that accompanied this politicization. It shows that this internal evolution represents a move towards a new norm of legitimate religious activity, and not a secularization of this religious order. This normative shift, which transformed the rules and symbols of the Black Friars in the considered period, is the result of a new grammar which includes politicization as a legitimate expression of religiosity.