Atelier 19

Eléments pour une théorie du " policy transfer " : la circulation des modèles de professionnalisation
Contribution to a theoretical framework for policy transfer, with special reference to professional expertise

Responsables scientifiques :
Murielle Coeurdray
(Institut des sciences sociales du politique, ISP site Cachan) murielle.coeurdray@gapp.ens-cachan.fr
Thierry Delpeuch (Institut des sciences sociales du politique, ISP site Cachan) delpeuch@gapp.ens-cachan.fr
Patrice Duran (Ecole Normale Supérieure de Cachan) duran@sociens.ens-cachan.fr
Cécile Vigour (Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines) vigour@gapp.ens-cachan.fr

 

Résumés /Abstracts

COEURDRAY Murielle (Institut des sciences sociales du politique / ISP site Cachan) et ALLAL Amin (IRMC, Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence)

Acteurs et projets du développement international au Maroc et en Tunisie : de l’injonction du " Policy transfer " à la réalité des évolutions de l’action publique

Dans les pays bénéficiaires d’aide au développement, les aides octroyées s’accompagnent d’une injonction internationale pour la mise en oeuvre de politiques publiques sous des formes décidées ailleurs. Cette conditionnalité exigée par les bailleurs de fonds n’imprime pas de façon homothétique " des manières de faire " aux politiques publiques des pays récipiendaires de l’aide.
Le transfert de politiques publiques est notamment repérable dans le fait que, par leur maîtrise d’un savoir transnational, les acteurs du développement international et leurs " partenaires " locaux forment une " communauté de langage, de savoir et de savoir faire ". Cela ne signifie pas pour autant, comme le prédisent les développeurs et certains partisans des théories de la transition démocratique, un bouleversement de l’action publique ou des hiérarchies politiques réelles, encore moins des fondements du régime politique. Le " transfert " est surtout le fruit de rapports de force et d’ajustements astreints à la trajectoire historique des politiques publiques nationales et infra nationales.
Si les mécanismes de transfert s’opèrent effectivement par des processus " d’apprentissage ", de rencontres et de socialisations circonscrites, ils n’en demeurent pas moins le produit de rapports de force politiques préexistants des configurations politiques nationales.

In the countries benefiting from aid for development, the aid offered is bound to an international injunction commanding the implementation of policies that were defined and decided in other places. This conditionality, thus wanted by the funding institutions, does not lead to bring identical practices to the policies enforced in the benefiting countries.
Policy transfer appears because the actors of international development and their local "partners, able to display a masterful use of a transnational knowledge," build up a "community of language, knowledge and know-how". Yet, that does not mean that politics or real political hierarchical orders are destabilized. And contrary to what some "developers" and supporters of the democratic transition theory use to predict, the basis of the political regimes involved are far from being changed. The "transfer" is rather a product of a moving balance of forces and adjustments tied to the historical pathway of the national and sub-national policies.
While effective transfer mechanisms occur through "learning process", gatherings, and circumscribed socialisation, they always remain as a product of political equilibriums characterising the pre-existing national political configurations.


DUMOULIN Laurence (Institut des sciences sociales du politique / ISP site Cachan) et Christian Licoppe, (Ecole nationale supérieure des Télécoms)

Genèse et circulation d’une innovation institutionnelle : le cas de la visioconférence dans la justice

A la fin des années 1990, l’utilisation de la visioconférence est apparue comme une solution susceptible d’être mobilisée pour résoudre un certain nombre de problèmes juridiques et judiciaires, initialement rencontrés à Saint-Pierre-et-Miquelon, en raison du manque de magistrats sur place. Des " visioaudiences " ont ainsi eu lieu entre les juridictions de Saint-Pierre-et-Miquelon et la Cour d’appel de Paris. La possibilité de juger à distance a ensuite été étendue à d’autres situations judiciaires, différents textes juridiques ayant permis une utilisation de la visioconférence dans des contextes qui, à bien des égards, sont extrêmement différents de celui de l’Outre-mer (contentieux des étrangers en situation irrégulière, contentieux de la détention notamment). Aujourd’hui, le ministère de la Justice et plus particulièrement son secrétariat général sont très actifs à promouvoir et étendre les possibilités de recours à la visioconférence pour des productions judiciaires. L’équipement de l’ensemble des juridictions en matériel de visioconférence a été décidé en 2006 et est actuellement en cours.
Comment comprendre que la visioconférence se soit implantée et développée en seulement l’espace de 10 ans dans un milieu, celui de la justice, généralement pensé comme rétif à la modernité et aux technologies ? Comment expliquer que cette montée en charge se soit effectuée sans rencontrer de véritable résistance alors même que ce dispositif introduit des transformations objectivement importantes dans les conditions de réalisation de l’activité judiciaire — puisque les participants d’un même procès ne sont plus physiquement réunis dans une même salle d’audience — ? Dans quelle mesure les exemples et expériences menées à l’étranger — aux Etats-Unis dès les années 1970, en Italie à partir des années 1990 — ont-ils influencé voire nourri ce processus et offrent des clefs d’explication de ce développement peu controversé ?
C’est à ces questions que cette communication propose de répondre en testant le caractère plus ou moins heuristique des théories du policy transfer proposées par Marsch et Dolowitz. A partir du cas de la visioconférence, nous montrerons que si les analyses en termes de policy transfer apportent des outils utiles pour décrire certains mécanismes d’emprunts et de circulation à différentes échelles (du local vers le national ; d’un niveau national à un autre niveau national), elles sont toutefois traversées par plusieurs limites.
La première tient à la place qui est faite à l’étranger essentiellement pensé comme une ressource pour des emprunts de " premier degré " alors que des usages pluriels de la référence à l’étranger, en particulier à des fins de légitimation, sont aussi perceptibles à un " second degré ". La seconde limite a trait à la difficulté de penser la complexité des trajectoires et des processus de fabrique d’innovations institutionnelles à l’aide du seul appareillage théorique du policy transfer.
Penser l’innovation institutionnelle non pas comme un donné, un ensemble constitué a priori mais bien comme un dispositif socio-technique dont les caractéristiques propres sont définies au fil du processus d’intéressement et d’enrôlement de nouveaux acteurs et de nouveaux alliés, peut davantage permettre de comprendre ce qui fait tenir le réseau de l’innovation, ce qui lui confère sa force. Le processus n’est pas distingué ici de ce qu’il produit, ce qui permet de concevoir que ce qui circule est aussi constitué pendant qu’il circule et par le fait même de circuler. En l’occurrence, la visioconférence ne véhicule pas un modèle professionnel univoque du juge, du greffier ou de l’avocat mais redéfinit autour d’elle ce que ces différents protagonistes du procès peuvent faire ou non en situation d’audience.


FAVAREL-GARRIGUES Gilles (CERI, Sciences Po)

La professionnalisation de l’anti-blanchiment dans le secteur bancaire français

Depuis qu’elle a émergé au niveau international à la fin des années 1980, la lutte anti-blanchiment s’est largement diffusée et a provoqué la formation d’un secteur d’activité particulier. Le combat contre l’argent sale associe acteurs publics et privés, ces derniers se situant principalement dans le secteur bancaire. L’engagement des banques dans le dispositif anti-blanchiment les a conduit à recruter du personnel, acquérir des outils informatiques, formaliser les procédures de contrôle et former les collègues. La professionnalisation de cette mission s’appuie sur des biens et services que proposent souvent des prestataires privés transnationaux (bases de données, outils de filtrage et d’analyse comportementale, activités de conseil des grands cabinets…). Cette double impulsion internationale — au niveau de l’édiction des normes et de leur mise en œuvre — provoque-t-elle l’uniformisation de la lutte anti-blanchiment ? Comment les compliance officers, en charge de la conduite de cette mission dans les établissements bancaires français, se distinguent-ils dans l’exercice de leur activité ?

The professionalization of anti-money laundering policy in the French banking sector

Since their launching in 1989, anti-money laundering (AML) policy recommendations have spread in the world and provoked the creation of new professional activities. Fighting with " dirty money " is defined by a new form of cooperation between public and private actors, especially in the banking industry. Banks’ involvement in this struggle has led them to hire specialists, to purchase databases and programs, to manage control processes and to teach colleagues about this new mission. The implementation of AML policy in the banks relies on goods and services which are often sold by transnational private firms. Shall we then consider that the double international input — in the making of international norms and in their implementation — leads to the uniformisation of professional practices devoted to AML functions ? How do French compliance officers’ professional practives distinguish themselves from one another ?


MATYJASIK Nicolas (SPIRIT, Institut d’études politiques de Bordeaux)

Le rôle des cabinets de conseil dans le transfert d’indicateurs de performance au sein des collectivités territoriales

Dans un contexte alliant une transparence croissante de l'action publique et une réduction des ressources financières des collectivités territoriales, la notion de performance a fait son apparition dans les discours et les pratiques visant à légitimer l'action politico-administrative locale. Avec cette communication, nous souhaitons interroger la construction de cette notion de "performance" et les transferts (Dolowitz, 2000) dont elle a fait l’objet, sous l'impulsion notamment des firmes de conseil.
Dans la lignée des travaux qui présentent le rôle des cabinets de conseil dans la modernisation de l’Etat (Saint-Martin, 2000), nous nous interrogerons sur le rôle des consultants dans la diffusion d’une culture de la performance dans les collectivités territoriales. Dans ce dessein, nous fonderons notre propos sur une analyse empirique du mécanisme évaluatif que nous menons sur trois territoires (Aquitaine, Lorraine et Nord-Pas-de-Calais) à travers la dialectique prestataire / commanditaire d’évaluation de politiques publiques.
Notre postulat initial consiste à affirmer que les professionnels du conseil possèdent une place prégnante dans le transfert d’indicateurs de performance au sein des collectivités. Assiste t-on alors à une managérialisation galopante de la sphère locale ?
Dans, un premier temps, nous proposerons une analyse fine du rôle des professionnels de la consultance dans les processus de transfert d’indicateurs de performance puis dans un second moment, nous questionnerons les incidences de ces mécanismes sur les collectivités territoriales, importatrices d’instruments.

The role of consultancy firms in transferring performance indicators within the local administrations

In a context combining an increasing transparency of public action (accountability) and the cutback of financial resources, a performance notion has appeared within the speeches and practices that aim to legitimize the administrative and political local action. By means of this communication, we would like to examine the structure of this " performance " notion as well as of the transfers derived from it (Dolowitz, 2000) in particular those generated under the impulse of consultancy firms.
Along the same lines as the works outlining the role of consultancy firms in the modernization of the State (Saint-Martin 2000), in this paper, we will examine the role of consultants in disseminating a culture of performance throughout the local administrations. With this purpose, we will base our comment on an evaluative mechanism analysis that we are leading in three territories (Aquitaine, Lorraine, Nord Pas-de-Calais)
Firstly, we will propose a refined analysis of the role of consultancy professionals within the process of transferring performance indicators. Secondly, we will examine the impact of these mechanisms in the local administrations, final importers of these instruments.