Atelier 2

Regards croisés sur la politisation des individus : ici et ailleurs, hier et aujourd’hui
Crossed analysis on the ‘politicization’ of individuals : here and elsewhere, yesterday and today

Responsables scientifiques :
Mounia Bennani-Chraïbi
(IEPI, Université de Lausanne) Mounia.Bennani-Chraibi@unil.ch
Jean-Gabriel Contamin (CERAPS, Université de Lille II) jgcontamin@noos.fr

 

Résumés /Abstracts

DUCHESNE Sophie (CEVIPOF - CNRS Sciences Po), HAEGEL Florence (CEVIPOF - CNRS Sciences Po)

La politisation des discussions à l'épreuve de la comparaison. Premiers enseignements d'une enquête en France, Belgique et Grande-Bretagne sur le thème de l'Europe

La communication sera l’occasion de présenter les éléments de réflexion que suscite une première analyse d’entretiens collectifs menés en France, Belgique francophone et Grande Bretagne sur le thème de l’Europe. Nous mettrons à l’épreuve la grille d’analyse de la politisation précédemment utilisée dans le cas français (Cf. S. Duchesne, F. Haegel, " La politisation des discussion, au croisement des logiques de spécialisation et de conflictualisation’, RFSP, 54(6), décembre 2004 et S. Duchesne et F. Haegel, " Avoiding or Accepting Conflict in Public Talk ", BJPS, 37, 2006). Plus spécifiquement nous tenterons d’évaluer la pertinence des logiques conflictuelles au regard des logiques délibératives afin de saisir l’éventuel ethnocentrisme contenu dans notre conception originelle des processus de politisation.

The politicization of discussion in a comparative perspective. First accounts of a survey conducted in France, Belgium and Great Britain on Europe

The paper will give some elements of reflection based on the first analysis of focus groups conducted in France, French-speaking Belgium and Great Britain on Europe. We will put to test the theoretical framework used before on the French case (Cf. S. Duchesne, F. Haegel, " La politisation des discussion, au croisement des logiques de spécialisation et de conflictualisation’, RFSP, 54(6), décembre 2004 et S. Duchesne et F. Haegel, " Avoiding or Accepting Conflict in Public Talk ", BJPS, 37, 2006). More specifically, we will try to test the relevance both of the conflict and deliberative logics in order to grasp the possible ethnocentrism contained in our first outlook on politicization.


GOURISSE Benjamin (CRPS, Paris I)

L’institution universitaire : un lieu privilégié de politisation dans la Turquie des années 1970

Nous proposons d’analyser comment l’université devient le lieu privilégié de la politisation des individus en Turquie dans les années 1970. Il s’agit de mettre en lumière le rôle central de l’institution universitaire dans la construction " identitaire " des individus. Le parti pris méthodologique consiste à étudier les configurations particulières de l’institution afin de comprendre comment les mobilisations observables en Turquie entre 1974 et 1980 prennent notamment racine à l’université pour s’étendre dans d’autres secteurs sociaux, à l’extérieur des partis légaux et dans un rapport conflictuel avec les forces de l’ordre. S’arrêter un temps sur les processus individuels de politisation permet alors de comprendre comment les acteurs sociaux en viennent à s’intéresser à la politique, à participer aux mobilisations et à " choisir un camp ".
Notre développement s’articule autour de trois processus à l’oeuvre dans l’institution : l’impossibilité progressive de toute position de neutralité politique pour une certaine catégorie d’étudiants ; les mécanismes d’exo-labellisation qui généralisent des " opérateurs d’identification à vocation universelle " à caractère politique et qui structurent les possibilités d’action des individus ; le processus d’" alternation " que vivent certains étudiants (notamment ceux issus des périphéries anatoliennes et disposant de peu de ressources sociales et économiques à leur entrée dans l’institution), favorisé par les conditions concrètes de vie dans l’institution.
Nous montrons alors comment les conditions concrètes d’existence dans l’institution universitaire et les effets de contexte favorisent la politisation des individus. De façon plus générale, notre contribution porte l’idée que la radicalisation des répertoires d’action des mobilisations en Turquie dans les années 1970 peut trouver des principes explicatifs dans l’état et le mode de fonctionnement des institutions qu’elles investissent.

University institution: a privileged place of politicization in Turkey in the 1970s

We propose to analyse how the university becomes the privileged place for the politicization of individuals in the 1970s’Turkey. It aims at clarifying the central role of the university institution in the construction of individual "identity". The methodology taken consists in studying the particular configurations of the institution; in order to understand how the observed mobilizations in Turkey between 1974 and 1980 have taken a particular root at the university and have then extended in other social sectors, outside the legal parties and in a conflictual relationship with the police force. To analyse the individual processes of politicization makes it possible to understand how social actors become interested in politics, how they come to take part in different mobilizations and how they "choose a side of action".
Our development is articulated around three processes around the institution: the progressive impossibility of a position of political neutrality for a certain kind of students; the mechanisms of exo-certification which generalize of the "operators of identification with universal vocation" in political matter and which structure the possibilities of action of the individuals; the process of "alternation" that certain students live (in particular those coming from the peripheries Anatolian and having few social and economic resources when they entry the institution), supported by the concrete conditions of life in the institution. We then show how the real conditions of living in the university institution and the "context effect" support the politicization of the individuals.
In a more general way, our contribution carries the idea that the toughening of the repertories of action in Turkey in the 1970s can be explained by the state and the operating mode of the institutions which they invest.


GUYON Stéphanie (CMH — ETT, Paris)

Une approche comparative de la politisation : Amérindiens et Noirs-marrons à St Laurent de Maroni

Comment les Amérindiens et les Noirs-marrons de St Laurent du Maroni se sont-ils appropriés dans ses formes pratiques la citoyenneté française que l’Etat français leur a octroyée à partir de 1964 ? Selon une approche ethnographique et socio-historique, cette contribution étudiera les trois principales instances de politisation de ces deux groupes - le clientélisme, la participation associative et l’institution coutumière- et les entrepreneurs politiques qui les médiatisent.
A partir d’une analyse sociologique des trajectoires de ces entrepreneurs, nous verrons qu’ils investissent et articulent inégalement ces différentes instances. Le chef coutumier peut ainsi être président d’association et relais d’un " patron " créole. Mais ces trois instances de politisation sont le plus souvent concurrentes et c’est dans cette concurrence qu’on observe la politisation la plus forte des habitants que ce soit en terme de participation électorale ou de connaissance des enjeux politiques locaux.

Comparative approach of politicization : Amerindians and Marrons in St Laurent du Maroni (French Guyana)

How Amerindians and Maroons have appropriated French citizenship in St Laurent du Maroni (French Guyana) since they became citizen in 1964 ? The results of this ethnographic and socio-historical enquiry draw three main instances of politicization — patronage relations, associative commitment and customary institutions- that different political entrepreneurs mediate.
Sociological analyses of these entrepreneurs’ trajectories may explain inequalities in embedding and articulating these different instances of politicization. The Chiefs may be the village association President and also the client of a patron. However these instances are more often concurrent and in this concurrency, we observe the most important effect of politicization, especially concerning electoral participation and political knowledge.


ZAKI Lamia (IRMC, Tunis) et VAIREL Frédéric (CEDEJ, Le Caire)

Politisation sous contrainte et politisation de la contrainte. Outsiders politiques et outsiders de la ville au Maroc

Partant du cas marocain, et plaçant l’analyse au carrefour entre formes institutionnalisées et modes informels de négociation politique, notre papier porte sur les modes d’action et d’investissement politiques de groupes dominés, jusque-là délaissés par la science politique traditionnelle : victimes de la répression des " années de plomb " et habitants de bidonvilles. Il s’agit d’insister sur la double dimension objective (en termes de rapports de force) et subjective (en termes de labellisation à la fois individuelle et collective par les acteurs) de la politisation. On rapproche les deux sites dans la manière de récolter l’information par une enquête attentive aux acteurs au ras du terrain. Cette décision de méthode permet de revenir sur les processus de politisation des individus. Si la domination — qui impose d’une part l’illégitimité politique, d’autre part l’illégitimité urbaine — prend des formes et revêt des enjeux différents, elle donne lieu à des modes de revendication dont on travaille les échos et les similitudes autant que les écarts. On met en évidence les parallèles entre les logiques qui sous-tendent et qui trament des mobilisations collectives " classiques " — dont le succès dépend entre autres de la capacité des victimes de la répression marocaine à investir l’espace et le débat publics pour imposer leur cause — et des mobilisations silencieuses et atomisées — dont l’issue dépend cette fois de l’aptitude des bidonvillois à progresser " à pas feutrés " et le plus souvent individuellement pour contourner l’interdit et s’ancrer à la ville. En s’intéressant à des acteurs qui revendiquent leur place dans le système politique, mais en sont plus ou moins efficacement évincés, et à des exclus du système urbain qui cherchent à s’intégrer à la ville notamment en s’appuyant sur des réseaux de clientélisme électoral, on montre comment se construit et s’exprime une " politisation sous contrainte ", mais aussi une " politisation de la contrainte ".

Politicization under Constraint and Politicization of the Constraint. Political and Urban Outsiders in Morocco

Placing our analysis at the crossroads of institutionalized and informal forms of political negotiation, our paper investigates the political modes of action of two dominated groups in Morocco: victims of the repression of the " years of lead " and slum-dwellers. We focus on the double, objective (in terms of power relationships) and subjective (in terms of individual as well as collective actors’ labeling), dimension of politicization. We bring together the two objects of study by a process of collecting information which pays attention to the actors at the ground level. This methodological choice allows us to look at the politicization processes of individuals. Domination — which imposes political illegitimacy in the first case, and urban illegitimacy in the latter — takes different forms, but it also gives way to demands whose similarities we try to analyze. We underscore the parallels between the logics at stake in " classical " collective mobilizations — whose success depends on the ability of the victims of Moroccan repression to invest the public space and debate to impose their cause- and atomized mobilizations — whose outcome depends on the slum-dwellers’ ability to progress silently and most often individually to bypass what is forbidden and settle in town. We look at actors who claim a place in the political system, but are more or less excluded from it, and at people excluded from the urban system who try to integrate in the city particularly by leaning on electoral patronage networks. By doing so, we not only show how a " politicization under constraint " is built, but also how a " politicization of constraint " is expressed.