Atelier 3

L’institution du débat public. Etat des lieux et perspectives de recherches
Institutionnalizing Public Debate. State of play and research possibilities

Reponsables scientifiques :
Blatrix Cécile (Université Paris 13 — Paris Nord — Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Action Locale , CERAL)
cecileblatrix@hotmail.com ou blatrix@dsp.univ-paris13.fr
Lefebvre Rémi (Université de Reims — Centre d’Etudes et de Recherches Administratives, Politiques et Sociales, CERAPS) remi.lefebvre@univ-lille2.fr

 

Résumés /Abstracts

BLATRIX Cécile (CERAL, Université Paris 13), Lefebvre Rémi (CERAPS — Université Lille 2)

Présentation de l’atelier


COSSART Paula (Université Paris 1)

Les réunions politiques : entre lieux de débats délibératifs et moyens d’action collective (1868-1939)

La multiplication de discours politiques et savants sur les vertus de la démocratie délibérative et l’institutionnalisation de dispositifs délibératifs, invitant à une participation accrue des citoyens à la vie publique, peuvent être présentées comme un remède nouvellement formulé en réponse à la crise que connaît le gouvernement représentatif. En proposant une analyse de la délibération populaire sous la IIIe République, comme discours et comme pratique politique, nous pouvons toutefois éclairer les interrogations contemporaines quant aux formes et effets du débat populaire. En observant les réunions politiques tenues de 1868 à 1939, nous présenterons ainsi ce qu’il en était alors de l’idée que la délibération des citoyens assemblés peut compléter les institutions représentatives.
Lorsque les républicains plaident pour que soit accordée aux citoyens la possibilité de s’assembler pour parler de politique, la justification essentielle réside dans l’idée qu’un gouvernement représentatif n’est solide que si des lieux existent où l’opinion publique peut régulièrement se former et s’exprimer, ceci au-delà du suffrage. Or lorsque les institutions de la République se mettent en place, la réunion, organisée, statique, dans un lieu distinct de la rue, de citoyens venus écouter des discours et échanger des idées, est considérée comme le meilleur moyen d’atteindre cet objectif. Ceci notamment parce que la croyance dans les vertus de la délibération est forte.
Nous mettrons au jour l’existence d’un leitmotiv républicain de la fin du 19e siècle consistant à affirmer que, par la promotion en son sein d’interactions entre les participants prenant la forme d’une délibération raisonnée, la réunion politique contribuerait non seulement à disqualifier l’action directe des foules au profit de la constitution d’une opinion publique pacifiée, mais aussi à former les bons citoyens que la république pourra gouverner. Nous nous interrogerons ensuite sur l’échec de cette double entreprise républicaine de définition des modes légitimes de participation et de façonnement des citoyens par l’encouragement de la délibération en réunion, en suggérant notamment que l’écart entre la délibération attendue dans les réunions et son influence possible sur la décision publique effective peut éclairer la transformation des assemblées délibérantes en moyens d’action.

Political meetings : between deliberative debates and means of collective action (1868-1939)

The multiplication of political and erudite discourses on the virtues of deliberative democracy and the institutionalization of deliberative devices, inviting to an increased participation of the citizens in public life, can be presented as a recently formulated remedy, responding to the crisis undergone by the representative government. By proposing an analysis of popular deliberation under the IIIe Republic, as discourse and political practice, we can however throw light on the contemporary interrogations as for the forms and effects of the popular debate. The observation of the political meetings held between 1868 and 1939, will thus allow us to present what it was then of the idea that the deliberation of the assembled citizens can supplement the representative institutions.
When the republicans plead that the possibility of gathering to speak about political questions be granted to the citizens, the essential justification lies on the idea that a representative government is solid only if there exist places where public opinion can regularly be formed and expressed, this beyond the mere practice of voting. As the institutions of the Republic were being set up, the organized meeting, static, in a place distinct from the street, of citizens listening to speeches and exchanging ideas, is regarded as the best means of achieving this goal. This in particular because the belief in the virtues of the deliberation is strong.
We will underline the existence of a republican leitmotiv of the end of the 19th century consisting in affirming that, by promotion within the meeting of interactions between the participants taking the form of a reasoned deliberation, the political meeting would not only contribute to disqualify the direct action of crowd to the profit of the constitution of a pacified public opinion, but would also educate the good citizens whom the republic will be able to govern. We will examine then the failure of this double republican project of definition of the legitimate modes of participation and shaping of the citizens by the encouragement of the deliberation in meeting, by suggesting notably that the gap between the deliberation expected in the meetings and its possible influence on the effective public decision can clarify the transformation of the deliberating assemblies into means of action.


GAUTHIER Mario (Université du Québec en Ouatais), SIMARD Louis (Université d’Ottawa)

Le BAPE et l’institutionnalisation du débat public au Québec : historique, bilan et défis

Le modèle québécois des enquêtes et des audiences publiques développé par le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) à la fin des années 1970 est souvent considéré comme étant exemplaire en matière de " démocratie participative " et de mise en discussion publique des grands projets d’aménagement et d’équipement. L’institution du BAPE et les procédures qu’il a développé sont d’ailleurs souvent cités en exemple outre-Atlantique et mentionnés comme une source d’inspiration par la Commission nationale du débat public (CNDP) en France. Après avoir rappelé quelques considérations historiques associées à la genèse de cette institution et à son développement, ainsi que les principales caractéristiques des procédures développées par cet organisme, le communication se propose de traiter des questions communes qui se sont posées au Québec et en France en matière d’organisation du débat public (qui débat? sur quoi débattre? comment débattre?) et des effets du débat public (sur les controverses, sur les mobilisations, sur la décision, ...) À cet égard, nous visons notamment à mesurer l’effet du débat public, via l’avis du BAPE, sur la décision gouvernementale. Par une catégorisation des avis et des décisions rendues depuis la création du BAPE, nous proposons une mesure partielle mais concrète de l’effet de la mise en discussion publique sur près de 250 projets. Le communication discutera également des principales spécificités du modèle québécois d’enquêtes et d’audiences publiques : l’assujettissement des projets ; le pouvoir d’initiative des citoyens ; la fonction centrale de l’enquête ; l’interprétation large de la notion d’environnement et de développement durable ; la tension entre l’expression des conflits et la recherche de consensus à travers la médiation et, finalement, la diversification des formes de débat et des types de projets soumis à la discussion publique. La communication se terminera sur les forces et les faiblesses de l’expérience du BAPE et proposera quelques pistes de recherche pour améliorer notre compréhension des effets des dispositifs de débat public sur les processus décisionnels.

The Quebecois model of inquiries and public audiences, developed by the Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE) at the end of 1970s, is often used for the public deliberation on large projects of development and equipment and is considered an example of " participative democracy ".The institution of the BAPE and the procedures which it developed are often provided as an example in Europe and mentioned as a source of inspiration by the Commission nationale du débat public (CNDP) in France. Having maintained some historic considerations associated with the genesis of this institution, in addition to its development and the main characteristics of the procedures developed by this organization, the communication addresses common questions presented in Quebec and France, addressing the organization of the public debate (who discusses? On what to discuss? How to discuss?) and the effects of the public debate (on the controversies, on the mobilizations, on the decision...). In this respect, we notably aim at measuring the effect of the public debate, via the notice of the BAPE, on the governmental decision. By a categorization of the notices and the decisions produced since the creation of the BAPE, we propose a partial but concrete measure of the effect of the public discussion on about 250 projects. The communication will also discuss main specificities of the Quebecois model of inquiries and public audiences: the subjection of the projects; the power of initiative of the citizens; the central function of the inquiry; the wide interpretation of the notion of environment and sustainable development; the tension between the expression of the conflicts and the search for consensus through the mediation and, finally, the diversification of the forms of debate and the types of projects subjected to the public discussion. The communication will end with the strengths and weaknesses of the BAPE experience and will propose some research tracks to improve our understanding of the effects of the devices of public debate on the decision-makings.


FOUNIAU Jean-Michel (INRETS — DEST et GSPR — EHESS)

La portée du débat : entre vertu démocratique de la critique sociale et efficacité de l’instruction publique des projets

La question des effets des procédures de démocratie délibérative sur la décision est régulièrement pointée par les sciences sociales, et elle est l’objet central de la critique sociale de ces procédures. Pour rompre avec l’opposition de démarches abordant le déroulement interne de la délibération séparément de l’évaluation externe de ses effets, le papier propose, à la suite de F. Chateauraynaud, la notion de portée du débat pour relier les différents plans d’analyse. En premier lieu, nous revenons sur les médiations entre les finalités de la délibération et ce qu’elle produit, que construisent différentes approches évaluatives des dispositifs de délibération. Ces constructions négligent la dynamique de l’argumentation dans laquelle une communauté d’argumentation peut se former, question pourtant essentielle quand on examine un dispositif ouvert comme le débat public. On examine alors les conséquences du libre accès au débat : il implique également l’ouverture des échanges. Le périmètre du débat, qui a qualité pour y participer, les modalités de l’échange, etc., sont en débat. La dynamique du " débat sur le débat " permet la formation d’une " communauté débattante " par la reconnaissance mutuelle des cadres d’énonciation. La fin du débat public marque alors une rupture dans le régime de parole qui institue cette communauté débattante. Nous l’étudions enfin sur le cas du débat public sur le projet de ligne THT Boutre-Carros (mars-juillet 1998). La déclaration d’utilité publique du projet issu du débat public a été cassée par le Conseil d’État en juillet 2006. L’histoire de la concertation engagée à la suite du débat public montre comment le régime de parole construit pour le débat public et maintenu un temps dans la concertation ultérieure, a finalement basculé quand il s’est agi de négocier l’implantation de la ligne, pour conduire à cette décision finale. On mesure alors concrètement la portée du débat public en décrivant précisément les transformations des jeux d’acteurs et d’arguments qui s’opèrent au cours de la concertation et qui différencient les deux régimes de parole.

The reach of the debate : between democratic virtue of social criticism and effectiveness of pedagogical investigation of the projects

The question of the effects of the deliberative mechanisms on decision-making processes is regularly pointed by social sciences, and it is the central object of public criticism of these arrangements. To break with a reasoning, which examines the internal course of the deliberation separately from the external evaluation of its effects (or the converse), the paper proposes, following F. Chateauraynaud, the concept of reach of the debate to connect the various levels of analysis. Initially, we reconsider the mediations between the aims of the deliberation and its outcomes build by various assessments of deliberation mechanisms. Such approaches neglect the dynamic of the argumentation in which a community of argumentation can be formed, question however essential when one examines the open design of devices monitored by the National Commission of public debate. We examine then the consequences of the free access to the debate: it also implies the opening of the exchanges. The scope of the debate, who has quality to take part in it, the modes of communication, etc, are contested. The dynamic of the "debate on the debate" allows the formation of a "debating community" by the mutual recognition of the statement frames. The end of the public debate then upsets the speech regime, which allows the functioning of the debating community. We study this transformation following the public debate on the project of Boutre-Carros high voltage power-line (March-July 1998). The Council of State broke the decision about the project resulting from the public debate in July 2006. The course of the public consultation following the debate shows how the speech regime built for the public debate and maintained a time in the later dialogue, finally rocked during the dialogue when it was a question of negotiating the power-line siting. We then measure concretely the range of the public debate by precisely describing the transformations of the sets of actors and arguments which take place during the public consultation and which differentiate the two speech regimes.


REVEL Martine (Institut Catholique des Arts et Métiers de Lille)

Les atermoiements du débats public : essai d’analyse comparative des effets du débat public

Dans le champ de la ‘participation délibérative’, le débat public apparaît comme un dispositif de discussion démocratique plus ou moins institutionnel destiné en principe à compenser certaines des carences ou lacunes de la démocratie représentative.
Les débats publics routiers et autoroutiers représentent désormais un ensemble important de discussions à la fois techniques et politiques, pour lesquels il est possible de tirer certains enseignements. Leur étalement sur une période de quatre ans ainsi que leur déroulement souvent très contrasté donnent une idée assez précise de la variété des situations qui peuvent se présenter aux acteurs en présence. Les résultats produits à l’issue de l’analyse ne prétendent pas au sens strict à une quelconque universalité, étant entendu que la base empirique ne dépasse pas un total de six débats publics. Toutefois, il est légitime d’escompter de l’analyse qu’elle dégage le plus fidèlement possible les éléments récurrents qui se trouvent pour ainsi dire au point d’équilibre du général et du particulier. L’analyse s’emploie à faire ressortir les traits communs de débats publics par ailleurs très divers en essayant d’identifier en premier lieu les éléments relatifs au cadrage, à la dynamique et aux effets du débat publics.
Nous étudions les cas des débats publics sur le projet de liaison autoroutière Amiens Lille Belgique (sept 2003 -jan 2004), de contournement autoroutier de Bordeaux (sept - dec 2003), de Rouen (juin — nov 2005), de Nice (nov 2005 — fev 2006), d’enfouissement de la RN 13 (fev- mai 2006) et de prolongement de l’autoroute A 12 (fev-juin 2006). L’analyse des modalités d’ouverture de l’échange et de la controverse sociotechnique au cours des réunions de débat publique permet de dégager différentes modalités d’évolution des débats publiques, en lien avec des modèles de débats et des types d’échanges spécifiques. On constate des éléments d’argumentations plurivoques utilisés par les opposants aussi bien que par les défenseurs du projet, qui attestent de la présence d’une dynamique dialogique. Les divers acteurs assument plusieurs rôles parfois contradictoires, et doivent composer avec les asymétries de positions et de ressources qui structurent le déroulement d’un débat public. Le débat public contribue ainsi à l’élaboration d’une forme de démocratie dialogique, en permettant une exploration de l’identité des acteurs qui se découvrent concernés par les projets en discussion. Il permet en outre une exploration des problèmes qui se posent et de tous ceux que les acteurs concernés considèrent comme associés, et enfin, une exploration de l’univers des options envisageables et des solutions auxquelles elles conduisent. L'espace dialogique permet, d'autre part, des apprentissages qui résultent des échanges croisés entre savoirs des spécialistes et savoirs des profanes.

The aternoiements of the debate public : essay of comparative analysis of the effects of the public debate

In the field of the ' deliberative participation ', the public debate appears as more or less institutional democratic one device of discussion intended as a rule(in principle) to compensate for some of the deficiencies or the gaps of the representative democracy.
The road and motorway public debates represent henceforth important set(group) discussions at the same moment technical and political, for which it is possible to pull certain knowledges. Their spreading over a period of four years as well as their often very contrasted progress give a rather precise idea of the variety of the situations which can appear at the actors in presence. The results produced at the conclusion of the analysis do not aspire to the strict sense in some universality, being understood that the empirical base does not exceed a total of six public debates. However, it is justifiable to expect of the analysis that it loosens the recurring elements which are so to speak in the point of balance of the general and the private. The choice to hold only some big principles common to the various public discusses imply to give up what could constitute the peculiarity of each of them.
The analysis is used to highlight the common features of public debates by trying to identify first of all elements relative to the centring, to the dynamics and to the public effects of the debate. We build our study on the cases of the public debates on the project of motorway connection between Amiens Lille and Belgium (sept 2003-jan 2004), of Bordeaux ring road (sept - dec 2003), of Rouen (in June - nov 2005), of Nice (nov 2005 - fev 2006), of RN 13 cover (fev -in May, 2006) and of continuation of the freeway A 12 (in fev-June, 2006). The public debate so contributes to the elaboration of a shape of dialogical democracy, by allowing an exploration of the identity of the actors who feel concerned by the projects in discussion. It allows besides an exploration of the problems which arise and of all those that the concerned actors consider as associates, and finally, an exploration of the universe of the possible options and the solutions to which they lead. The dialogical space allows, on the other hand, learnings which result from cross exchanges between knowledges of the specialists and knowledges of the profans.


NONJON Magali (CERAPS — Université Lille 2)

Accompagner, assister et légitimer le débat public : une étude sur le marché des nouveaux " spécialistes " des expériences de débat public

Avec l’extension des procédures de débats publics sur le territoire français, le recours à des prestataires extérieurs sur le volet méthodologique s’est multiplié ces dernières années amenant même certaines agences de communication et/ou cabinets de conseils à étendre leurs prestations voire à se spécialiser dans l’assistance à la gestion et à l’organisation des expériences de débat public.
En analysant les trajectoires socioprofessionnelles des consultants investis sur cette thématique et leurs méthodes, cette communication vise à analyser comment ces acteurs participent activement au travail de légitimation et d’institutionnalisation du débat public. On pense notamment à la manière dont ces derniers s’évertuent à donner du sens à cette institution en situant ses enjeux sur des questions de méthodes sensiblement déconnectées de ceux de la décision en tant que telle. On pense également aux liens qu’entretiennent certains de ces consultants avec le milieu de la recherche en sciences sociales et à la manière dont ils participent par la publication de rapports et de guides méthodologiques à la construction et la consolidation d’une demande de participation.
Au-delà d’une vision homogénéisante de ce milieu en voie de constitution de " professionnels " des expériences de débat public, notre communication reviendra également sur les tensions qui le traversent (différences de positionnement, de choix méthodologiques, d’origines professionnelles, etc. ) et sur ce qu’elles nous disent des différentes conceptions qui s’affrontent de nos jours quant à ce que doit être le débat public et de manière plus générale la démocratie participative.

Guiding, assisting and legitimising public debates: a market study of new "specialists" for public debate experiments

As processes for public debates are expanding over France, more and more service providers from outdoor businesses are called upon to help with the methodological aspect so that in the last years some communications agencies and/or consultancy offices have decided to expand their services or even to specialize in public debate experiment management and organisation.
Through the study of the social and professional trajectories of the consultants that are dealing with this topic, and the methods they make use of, we want to explain how active is the part these actors play in the work of legitimizing and institutionalising public debates. Especially we think of how hard these people struggle to make this institution meaningful in putting at stake methodological issues that are clearly disconnected from what is at stake in the decision itself. We also bear in mind the connections some of these consultants have with social sciences research fellows as well as the way they contribute to the building and consolidating of demands for participation.
More than looking at this developing brand of specialists in public debate experiments as if it were homogenous , we seek to analyse first the tensions that run across it (differences in opinions, methodological choices, education and trainings, etc..) and secondly to stress what these tensions explain about the different conceptions that are to-day confronting about what is a public debate and what is participative democracy at large.