Atelier 6

Le cumul des mandats : causes et conséquences
The "cumul des mandats" : origins and consequences

Responsables scientifiques :
Martial Foucault (Département de Science Politique, Université de Montréal et Institut Universitaire Européen de Florence, Robert Schuman Centre) martial.foucault@umontreal.ca
Abel François (LARGE, Université Robert Schuman et Télécom Paris, Dép. SES) abel@univ-paris1.fr
Julien Navarro (SPIRIT, Sciences Po Bordeaux) j.navarro@sciencespobordeaux.fr

 

Résumés / Abstracts

BALDINI Gianfranco (Università di Salerno) et PASSARELLI Gianluca (Università di Siena)

Cumuler ou pas ? Le dilemme des maires et le cumul des mandats dans 36 grandes villes françaises (1997-2007)

En dépit de la législation limitant le cumul des mandats intervenue en 2000, les députés français continuent à accumuler plusieurs rôles : un (ou plus) mandat(s) local, en particulier celui de maire. Par exemple, dans la XIIe législature de l’Assemblée nationale, presque 90 % des députés ont occupé aussi un mandat local (Dewoghélaere et al 2006).
Les recherches les plus récentes ont démontré qu’avoir différentes fonctions n’est pas toujours corrélé avec une plus grande probabilité de réélection (François 2006). En fait, la présence d’un(e) candidat(e) détenant plus d’un mandat a des effets sur le système politique, surtout au niveau de la circonscription : 1) le nombre des candidat(e)s dans le collège ; 2) la somme des fonds rassemblés par le/la candidat(e) sortant(e) ; 3) la " qualité " des challengers. Donc, la présence d’un sortant qui détient plus d’un mandat tendrait à réduire le nombre (et la qualité) des candidat(e)s qui le/la défient ; en outre, cette condition paraît contribuer à augmenter le budget électoral des candidat(e)s notables. Vice versa, l’analyse des élections de 1997 conduite par Foucault n’a produit aucune évidence qui confirme cette hypothèse : c’est-à-dire que l’accumulation des mandats locaux augmenterait automatiquement les chances de re-élection d’un(e) député(e) sortant(e) (Foucault 2006).
Si le cumul des mandats n’offre pas seulement des bénéfices mais aussi des coûts (Dewoghélaere et al 2006), cela signifie-t-il simplement que l’occupation de beaucoup (deux ou plus) mandats est parfois avantageux et parfois désavantageux ? Que se passe-t-il dans la carrière d’un maire quand il détient plus qu’un mandat ?
Nous pensons qu’une approche qualitative est pertinente et significative pour étudier le cumul des mandats, en particulier pour deux raisons : i) la possibilité d’observer entièrement le parcours politique des maires ; ii) la relation entre l’occupation de différents mandats et la carrière des maires dans le parti.
De cette manière, la recherche souligne les avantages et les limites des candidats qui détiennent plus qu’un mandat. Pour atteindre ce but, nous avons recueilli des données sur la carrière politique des maires des plus grandes villes françaises (les villes qui ont plus de 100 000 habitants, c’est-à-dire plus ou moins 1/1000 des communes français) pour explorer les " causes et les conséquences " de l’occupation de " plus d’un mandat ".
En plus, nous avons concentré notre étude sur un délai temporel limité, à savoir la décennie 1997-2007. Cette période a été cruciale pour le cumul des mandats, parce qu’elle comprend différentes élections (locales et nationales) et différentes législations sur le cumul des mandats. Dans cette perspective, le choix d’étudier les villes les plus peuplées a été basé sur le rôle national des maires (de ces villes), en particulier pour ce qui concerne leur visibilité, prestige et pouvoir électoral.
Nous avons concentré notre attention sur les parcours des carrières politiques des députés qui sont aussi maires des grandes villes, tout après avoir éclairé le cadrage théorétique sur le cumul des mandats et pour lequel il est important d’avoir plus d’un mandat. En particulier, cette pertinence est évidente au niveau des carrières nationales et des dynamiques politiques dans les circonscriptions.
Dans notre communication, nous voulons vérifier l’amplitude de la liaison entre les deux rôles pendant les trois élections législatives de la décennie passée (1997-2007). La sélection de 36 grandes villes est donc utile pour tester les hypothèses sur les avantages qui dérivent du cumul des mandats. Cette sélection nous permet de prendre en considération les variables qualitatives les plus importantes qui caractérisent le processus électoral, les relations entre les partis et les candidats dans les différentes circonscriptions, ainsi que les dynamiques du résultat électoral.
Les maires des grandes villes sont-ils en train de devenir moins disponibles pour des candidatures nationales ? Si cela n’est pas vrai, dans quelle mesure le statut de " maire d’une grande ville " est-il un facteur important dans l’explication du succès des candidats aux élections législatives ? Le dataset sur le background politique des maires des 36 grandes villes françaises sera une contribution importante pour discuter la signification du cumul des mandats après les élections de 2007.

To accumulate or not to accumulate? Mayors’ dilemma and the cumul des mandats in 36 French grandes villes (1997-2007)

Despite the 2000 regulation on the limitations of the cumul des mandats, French MPs continue to accumulate their role with one (or more) local mandate(s), and in particular with a mayoralty. For example, in the XII legislature of the National Assembly almost 90 percent of MPs hold a local office (Dewoghélaere et al 2006).
Recent research has shown that holding several offices is not always correlated with a stronger likelihood of being elected (François 2006). In fact, at the constituency level the presence of a candidate holding different offices affects some aspect of the political system, in particular: 1) the number of the candidates in the circumscription; 2) the amount of funds raised by the incumbents; 3) the quality of the challengers. The presence of an incumbent holding several offices tends to reduce the number (and the quality) of the candidates challenging him/her; and seems to increase the electoral budget of the candidates notables. Vice versa by analysing the 1997 elections Foucault did not find any evidence confirming that holding several offices systematically increases the chances of re-election for an incumbent MP (Foucault 2006).
If the cumul des mandates offers not only benefits but also costs (Dewoghélaere et al 2006), does this simply mean that holding numerous (two or more) offices is sometimes profitable and some others disadvantageous? What happens at the mayors’ careers when they hold more than a mandate?
We think that a qualitative approach is relevant and significant for the study of the cumul des mandats for two main reasons: i) the possibility to observe more systematically the career path of the mayors and ii) the relationship between the holding of many offices and the party career of the mayors.
So the research points out benefits and constraints of being a "multi-office holder". In order to do that we have collected data on the career profiles of the mayors of the 36 French biggest cities, (the cities with more than 100.000 inhabitants, which is approximately equal to 1/1000 of the French municipalities) in order to explore the "causes and the consequences" of holding "plus d’un mandat".
In addition we have concentrated the study on a limited time-span, that is the decade between 1997 and 2007. This is a crucial period to test the effects of the cumul des mandats, as it covers different elections (local and national) and different legislations about the possibilities of holding more than one office. Moreover, the choice of the biggest cities depends on the national role of their mayors particularly in terms of visibility, prestige and electoral power.
Therefore, starting by the theoretical framework on the cumul des mandats by which it is relevant to hold several offices both in terms of national careers and electoral dynamics at the district level, we have focused on the career paths of the deputies who are also mayor of a big city.
In our paper we aim to ascertain the extent to which the two roles have been linked together in the three legislative elections of the last decade (1997-2007). By selecting the 36 grandes villes we aim to test the hypothesis of the cumulative advantage of holding this multiple role. This selection will allow us to consider some of the most important qualitative variables which characterize the electoral process, from the relationship between parties and candidates inside the various constituencies, to the dynamics of the electoral result. Are mayors of the grandes villes becoming less available for a candidacy at the national level? If not, to what extent is the status of mayor of a big city an important factor in explaining the success of the candidates during the legislative elections? A dataset on the previous political background of the mayors of the 36 big French cities will allow us to contribute to a discussion of the significance of the cumul des mandats after the 2007 elections.


BILAND Emilie (Centre Maurice Halbwachs, EHESS)

Cumuler grâce aux pairs : Trajectoires et stratégies d’élus des institutions de la fonction publique territoriale

Les élections aux centres départementaux de gestion de la fonction publique territoriale constituent une forme méconnue de compétition électorale, néanmoins pertinente pour analyser les logiques du cumul entre mandats électifs. Ces élections, au cours desquelles des élus locaux en élisent d’autres pour les représenter, sont étroitement articulées aux échéances électorales municipales, les conseils d’administration de ces établissements devant être représentatifs de l’équilibre des forces politiques du département. Néanmoins, un certain nombre d’indicateurs (dont la liste unique présentée par l’association locale des maires) témoignent de l’autonomisation relative de ces élections internes par rapport à celles du suffrage universel. La participation aux conseils d’administration fonctionne comme une attestation de l’appartenance au milieu des élus locaux, appartenance mobilisable pour l’accès à d’autres types de fonction. Au contact régulier des représentants des syndicats de fonctionnaires et du personnel administratif de ces établissements, ces élus acquièrent une connaissance relativement fine de la fonction publique territoriale. Aux " petits " élus, ni cumulards ni professionnels de la politique, l’accès à ces positions permet de gagner en assurance dans l’exercice de leurs responsabilités locales et renforce leur goût pour celles-ci. Ceux qui ont accès aux arènes nationales sont souvent parties prenantes des débats parlementaires concernant l’avenir de la fonction publique. En ce sens, ces positions électives contribuent à orienter les carrières politiques ; elles influent sur les prises de position et les formes d’expertise mobilisées par ceux qui les détiennent. Aussi la position de député ou de sénateur ne doit-elle pas seulement être analysée à travers le cumul de mandats nationaux et locaux ; elle doit prendre en compte le cumul permis par les pairs, dans les établissements publics chargés de gérer le personnel territorial.

Elected by the elected. How civil service institutions matter in political carreers

French local civil service is managed by several institutions, including the " centres départementaux de gestion " (CDG). A few months after each municipal election, the CDG directors are elected by municipal officials among them. The board of directors has to represent local political forces. Nevertheless, there is little competition : all the candidates often take part in the same election board, as to get the CDG influence bigger among the mayors. These directors are well-known in the local political milieu, so that they can get other local and national functions with more ease. As they treat with civil servant unions, they get used to civil service issues and may become civil service experts among the members of Parliament.


DUPOIRIER Elisabeth (CEVIPOF), FOUCAULT Martial (Université de Montréal), FRANçOIS Abel (LARGE, Université Robert Schuman), GROSSMAN
Emiliano (CEVIPOF) et SAUGER Nicolas (CEVIPOF)

Le cumul des mandats des maires des grandes villes françaises : évolutions et diffusions des pratiques de cumul

Les analyses sur le cumul des mandats en France cherchent principalement à mettre en évidence les déterminants et les effets de ces pratiques. Du fait d’une concentration sur les élus nationaux qui s’explique par les difficultés de collecte de l’information, nous disposons de peu d’information sur ces pratiques dans leur double dimension : concernant leur évolution dans le temps, notamment sous l’influence des modifications de la réglementation, et concernant leur diffusion parmi le personnel politique français. L’objet de cette communication est de combler cette double lacune. Pour y parvenir elle s’appuie sur un matériel empirique constitué d’une part par les pratiques de cumul des maires des 90 villes françaises les plus peuplées depuis 1977 jusqu’à aujourd’hui, et d’autre part par les 500 maires en exercice en 2005 des communes les plus peuplées. Ces deux dimensions nous permettent d’une part d’envisager les évolutions de la pratique notamment sous l’effet des modifications de la réglementation ou de l’apparition de nouveaux mandats, et d’autre part de mesurer l’intensité de la diffusion de la pratique parmi les élus français. Au final, une typologie des pratiques du cumul des mandats pourra être envisagée dans le temps et dans l’espace.

Change and diffusion of the " cumul des mandats " among the large French towns’ mayors

The literature dealing with the "cumul des mandats" in France mainly focuses on the causes and consequences of this practice. Furthermore, the empirical analysis relates to the national offices such as Members of Parliament (MPs). This concentration is mainly due to the difficulties for collecting data. Consequently, we do not have information about the change, in particular the impact of the regulation changes, and the diffusion of the "cumul des mandats" among the French politicians. The aim of this communication is then to fill this gap using a unique database on the "cumul des mandats" of the French Mayors. More accurately, we collect information about the "cumul des mandats" among both mayors of the 90 more populated French towns since 1977 and mayors of the 500 main French towns in 2005. Starting from this information, we plan to analyze the impact of both the regulation change and the emergence of new mandates and then measure the diffusion of the "cumul des mandats". Finally, we could map a typology of the French mayors based on their practice of the "cumul des mandats"


MÉVELLEC Anne (Université d’Ottawa)

Regarder dans l’angle mort : le cumul des mandats au Québec

Le cumul des mandats est souvent présenté comme une spécificité du modèle français. Du point de vue québécois, cette pratique est dénoncée comme anti-démocratique par les élus locaux. Plus généralement une certaine doxa semble considérer le système politique québécois comme une juxtaposition de sphères politiques, municipales, provinciales et fédérales exclusives les unes aux autres. Cette image repose sur les principes institutionnels canadiens (fédéralisme, municipalités sans statut constitutionnel) et sur les organisations partisanes. Néanmoins ces trois paliers sont loin d’être étanches les uns par rapport aux autres. Cette communication explore la perméabilité de ces espaces politiques à partir de la notion de cumul des mandats dans une double acception temporelle. Si le cumul vertical n’est pas de mise au Québec, il n’en reste pas moins qu’une certains élus ont de véritables carrières politiques, alternant des mandats à différents paliers. De plus, le cumul horizontal soulignant la durée de l’activité politique, est également une pratique structurante des trois espaces politiques.
Les études sur le phénomène du cumul des mandats au Québec, ses causes et ses effets sont particulièrement rares. Il s’agit véritablement de l’un des angles morts de la science politique québécoise, que l’on s’attache à combler par le biais de l’étude des élus locaux. On s’intéressera aux élus municipaux des 51 villes moyennes du Québec. A travers l’examen de leur parcours militant et professionnel, on dessinera plus précisément les pratiques de cumul des mandats selon les deux dimensions du cumul temporel déjà mentionnées. Cette documentation originale permet à la fois de réfléchir à l’éventuelle émergence d’une classe de professionnels de la politique au niveau local, et sur la conception du cumul que se font les élus. Les formes temporelles du cumul des mandats montrent-elles une insertion les responsabilités mayorales dans des trajectoires politiques plus larges ?

Looking in the dead angle: multi-office holding in Quebec

The "cumul des mandats" as multi-office holding is often presented like a specificity of the French model. From the Québécois point of view, this practice is denounced like undemocratic by the local councilors. More generally a doxa seems to regard the Québécois political system as a juxtaposition of watertight political spheres (municipal, provincial and federal). This image rests on the Canadian institutional principles (federalism, municipalities as provincial creatures) and on political party organizations.
This communication explores the permeability of these political spaces starting from the concept of multi-office holding in a double temporal meaning. If the vertical multi-office holding is not setting in Quebec, a certain fringe of elected officials has true political careers, alternating mandates at various government levels. Moreover, the horizontal multi-office holding underlining the duration of the political activity is also a structuring practice of the three political levels.
The studies on the phenomenon of the multi-office holding in Quebec is truly one of the dead angles of the Québécois political science, which one endeavors to fill by the means of the study of the local councillors. One will be interested in the municipal elected officials of the 51 middle size cities of Quebec. Through the examination of their militant and professional course, one will more precisely draw the practices of multi-office holding according to two dimensions already mentioned. This original documentation makes also possible to think about the possible emergence of political professionalization phenomena at the local level, the role of mayoral responsibilities within broader political trajectories.


TROUPEL Aurélia (Laboratoire ERMES et CEPEL)

Les pratiques du cumul des mandats à travers l’exemple des femmes politiques (1958-2004)

En alignant le régime des eurodéputés sur celui des parlementaires nationaux, la loi du 11 avril 2003 prend le contre-pied des législations précédentes (30/12/85 et 5/04/00) qui visaient à limiter la pratique du cumul des mandats. Des timides tentatives de réformes en passant par l’augmentation régulière du nombre de " cumulards ", tous les indices concordent pour démontrer que le cumul est, comme le soulignait Guy Carcassonne " politiquement obligatoire ". Au-delà de ces interrogations sur la capacité du personnel politique à s’auto-réglementer, il est utile de vérifier si, l’idée selon laquelle toute carrière politique passerait nécessairement par la pratique du cumul des mandats, s’applique à l’ensemble du personnel politique. Les femmes par exemple, entrées plus tardivement dans les différentes assemblées, en plus petit nombre (jusqu’à la loi sur la parité), sont-elles dans la même configuration que leurs homologues masculins ? Dénonçant les problèmes inhérents à cette pratique — manque de représentativité, atteinte portée à la démocratie du fait de la captation et de la détention du pouvoir par quelques uns — sont-elles, elles aussi dans une logique d’accumulation pour durer en politique ?
Pour répondre à cette question, un outil original a été créé : le Fichier Général des Femmes Elues. L’exploitation de cette base de données, comprenant plus de 2000 entrées, montre qu’à l’instar des hommes, les femmes sont elles aussi dans une logique de course aux mandats. Reproduisant à leur tour un comportement qu’elles réprouvaient, ces élues démontrent que les règles du jeu politique sont difficiles à changer, particulièrement lorsqu’elles affectent la professionnalisation de la vie politique. Dans un second temps, l’analyse de ces données permet de constater le caractère évolutif — dans le temps et dans l’espace — du cumul, la " cote " des mandats changeant au fil du temps. De la même manière, la propension à cumuler varie suivant l’échelon politique observé.