Atelier 1

Regards multiples sur les actions et dispositifs visant à politiser la consommation

Responsables scientifiques :
Philip Balsiger (IEPI, Université de Lausanne)
philip.balsiger@unil.ch

Pauline Barraud de Lagerie (Centre de Sociologie des Organisations, Sciences-po/CNRS) p.barraud@cso.cnrs.fr

 

Essor des filières de commerce équitable, multiplication des démarches de boycott, développement des chartes éthiques d’entreprises… : le marché est lieu d’expression politique. Un certain nombre d’observateurs — académiques ou non — font aujourd’hui l’hypothèse d’une politisation croissante du marché et postulent l’émergence de la figure du consomm’acteur, supposé prendre en compte des paramètres " politiques " (environnementaux, sociaux, éthiques) dans ses actes d’achat (Chessel et Cochoy (2004), Ferrando Y Puig et Giamporcaro-Saunière (2005), Micheletti (2003), Micheletti et al. (2004)). Pour certains, ce consommateur engagé incarne l’avènement d’une nouvelle ère de participation politique, plus directe, plus individuelle. D’autres sont très critiques vis-à-vis de l’association entre consommateurs et citoyens, craignant une démobilisation dans le domaine public. Indépendamment de ces approches prospectives — et parfois normatives —, cet atelier propose d’examiner rigoureusement les modalités de l’émergence du consomm’acteur en favorisant un échange scientifique pluridisciplinaire sur cet objet de recherche naissant.

Poser la question de la politisation des échanges marchands implique de s’intéresser aux frontières et transformations du politique. Les actions militantes sur le marché ne visent pas directement les autorités politiques, mais prennent pour cible les acteurs économiques : l’encadrement des externalités des activités des entreprises, loin d’être visé par des démarches réglementaires uniquement, est alors envisagé comme pouvant résulter d’une modification de la demande, réelle ou anticipée, des consommateurs. Des actions politiques se trouvent ainsi menées en dehors des chemins institutionnalisés du système représentatif ; les consommateurs deviennent un levier d’action politique, ce qui doit finalement conduire à une réflexion critique sur l’élargissement des formes de participation politique et ses modalités de réalisation. Si les actes d’achat de consommateurs individuels " engagés " obéissent à des logiques diverses et ne peuvent être ramenés à des considérations purement politiques, il n’en reste pas moins que les actions et dispositifs visant à agir sur les entreprises et la consommation modifient le cadre des échanges marchands.

Plutôt que de restreindre la consommation engagée aux seuls consommateurs individuels, nous voulons ainsi la penser dans tous ses aspects : individuels et collectifs, militants et marchands, protestataires et institutionnels. La mobilisation collective sur et par le marché, et les différents dispositifs qui lui sont associés, contribuent à la construction d’un cadre rendant possible la prise en compte de facteurs politiques dans les actes d’achat. Nous souhaitons donc aborder davantage cet aspect collectif de la consommation engagée, qui se manifeste de diverses façons. Comment fonctionne cette inscription d’enjeux politiques et sociaux dans les transactions marchandes ? Quels sont les différents modes d’action et dispositifs de consommation engagée ? Quels acteurs en sont à l’origine ? Comment les consommateurs se voient-ils mobilisés par ces formes d’action militante ? Ce sont ces questions que nous souhaitons aborder dans le cadre de l’atelier que nous proposons d’organiser.

Les formes de politisation de la consommation se révèlent très diverses et englobent un large spectre de modes d’action. Ces derniers se situent sur un continuum qui va de l’action protestataire et ponctuelle aux dispositifs institutionnalisés ; de la critique radicale aux codes de conduite minimaux ; de l’action de groupes contestataires aux labels mis en place avec le concours d’acteurs gouvernementaux et du marché. Cette diversité appelle à une pluralité des approches disciplinaires dans son analyse. Le croisement et la confrontation de différentes approches — sociologie des marchés, sociologie économique, sociologie des mouvements sociaux, analyse des politiques publiques — permettront ainsi d’accéder à une réflexion d’autant plus riche sur la " consommation engagée ".

Nous souhaitons favoriser, à travers l’organisation de cet atelier, l’échange entre des disciplines, des cadres analytiques et des terrains empiriques variés touchant à la consommation engagée. Ces regards croisés pourront faire avancer la discussion théorique sur le concept de consommation engagée et, plus largement, sur les notions de marché, de politique et de mobilisation. En réfléchissant sur les manières dont la consommation peut devenir un levier de l’action politique et sur les mécanismes qui portent l’action politique sur le marché, l’analyse critique du phénomène de consommation engagée est susceptible, in fine, d’apporter de nouveaux éléments quant aux transformations des formes de participation politique.

CHESSEL, Marie-Emmanuelle, et COCHOY, Franck, (éds) 2004 " Marché et politique. Autour de la consommation engagée ", Sciences de la société, n°62
FERRANDO Y PUIG, Judith, et GIAMPORCARO-SAUNIERE, Stéphanie, 2005 Pour une " autre " consommation. Sens et émergence d’une consommation politique, Paris, L’Harmattan
MICHELETTI, Michele, Andreas FOLLESDAL et Dietlind STOLLE, 2004 Politics, Products and Markets, Exploring Political Consumerism Past and Present, New Brunswick, Transaction Press
MICHELETTI, Michele 2003, Political Virtue and Shopping, New York, Palgrave Macmillan

 

Actions and devices of politicization of consumption

Political scientists and sociologists have encountered the phenomenon of political or ethical consumerism with rising interest recently (Chessel et Cochoy (2004), Micheletti (2003), Micheletti et al. (2004)). Political action in the marketplace does not directly aim at political authorities; their targets are economic actors. Embedding externalities of the firms’ activities is not only a matter of regulatory procedure; it is understood as a possible result of a real or anticipated change of consumers’ demand. Political actions, then, take place outside of the institutionalised pathways of the representative system.

Instead of reducing political consumerism to individual consumer acts, we find it important to consider all of its components in order to address these questions: individual and collective, activist and economic, contentious and institutionalised aspects. Collective mobilization on the market and by the market’s bias, as well as the various devices with which it is associated, help build a frame of references which opens up the possibility of taking into account political considerations for consumption. Thus, this contributes to the creation of the social figure of the citizen-consumer. How does this economic framing of political and social issues work? What is the action repertoire of political consumerism and what are its devices? Who are the actors involved in it? How do they mobilize consumers?

The workshop’s scientific goal is to gather contributions building upon robust fieldwork who are related to the different ways of the politicization of consumption: i.e., public policies that aim at "educating" the consumer, mobilizations and campaigns which target the world of (mass) consumption and particular products, standardization and certification processes etc. This should allow us to progress in the theoretical discussion on the concept of political consumerism and on the notions of market, political action, and mobilization. Analysing the ways in which consumption can become a means of political action and the mechanisms that put political action in the marketplace should finally allow for a better understanding of a supposed transformation of modes of political participation.