Atelier 12

La politisation pratique

Responsables scientifiques :
Erik Neveu (IEP de Rennes) erik.leteure@wanadoo.fr
Olivier Philippe (IEP de Toulouse) olivier.philippe@univ-tlse1.fr

 

La compréhension du rapport des individus à la politique passe par la socialisation qui s’opère dans le cadre de la famille, de l’école, des campagnes électorales, du militantisme, des discours d’hommes politiques ou bien d’autres manifestations labellisées comme relevant du politique. Toutefois, ces formes de socialisation rendues explicitement politiques permettent-elles à elles seules d’appréhender la complexité des processus de politisation ? Cette interrogation prend toute son acuité lorsqu’il s’agit de comprendre les rapports au politique des individus qui se manifestent et se construisent dans un rejet du système politique. Le risque serait alors de considérer de manière plus ou moins implicite que l’on pourrait conclure à un simple effet de dépolitisation ou/et d’incompétence politique.

De nombreux travaux tentent depuis quelques années de saisir la politique ailleurs en faisant valoir l’importance de l’expérience vécue au quotidien et au local dans les processus de politisation. Les expériences de l’injustice notamment (Gamson) ne deviennent toutefois signifiantes qu’en fonction des sentiments d’appartenance à des collectifs (par opposition à tel autre) et dans la mesure où elles produisent des cadres d’entendements plus ou moins spécifiques, et au bout du compte une " culture quand même " au sens de Grignon et Passeron. Dans cette perspective, il est important de faire un point sur la question du sentiment d’appartenance aux classes populaires (Chauvel, Schwartz). Des travaux récents ont pu ainsi montrer ce que les modalités complexes de la politisation ouvrière doivent à ce qui relève d’une raison " infra-graphique " (Pudal) qui produit une certaine conscience de la différence ouvrière à travers la camaraderie, la force virile, la fierté d’appartenir au peuple, le rapport à la fête, mais également par le lexique et les caractéristiques de la langue ouvrière (refus de l’euphémisation, figures et métaphores relatives au corps, plaisanterie, ironie, dictons). D’autres travaux ont mis en évidence l’impact des conditions sociales mais aussi locales de possibilité du jugement politique dans le monde paysan ou ouvrier (Mishi, Briquet).

Toujours dans cet ordre d’idées, la question de la politisation, de l’apprentissage politique par le corps mérite d’être creusée (Memmi). En effet, le traumatisme d’un coup de matraque, l’expérience humiliante d’un contrôle policier poussé, la confrontation à l’huissier, les micro-vexations en provenance des chefs au travail,.. constituent des formes de politisation pratique. De même pour ces évènements biographiques et politisés comme les drames collectifs imputés (à tord ou à raison) à l’incompétence des politiques et qui se traduisent par des émotions : les souffrances devant les fermetures d’usines, la peur lors d’une explosion d’usine, la douleur de la mort d’un proche par manque de moyens hospitaliers,…

Enfin, la problématique de la politisation pratique amène également à s’interroger sur le rôle des pratiques culturelles réelles. Ne convient-il pas de relire Richard Hoggart qui insiste sur l’influence politique vraisemblable des pratiques culturelles les moins légitimes ? Il est probable que la politisation ne passe pas tant par la lecture des pages politiques des journaux que par les magazines féminins, la publicité, les romans, la radio, le cinéma, le café,… et très certainement par la télévision qui reste la pratique culturelle partagée par tous, ou presque, à l’échelle nationale.

Au total, cet atelier sur la politisation pratique se propose :

1- D’interroger les catégories d’analyses qui sont mobilisées par la discipline pour rendre compte de la politisation et de la compétence politique.

2- D’interroger la place des modes de sociabilité qui produisent un sentiment d’appartenance aux " classes populaires ".

3- D’interroger la place et l’importance des pratiques culturelles dans la production d’une politisation pratique.

4- D’interroger la place de l’expérience, du rapport au corps, de la dimension locale dans la production d’une politisation pratique.

5- De s’interroger sur les méthodes susceptibles d’être pertinentes afin d’appréhender cette politisation pratique qui passe outre la verbalisation et la rationalisation.

Practical politicization

Understanding what kind of relations individuals have with politics involves to study socialization, which takes place in family, at school, through election campaigns, militancy, political speeches and other political events. Nevertheless, are these sorts of socialization, which clearly are linked with politics, the only ones to explain complex politicization process? This question is a particularly sharp one when we try to understand how people who reject political system are linked with politics. We might think they are depoliticized or inefficient in political matters.

Several works try for a few years to catch politics somewhere else. They show how everyday and local experiences matter in politicization process. Experiences of injustice (Gamson) become expressive only if they are linked with feelings of belonging to groups (as opposed to other), and if they produce specific understanding frames and, at the end, one "even so culture" (Grignon and Passeron). It is important, in that prospect, to take stock of the question of the feeling of belonging to working classes (Chauvel, Schwartz). Recent works showed how much worker's politicization has to do with an "infra-graphic" reason (Pudal). It gives birth to some consciousness of the working difference through comradeship, male strength, pride to belong to the working classes, connection with fete, and also lexis and characteristics of working language (euphemism declined, figures and metaphors connected with body, joke, irony, sayings). Other works showed clearly the impact of social lots but also the local ones upon political judgement in peasant or working world (Mishi, Briquet).

In the same way, question of politicization, of political learning through the body must be studied (Memmi). In fact, traumatism due to a bludgeon blow, mortifying experience of an exhaustive police check, clash with a process server, small mortifications by foremen… are kinds of practical politicization. These biographic and politicized events like collective tragedies, attributed (rightly or wrongly) to politicians' ignorance and which find expression in emotions: pains when factories are closed, fear when factory explodes, grief when a relative dies because of lack of hospital means…

At last, the question of the practical politicization brings to wonder upon function of real cultural practices. Should we read again Richard Hoggart who stresses the likely political influence of the less justified cultural pratices? It is likely that politization does not come above all by reading newspapers political pages but actually through women's magazines, publicity, novels, radio, movies, pubs … and, of course, through television which remains the cultural practice that almost everybody shares in the country.

In all, the aim of this workshop dedicated to practical politicization is:

1- To question analysis categories which are used by the discipline to account for politicization and political ability.

2- To question the place of sociableness modes which produce the feeling to belong to "working classes"

3- To question the place and the extend of cultural practices in practical politicization

4- To question the place of experience, of connection with the body, and the local dimension in producing practical politicization .

5- To wonder about what method would be relevant in order to understand this practical politicization which goes on verbalisation and rationalization.