Atelier 14

Les enjeux politiques des émeutes urbaines

Responsables scientifiques :
Valérie Sala Pala (INED/CRAPE)
vsalapala@aol.com
Lionel Arnaud (CRAPE) Lionelarno@aol.com

 

Les phénomènes communément désignés comme " émeutes urbaines " constituent un objet de recherche central pour la science politique et plus largement les sciences sociales. Ils renvoient en effet à une forme violente de participation politique, à laquelle ont recours des groupes sociaux qui, pour différentes raisons, sont mal ou peu représentés dans la politique traditionnelle, à savoir souvent des fragments de la jeunesse populaire, notamment (mais pas seulement) " issue de l’immigration ". A ce niveau, l'imposition de lectures ethnicisantes et criminalisantes du mouvement de novembre 2005 dans les sphères politique et médiatique témoigne tout particulièrement de l’urgence de promouvoir des analyses de sciences sociales sur ces émeutes. Celles-ci peuvent être appréhendées depuis plusieurs problématiques : l’égalité d’accès à la participation et à la représentation politiques ; la violence comme mode de participation politique ; l’" efficacité " des mouvements sociaux d’" exclus " ou de " pauvres ". De telles problématisations conduisent à mobiliser tant la sociologie politique que la sociologie des mouvements sociaux, la sociologie de l’action publique, ou encore la sociologie urbaine. Elles permettent d’identifier trois axes de recherche :

1) Le sens politique des émeutes : l’analyse du sens politique investi par les émeutiers dans leur action violente doit être approfondie, ce qui suppose simultanément de s’interroger sur l’identité même de ces individus. Cette analyse devra être croisée avec celle des cadrages des émeutes construits par d’autres acteurs ayant un rôle central sur la scène politique (partis politiques, syndicats, associations, mais aussi médias). Les analyses centrées sur les acteurs locaux (tels que médias locaux, gouvernements locaux, etc.) sont particulièrement encouragées.

2) L’impact des émeutes sur la participation et l’inclusion politiques des " jeunes des cités " et plus largement des habitants : dans quelle mesure les émeutes débouchent-elles sur une recomposition de la demande et de l’offre politiques dans les " quartiers sensibles " ? Du côté de l’offre, quelles sont les réactions des acteurs politiques (partis, syndicats, associations) ? Du côté de la demande, quel est l’impact des émeutes sur la politisation des habitants, et tout particulièrement des plus jeunes (participants ou spectateurs), sur leur engagement politique (usage du droit de vote, choix électoraux, engagement partisan ou associatif), sur la construction de leur identité collective et politique ? Peut-on constater des formes de structuration du mouvement dans la durée ? Quel est l’effet de la participation aux émeutes sur la mémoire et la structuration des groupes mobilisés, les trajectoires individuelles de participation politique, l’émergence de consciences politiques ?

3) L’impact des émeutes sur l’action publique (locale et nationale) : on touche ici la question classique des conditions sociales d’efficacité des mouvements populaires spontanés. Sur quels changements d’action publique les émeutes urbaines débouchent-elles ? Comment spécifier ces changements ? On pourrait discuter, par exemple, l’hypothèse formulée par L. Wacquant selon laquelle les réponses politiques aux émeutes décrivent, selon les contextes socio-historiques, un continuum allant de la criminalisation de la misère à la politisation du problème (" la prison ou les urnes "). Cette analyse peut constituer un point de départ pour resituer les réponses politiques aux émeutes dans des évolutions socio-politiques plus globales, notamment une tendance plus générale à la criminalisation de la misère et de la lutte sociale. En ce qui concerne les politiques locales, il faut se demander si les émeutes influencent, d’une part les politiques affichées par les acteurs locaux, d’autre part les actions et représentations des street-level bureaucrats (dans la police, l’école, l’action sociale, etc.).

Sur tous ces axes, l’approche comparative sera encouragée, qu’elle prenne la forme de la comparaison dans le temps, de la comparaison entre différentes villes françaises ou de la comparaison internationale. Si les événements de novembre 2005 en France nous semblent constituer un terrain particulièrement riche (d’abord par leur ampleur, ensuite parce qu’ils sont récents tout en offrant un recul temporel favorable à l’analyse de leurs conséquences politiques), d’autres études de cas seront donc les bienvenues. Les enquêtes locales approfondies sont également fortement encouragées.

A court terme, l’atelier vise à faire émerger les résultats de travaux en cours ou à susciter de nouvelles recherches sur ces questions, pour déboucher sur une publication des papiers présentés. A plus long terme, il a pour objectif de mettre en relation des chercheurs d’horizons divers menant ou souhaitant mener des recherches sur les émeutes urbaines, en vue de favoriser un programme de recherche commun, comparatif, à partir d’enquêtes sur plusieurs villes françaises et étrangères.

 

The political stakes of urban riots

Urban riots constitute an important research field for political science and more largely social sciences. They refer to a violent form of political participation, from the part of social groups that, for different reasons, are de facto badly or little represented by "traditional" politics. At first sight, three main research issues can be identified :

1) The political meaning of urban riots : a better understanding of the social meaning of these events for the rioters themselves is necessary. A prerequisite of course is to better know who the rioters are. It seems also necessary to cross this meaning with the framings that are constructed by other kinds of actors such as political parties, government, associations or media. Studies focusing on the local level (for instance on local media or local governments) are particularly encouraged.

2) The impact of urban riots on the political participation and inclusion of the rioters and inhabitants : to what extent do urban riots generate a recomposition of the political demand and supply ? Firstly, how do the existing political actors such as parties, trade unions or associations react to such events ? Do the latter favour the emergence of new political actors ? Secondly, what is the impact of urban riots on the politization of the community, and more particularly of the deprived youth, on their political engagement, on the construction of their collective identity and on their individual trajectory of political participation ?

3) The impact of urban riots on national and local public policies : here we come to the classical issue of the social conditions of "efficacy" of popular, spontaneous movements. Do such mobilisations lead to changes in public policies ? Do those political answers take the form of a "criminalization of poverty" or of a "politization" of the issue ? Regarding the local dimension, to what extent do urban riots influence the formulation of new policies by local governments, but also the representations and the day-to-day work of street-level bureaucrats?

The aim of this workshop is twofold. Firstly, it is to gather studies on these issues. From that point of view, deepened local studies and comparative studies are particularly encouraged. Secondly, it is to give researchers working on those themes an opportunity to meet and to engage a reflection on constructing a common research programme involving different French and possibly non French case studies.