Atelier 15

Analyser les (dis)continuités de la conflictualité au travail : un objet délaissé par la sociologie de l’action collective

Responsables scientifiques :
Baptiste Giraud (ATER en science politique, Université Paris 1/CRPS - UMR 8057) baptistegiraud@hotmail.com
Sophie Béroud (MCF en science politique, Université Lyon 2/TRIANGLE - UMR 5206) sophie.beroud@unvi-lyon2.fr

 

Notre atelier se propose de revenir sur un objet d’étude qui a été relativement marginalisé au cours de ces dernières années par la sociologie des mobilisations collectives : les conflits du travail. Ce désintérêt s’explique certainement tout d’abord par la chute objective et importante du nombre de jours de grève enregistrés en France depuis ces deux dernières décennies. Ce déclin statistique, faisant écho à l’affaissement des effectifs des organisations syndicales, a pu encouragé à réorienter l’analyse autour des organisations et des modes d’engagement censés incarner un renouveau de l’action contestataire (mouvements associatifs, ONG, altermondialisme). La prépondérance des terrains d’investigation liés à ces " nouveaux " mouvements sociaux a semblé ainsi se fonder, en la consacrant implicitement, sur l’hypothèse d’une disparition, ou du moins d’une marginalisation du monde du travail dans l’espace des mobilisations. C’est à l’inverse à la redécouverte de sa centralité que nous voudrions participer. Non seulement parce qu’ils demeurent, d’un strict point de vue quantitatif, des phénomènes dont la fréquence reste sans commune mesure avec les autres formes de mobilisation généralement étudiées. Mais aussi parce que leur observation représente une voie fertile pour enrichir les débats et des enjeux théoriques nés du questionnement sur les transformations du répertoire de l’action protestataire. Plutôt que de postuler, en effet, une improbable obsolescence de la conflictualité au travail, il apparaît bien plus heuristique de chercher à identifier les logiques à travers lesquelles se maintiennent, se transforment ou deviennent plus difficiles les conditions de recours à l’action collective dans l’univers des relations de travail. En cernant ainsi les dynamiques d’actualisation des modes d’expression des conflits du travail, on souhaite mettre en lumière des facteurs essentiels à l’œuvre dans les processus actuels de redéfinition des contours de la protestation collective.

Dans cette perspective, notre atelier se veut également un moment privilégié d’échanges, autour de la question qui nous préoccupe, entre des traditions disciplinaires entre trop cloisonnées (sociologie des relations professionnelles et du syndicalisme, sociologie du droit, sociologie des mobilisations…). Cette confrontation nous semble tout d’abord pertinente dans la perspective d’un élargissement des questions empiriques et des cadres analytiques qui animent la sociologie des mobilisations. Réciproquement, elle constitue une manière de valoriser les apports heuristiques des outils méthodologiques mis en avant par la sociologie des mobilisations sur des terrains d’investigation dont elle est encore largement absente.

C’est précisément cette ambition pluridisciplinaire qui a animé la recherche collective sur les formes de la conflictualité au travail dont nous présenterons les premiers résultats. Mené entre 2005 et 2007 en collaboration avec Jean-Michel Denis (MCF en sociologie, Université Marne-la-Vallée, CEE) et Jérôme Pélisse (MCF en sociologie, Université de Reims, AEP et IHDE), ce travail repose sur l’exploitation de l’enquête REPONSE sur les relations professionnelles réalisée par la DARES et le Ministère du Travail. Dans ce cadre, notre recherche a pu se fonder en premier lieu sur le traitement statistique de plusieurs milliers de questionnaires passés auprès des représentants du personnel, des représentants de la direction et des salariés auprès d’un panel représentatif d’entreprises. Parallèlement, nous avons réalisé dix monographies destinées à contrôler les hypothèses suggérées par le volet statistique de notre enquête.

L’ampleur des données quantitatives et qualitatives ainsi récoltées nous offre alors la possibilité de dégager plusieurs pistes de réflexion sur les dynamiques d’évolution contemporaines de la conflictualité au travail, à partir de ses manifestations les plus ordinaires, qui sont aussi les moins visibles et les moins soumises à l’investigation scientifique. Nous reviendrons notamment sur les conditions structurelles (liées à la reconfiguration de la condition salariale) et organisationnelles (liées à la fragilisation des ressources syndicales) qui peuvent rendre le recours à certaines pratiques de mobilisation, notamment grévistes, plus difficiles, et encourager leur substitution par des stratégies d’action dont on peut mesurer une appropriation croissante (pétition, rassemblements, manifestations…). Un autre axe de réflexion nous amènera par ailleurs à envisager comment se redéfinissent et se redéploient les formes d’affrontement investies par les acteurs syndicaux, sous l’effet de leur confrontation aux dynamiques de judiciarisation et d’institutionnalisation des arènes de gestion des relations professionnelles.

 

 

Rethinking the present of industrial conflicts within the study of contentious politics

This workshop is aimed to contribute to "rediscover" the scientific interest of the industial conflicts that have led a shadow existence for the last two decades in the study of contentious politics. One main reason of this disinterest may be the decline of the number of strikes that have been registered since the end of the 1970’s. This dynamic seems to have encouraged most of the scientists to focus on the "new" social movements, as if protest within the industrial relations field has become insignificant. On the contrary we would like to demonstrate the relevance to consider the industrial conflicts, not only as a central arena of social conflicts, but also as a privileged arena to catch some key factors that determine the general transformations that happened in the field of contentious politics.

In this way, the workshop will be based on the presentation of our collective research focused on an investigation ("Enquête Réponse"), directed by the French Minister of Work and intended to highlight the evolution of the French industrial relations. This research has consisted in analysing these thousands of questionnaires addressed to workers, to their representants and to representatives of the employers.

The main findings of these two modes of investigation will structure the dicussion. At first, they give us some concrete datas to objective the various and pregnant forms industrial conflicts : far from disappearing, and even if they are less visible, they still represent a major part of the whole mobilizations of the French social movements. But, in the same time, these datas reveal some clear dynamics, as for exemple the relative stagnation of the number of strikes, which constrast with the higher frequency of other forms of collective actions (petition, demonstration...). Then, our first ambition will consist in identifying the structural factors (reconfiguration of the industrial relations) and the organizational dynamics (rarefaction of the collective union resources) that make the activation of some mode of action more difficult, and that constrain trade-unionists to adapt their strategies of protest. In the same way, we will pay a peculiar attention on the manner in which the processes of institutionalization and legalization of the industrial relations shape the strategies of conflicts that unionists are disposed to invest.