Atelier 16

Ferveurs militantes. Comment penser les liens entre engagement politique et engagement religieux : rupture ? continuité ? reconversion ?

Responsables scientifiques :
Solenne JOUANNEAU (URMIS/LaSSP)
solenne.jouanneau@enligne.fr
Pagis Julie (ETT-CMH/EHESS) julie.pagis@ens.fr

 

Au-delà des débats généraux sur l’articulation entre politique et religion, cet atelier a pour but de contribuer à une sociologie des passages d’une sphère à l’autre au fil des récits biographiques et de l’observation de pratiques, à partir de terrains socio-historiques diversifiés. Comment expliquer les circulations entre " politique " et " religion " constatées pour de nombreux itinéraires militants ? À quelles conditions peut-on établir des liens entre socialisation et sociabilités religieuses et politiques ?

Que les basculements soient " violents ", rapides, ou plus progressifs, que les circulations entre politique et religion soient fluides ou entravées par des enjeux de légitimation du personnel religieux ou politique, ces passages provoquent différemment l’interrogation selon qu’ils apparaissent comme des " ruptures ", des " conversions " ou des " convergences ". Pour aborder ces questions, en évitant de traiter la socialisation comme une donnée figée, il est important de détailler la spécificité des formes de rapport au politique et à la religion, les sociabilités vécues, la constitution des dispositions individuelles à l'engagement et la diversité des usages d’un même espace confessionnel et/ou politique. D’où l’importance de partir d’un matériau biographique pour cerner au plus près la temporalité des ruptures, des basculements et des croisements entre engagement politique et engagement religieux.

Les approches biographiques du militantisme ont permis de mettre en lumière l’importance des pluri-appartenances, pouvant se succéder ou se recouper dans le temps ; cependant, la récurrence des passages entre engagements politiques et engagements religieux, ou leur articulation à l’échelle d’individus et de collectifs, est encore trop peu explorée. Les contributions à cet atelier s’attacheront à analyser des itinéraires d’individus en rendant compte d’une part des variables contextuelles (notamment le type d’offre d'engagement politique et religieux), d’autre part en repérant les trajectoires des organisations ainsi que les réseaux de sociabilité dans lesquels ces individus évoluent et en rapportant enfin les itinéraires d'engagement aux trajectoires scolaires, professionnelles et familiales de chacun. Ces trois niveaux d’analyse semblent en effet nécessaires à la compréhension de l’enchaînement des séquences biographiques marquant le cycle de vie d’un militant.

Julie Pagis proposera, à partir de trajectoires d' " ex-soixante-huitards ", une contribution sur les conditions sociales de la politisation d'engagement religieux au cours des années 60 en France. L'intervention de Béatrice de Gasquet, portant sur une période plus récente (années 1980/90), viendra prolonger cette réflexion en présentant à l'inverse le parcours d'anciens militants d'extrême gauche fréquentant aujourd‚hui les synagogues qu'elle étudie. Solenne Jouanneau, en revenant sur la genèse histoire de l'Union des Organisation Islamique de France (UOIF), s'interrogera quant à elle sur la manière dont les membres fondateurs de cette organisation ont progressivement basculé d'un engagement politique en faveur de l'islamisme à l'investissement dans le champ de l'institutionnalisation du culte musulman en France. Le choix délibéré de présenter ici des terrains variés vise à favoriser l'effort de comparaison et la réflexion par contraste. En effet, afin d'éviter les travers culturalistes ou essentialistes, les individus et les collectifs étudiés ici s'inscrivent non seulement dans des époques et des aires géographiques différentes, mais aussi dans des traditions religieuses et politiques plurielles (catholicisme, protestantisme, judaïsme, islam / extrême gauche, communisme, islamisme)."

Une attention particulière sera portée à la place de l’événement politique dans les processus de " conversion/reconversion " des dispositions à l’engagement : c’est l’exemple des crises politiques et de l'irruption de mouvements sociaux qui sont autant d’occasions, de " moments privilégiés ", où des projets de transformation sociale, collective, entrent en résonance avec des projets de transformation de soi. Pour aborder la question du degré de continuité ou de rupture entre des engagements successivement politique et religieux, nous proposons de partir des socialisations que connaissent les personnes et qui forgent le sens qu’elles donnent à leurs engagements. Mais les dispositions à s’engager sont modelées et remodelées au cours d’itinéraires marqués par des transferts de " savoir-faire " et de ressources acquises dans l’engagement initial. C’est notamment le cas de dirigeants politiques qui réactivent dans la sphère partisane des savoir-faire préalablement acquis dans la sphère religieuse et qui, ce faisant, doivent aussi adapter leurs discours.

Enfin, la restitution de tels itinéraires pose la question de savoir comment les individus renouvellent leurs engagements et les reformulent lorsqu’ils sont confrontés à des tensions et à des conflits susceptibles de mettre en danger le sens même de leur engagement.

 

Militant Devotions. How to Think Links Between Political and Religious Commitments: Break-up ? Continuity ? Reconversion ?

This workshop aims at contributing a comparative sociology of transfers between political and religious commitments. How to explain articulations between " politics " and " religion " observed in the paths-road of militants in different socio-historical fields of research ? Under which conditions can we identify explicative connections between political and religious socializations, sociabilities and forms of militant commitment ? Are these connections to be explained in terms of break-up, continuity or re-conversion in individual and collective itineraries ? Answering these questions above all requires to avoid taking socialization as a given with fixed categories. Temporalities of break-up, swings and crossings between political commitment and religious commitment become much more intelligible if we analyze experiences of politics and religion through biography time sequences. This can be done by detailing sociabilities at work, identifying the shaping of individual dispositions to commitment, and describing the diversity of militant uses of a same confessional and/or political space.

Biography approaches of political engagement have shown the importance of focusing on multi-positioned militants interacting across differents fields of action, within organizations of different types, at different levels in space and time. However, links between political and religious engagement have rarely been explored at both individual and collective levels of observation. Contributions to this workshop will focus on these links at the intersection of individual paths-road of commitment (not in an isolated way but) related to familiar, educational and professional itineraries of every militant under focus. In doing so, the analytical challenge is to take into account contextual variables, organizations' trajectories, and to situate dominant sociability networks where individuals evolve. As for sociology of militancy, our methodological point is that the different levels of analysis considered here (marco, meso and micro-sociological) are necessary to the understanding of the succession of biographical sequences characterizing the life-cycle of a militant, which is an intensive mean of producing singular knowledge about collective mobilization.

This multivariate perspective on political engagement, based on ethno-biographical material (such as biographical interviews, personal archive of militants or administrative archive concerning them) and direct observation of interactions, will actually consist in confronting different empirical data about militant experience in different countries. Comparing field work as we shall do is not only a mean of better grasping the object under focus, but it also is a way of disclosing the " cultural- geographical " dimension. Julie Pagis offers a contribution about the politization of religious commitment in the 1960s in France concerning the trajectories of former " soixante-huitards ". Béatrice de Gasquet studies the paths of former left-wing activists in France, whom she met at the synagogue (1980s and 1990s). Solenne Jouanneau shows how some imams assume a political role during the process of institutionalization of Islam in France. Taking imams' trajectories as a starting point to understand the formation of a new political party in Algeria at the end of the 1980s, Myriam Aït-Aoudia focuses more generally on the conflictual construction of a boundary between religious and political spheres in a context of transition to democracy. Following the paths of Chilean communists, Daniela Cuadros Garland focuses on the crossing between religious creed of party militants and their participation to political life. Henceforth, special attention will be paid to the temporality of the " event ", e.g. political crisis, that affects the process of conversion and reconversion of individual dispositions to engagement. Likewise, if socialization actually frames the sense of militancy, dispositions to engagement are modelled and re-modelled through time by transfers of savoir-faire and resources acquired during and after the first sequence of engagement of an individual (either religious or political). Finally, by redrawing itineraries of engagement, we ask how one acts when confronted to tensions and conflicts threatening the very sense of one's own engagement.