Atelier 23

Les médias alternatifs en question

Responsables scientifiques :
Benjamin Ferron (CRAPE, moniteur à l'IEP de Rennes)
benjaminferron@hotmail.com

Nicolas Harvey (CRAPE, ATER à l'Université de Haute Bretagne) nicolas.harvey@uhb.fr
Eugénie Saitta (CRAPE, post-doctorante MinorityMedia, Marie Curie Excellence Team, Université de Poitiers) eugeniesaitta@yahoo.fr

 

Peu de recherches françaises se sont attachées à l'étude des médias alternatifs. La sociologie du journalisme française a en effet essentiellement concentré son attention sur les médias les plus légitimes, à commencer par la presse quotidienne nationale, et plus récemment la télévision, qui a acquis un poids considérable dans l’espace journalistique à partir des années 1980. Cette tendance à reproduire les hiérarchies internes au champ journalistique, par la sélection fréquente des entreprises de presse " de référence ", se retrouve aussi dans le choix des objets d'étude.

Posons d’abord une première définition du terme " média alternatif ". Au sens littéral, l'expression désigne une " alternative à " quelque chose. Simple en apparence, cette définition permet d'interroger la notion d'autonomie des médias alternatifs car elle invite à rompre avec la tendance à penser l'économie — y compris symbolique — de ces médias sur un mode autarcique, fréquente dans les autodéfinitions indigènes. Se poser en " alternative à " implique en effet une relation d’interdépendance aux autres médias. Cette définition permet donc d’aborder les médias alternatifs comme des agents collectifs occupant une certaine position au sein du champ journalistique, à la périphérie de ce dernier. Elle permet également de les localiser à la croisée, et souvent en marge, de plusieurs autres microcosmes sociaux : la sphère militante, le monde syndical, le champ politique, le milieu associatif, l'édition, l'université, etc. La réflexion que nous proposons sur la définition des médias alternatifs a ainsi pour ambition de participer à la " cartographie " des positions et des oppositions qui structurent l'espace social du journalisme, et à penser non seulement l’extrême variété des médias en général, mais les luttes pour la définition des systèmes de représentation et de médiation légitimes qui structurent cet espace.

L'atelier propose ainsi une réflexion sur l’espace des médias alternatifs et de leur position problématique dans ou vis-à-vis du champ journalistique. Notre questionnement pourrait se concentrer en premier lieu sur les luttes de dénomination autour de cet objet. Plusieurs qualificatifs sont couramment utilisées pour désigner ces médias et les mobilisations sociales auxquelles ils sont liés : alternatifs, radicaux, citoyens, marginaux, participatifs, de contre-information, parallèles, communautaires, underground, populaires, libres, dissidents, résistants, clandestins ou micro-médias. Cette profusion invite à formuler trois axes de réflexion.

Tout d’abord, les luttes pour la connaissance et la reconnaissance de ces médias mettent en jeu divers types d’acteurs, en particulier des groupes sociaux minorisés et des acteurs institutionnels. Les luttes autour des représentations légitimes de ces médias peuvent avoir pour enjeux, selon les cas, des questions d'appellation, des revendications pour une " cause ", ou encore des positionnements politiques. Cependant, la diversité des appellations qu’on attribue à ces médias ne doit pas interdire une réflexion sur les éléments qui peuvent les rassembler. Le discours d’opposition ou de distinction à l’égard des médias dominants dans le champ journalistique pourrait, par exemple, constituer un premier point commun, qu’il s’agit de mettre en discussion.

Ensuite, plus qu’une réflexion autour d’une terminologie adéquate pour désigner ces médias, c’est une analyse des mécanismes qui nous préoccupe et, en premier lieu, des mécanismes internes au champ journalistique. Dans quelle mesure les médias alternatifs se distinguent-ils des médias qui occupent des positions dominantes dans ce champ ? L’analyse des mécanismes de distinction portera sur plusieurs niveaux : modes d'organisation interne, contenus médiatiques, pratiques journalistiques, propriétés sociologiques des agents et publics visés. Par exemple, comment une analyse des trajectoires individuelles permet-elle d’expliquer les passages fréquents de journalistes d’un type de médias à un autre ? En second lieu, en quoi l’analyse des mécanismes externes permet-elle de comprendre les interdépendances des médias alternatifs à d’autres univers sociaux ? En particulier, quels sont leurs liens aux pouvoirs économiques et politiques?

Enfin, c’est la série même d’oppositions couramment mobilisée par les médias alternatifs et la littérature sur ces mêmes médias qu’il s’agira de soumettre à l’analyse. Quelle est la pertinence des oppositions généralement faites entre médias dominés et médias dominants, ou encore entre class media et mass media, entre média alternatif et mainstream media ? Ne peut-on pas imaginer un " média de masse alternatif " ? Le cas du Monde Diplomatique questionne tout particulièrement cet aspect. Le positionnement des médias alternatifs dans l’espace journalistique n’est pas à penser seulement en termes de différenciation mais aussi de proximité ou de similarité avec les médias dominants.

 

Questioning alternative media

Alternative media studies have not been abundant in the French sociology of media, who attached more importance to the most legitimate ones. The choice of the research subject generally respects the journalistic field’s intern hierarchies by studying first the reference media.

First, we can try to define what ‘alternative media’ are. In a literal sense, it means that those media are defining themselves as an alternative to other media. This definition can suppose that we are able to observe an interdependence relation with other media and that alternative media occupy a position in the periphery of the journalistic field. Alternative media can also be set at the junction of other microcosms, such as activist, trade union, political, associative or academic worlds. Our ambition is to contribute to the position and the opposition’s mapping that structures the social space of the journalistic field. Our interests are not limited to a simple typology of media but more to the struggle for a legitimate definition that structures the alternative media’s area.

In short, the panel proposes to think about the alternative media’s area and their problematic position inside or in relations to the journalistic field. We should also put the emphasis on the struggles for the denomination of these media. Many terms are generally used for describing this phenomenon: alternative, radical, citizen, marginal, participative, counter-information, parallel, community, underground, popular, free, dissident, resistant or micro-media. This profusion of denominations invites us to underline three main lines of thought: 1) How can this kind of struggle for the recognition of these media reveal some stakes in terms of denominations, social claims or political positioning? 2) What are the particular mechanisms of alternative media which can be opposed to mainstream media (e.g. mode of intern organisation, journalistic practices, and sociological properties of journalists or publics)? 3) What are the limits of the distinction between mainstream and alternative media? What are the characteristics that unify the entire journalistic field? Can we imagine grey zones like ‘alternative mass media’?